SOUS-TITRES SI NÉCESSAIRE
NOEL 1993
« Gabriel ! Viens, on va partir chez Papé et Mamé ! Sinon, on va être en retard. »Malgré l’air pressant de sa mère, l’enfant continuait à jouer à la console. Il est absorbé par son jeu. Ce jeu, il l’avait tellement voulu, quitte à jalouser ses cousins qui, eux, l’avait eu depuis des mois. Il ne voulait pas lâcher le morceau. Pourtant, le visage de son père apparaissant dans l’entrebâillement de la le rappela à l’ordre.
« Tu sais, ta console ne bougera pas jusqu’à notre retour ! » Dit-il d’un air mutin, le sourire aux lèvres. Sourire de façade seulement. Il s’était saigné à blanc afin de pouvoir offrir ce cadeau à son fils. Les fins de moi étaient compliquées mais, la magie de Noël devait survivre aux difficultés du couple sans nuire au bien-être de leurs deux garçons. Son visage disparut. Gabriel éteignit sa console, enfila sa veste et rejoignit la petite famille dans le couloir de l’appartement. Ils étaient parés pour le départ et ce malgré le froid glacial qui sévissait à l’extérieur. Tous installés dans la voiture qui n’avait de voiture que le nom, ils partirent pour une heure de trajet.
Ils arrivèrent dans une résidence cossue où les maisons s’alignaient parfaitement. Garés, ils sortirent. La neige tombait dru et tapissaient les allées. Ils se dirigèrent vers l’entrée. Le père s’apprêtait à sonner quand la porte s’ouvrit. Un homme grand, massif apparut dans l’encadrement. Elégamment vêtu, il toisa l’ensemble de la famille :
« Donovan, Alice et les deux merdeux ! On vous entend depuis cinq minutes ! » Souffla-t-il alors en regarde la carcasse derrière eux. Le père eut un rictus, serra les poings. Il lui aurait bien refait la façade mais sa femme l’en dissuada en lui assenant un coup de coude douloureux dans les côtes.
« Bill ! Ravie de te revoir ! Les deux merdeux s’appellent Gabriel et Alexander-James. Avec tout l’argent que tu as, tu devrais peut-être consulter un spécialiste. Non ? ». Elle lui déposa une bise sur la joue et s’empressa d’entrer au chaud suivie de sa meute. Les hostilités étaient lancées. Pourtant, le repas se déroula sans anicroche, malgré les nombreuses piques lancées à la pelle.
Après le dessert, fatigué, Gabriel alla faire un somme dans la chambre de ses grands-parents. Ses rêves d’enfant l’amenèrent vers des contrées lointaines habitées par des lutins, des dragons, des ogres. Mais il se réveilla en sursaut quand il sentit une main lui tâter l’entre-jambes. Ne comprenant pas ce qu’il lui arrivait il leva la tête. Il vit une ombre assise sur le rebord du lit. Cette ombre commença à glisser sa main dans le pantalon de Gabriel. Ce dernier étouffa un petit cri.
« Chut ! » entendit-il. Il était terrifié ! Il ne savait que faire. Que dire. Muet comme une carpe. Les gestes devenaient de plus en plus indécents. Paralysé, l’enfant n’osait presque plus respirer. Soudain, une voix dans les escaliers :
« Bill ? Que fais-tu ? ». Révélation pour l’enfant. L’ombre se releva précipitamment. Il reconnut la silhouette imposant de son oncle qui s’éclipsa en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Il se rendormit. Quand il se réveilla, il était terrorisé. Quelqu’un le secouait légèrement. Il poussa un cri. Il sentit une douce chaleur sur le front et reconnut ensuite la voix de son père :
« Gabriel ! Tu viens de faire un mauvais rêve ! ». Il lui fit un câlin afin de le rassurer.
« C’est l’heure de partir mon grand ! On rentre à la maison ! ». Il déposa un baiser sur son front et sortit de la chambre. L’enfant, en ce jour de Noël, entra dans une spirale infernale qui dura des années durant.
PRINTEMPS 1996
« Gabriel, tu sais, tu peux tout me dire ! Je suis là pour t’aider ! ». Confia la jeune femme. Assise en face de lui, elle le regardait avec insistance jouer aux petites voitures. Gabriel était arrivé ici, alors qu’il avait sous-entendu que son oncle avait eu des gestes inappropriés avec lui. D’abord sa mère ne le crut pas. Cela était impossible ! Mais lorsque l’enfant raconta son calvaire, elle ne put que se rendre à l’évidence. Il avait été victime d’attouchements sexuels, ou pire encore ! Paniquée, elle avait appelé une cellule d’aide qui l’avait renvoyé vers la brigade de protection de l’enfance. Là, une équipe avait pris en charge la mère et son fils. Afin de rassurer l’enfant, on lui avait donné des jouets afin qu’ils puissent servir à son exutoire. Attendant un quelconque signe de sa mère la femme commença à jouer avec lui et essaya de le guide à travers l’image des voitures :
« Que s’est-il passé ? ». Elle prit deux bolides miniatures et les rapprocha dangereusement. Voyant cela, Gabriel comprit que son être été représenté par l’une des autos, l’autre étant son oncle. Un timide mais néanmoins vif
« Oui ! » sortit de sa bouche. Il se mit à pleurer. Honteux ! Une chaise glissa sur le sol et, quelques secondes plus tard, il sentit une étreinte autour de lui.
« Ne pleure pas ! Tu es en sécurité désormais ! ». Elle sortit un mouchoir de sa poche et sécha ses larmes. L’agent de police comprit que le chemin serait long avant qu’il puisse se confier ! Il avait vécu tellement d’horreur, à un si jeune âge.
Quelques jours plus tard.
Une brigade de police sonna à la porte de cette villa de style colonial. Des pas se rapprochèrent. Une voix suraiguë se fit entendre :
« Qu’est-ce que c’est ? ». Le chef de l’opération indiqua :
« Nous souhaitons parler à William Bellock ! ». La lourde porte s’ouvrit. Les policiers s’engouffrèrent à l’intérieur et recherchèrent l’individu qui, aux dires de la bonne, était dans son bureau. Ils se faufilèrent jusqu’à l’endroit et entrèrent sans même prévenir l’intéressé. L’homme se leva de son siège instantanément.
« William Bellock ? Vous êtes en état d’arrestation pour le viol de votre neveu ! ».
L’homme à la cinquantaine flamboyante tressaillit. Une main sur le cœur, il s’écroula. Sa tête heurta lourdement le coin de son bureau avant d’atteindre le sol.
« MERDE ! Il nous fait un arrêt cardiaque ! » Hurla le chef qui se précipita à son chevet et tenta de le réanimer… En vain… Son heure était venue. Au loin, des pas précipités, puis, soudain, le père de Gabriel entra, tonitruant, dans la pièce et se jeta sur son « beau-frère ! » :
« Ordure ! Fils de pute ! ». Il ne fallut pas moins de deux personnes pour qu’il lâche son étreinte.
« Monsieur Hartt ! Calmez-vous ! Il est mort ! ». Le père regarda le corps sans vie de Bill avec dégoût et lui cracha au visage. La police l’évacua.
*
La famille fut brisée. Alice, Donovan et leurs enfants coupèrent les ponts avec la famille d’Alice qui, malgré les révélations, continuer à défendre le défunt. Le couple tenta de se reconstruire sur des bases solides. La mère se réfugia dans la peinture où elle trouva une nouvelle source d’inspiration. Le père enchaîna les petits boulots afin de subvenir aux besoins de sa tribu. Malgré les grandes qualités de son travail, les peintures et autres œuvres d’Alice n’étaient pas reconnues à leur juste valeur. Même s’il lui arrivait de faire quelques expositions, elles étaient rares tout comme le nombre de ses clients réguliers. Toujours est-il que Donovan souhaite néanmoins qu’elle persévère dans sa passion, même si les fins de mois paraissent souvent compliquées pour le couple. Par amour pour elle, il est prêt à se sacrifier pour le bien être de ses enfants quitte à s’oublier lui-même.
ETE 2001
Gabriel n’a connu qu’une seule véritable histoire. Il avait quinze ans. Etant d’un naturel réservé, voire très introverti, il s’est rapidement réfugié dans la lecture, pour fuir son quotidien, sa vie meurtrie. Il pouvait passer des heures et des heures à bouquiner à la bibliothèque, oubliant presque de rentrer chez lui. La bibliothèque était sa deuxième maison. Lorsqu’il avait de l’argent, il préférait plutôt acheter un bon livre que des bonbons. Il avait sa librairie ! C’est d’ailleurs là-bas que se joua sa vie sentimentale.
Il déambulait dans les rayons de sa librairie fétiche, s’arrêtant un instant afin de lire une quatrième de couverture, continuant son chemin. Il revenait vers l’entrée afin de demander un renseignement auprès du libraire sur les prochaines sorties. Puis il revint en quête de la perle rare. Il s’agenouilla afin d’atteindre une étagère au raz du sol. Il commença à balayer le rayon du regard, lorsqu’une personne l’apostropha :
« Excusez-moi ! Pourriez-vous m’attraper le livre là-bas ? ». Gabriel se retourna et il fut subjugué. Troublé, il manqua de tomber en arrière. Il se releva et lui attrapa le livre en question. Il zyeuta le titre et s’aperçut qu’il s’agissait de son auteur préféré. Et de là, ils commencèrent une discussion passionnée et passionnante sur leur auteur préféré. Ils échangèrent des éclats de rire. Dans une hardiesse peu commune, surtout venant de lui, Gabriel proposa à la demoiselle, avec beaucoup de maladresse, de boire un chocolat chaud en terrasse. Elle accepta. Il se présenta, bégayant à moitié en dévoilant son nom. Ils discutèrent, et discutèrent, et discutèrent. L’aiguille fit plusieurs fois le tour du cadran. Finalement, ils furent coupés par la sonnerie du téléphone de Gabriel.
« Gabriel ? C’est Maman ! Ton père a eu un accident de voiture ! Rejoins-moi à la maison pour qu’on aille à l’hôpital ! ». Elle était apeurée. Paniquée. Le jeune homme tomba des nus. La journée avait tellement bien commencé. Il avait fait la connaissance d’une si charmante personne avec qui il partageait beaucoup de points communs. Il s’excusa auprès d’elle, paya l’addition et s’éclipsa à la hâte. Il était vraiment tête en l’air, il n’avait même pas pris la peine de lui laisser ses coordonnées… Au cas où… Dommage ! Un bel acte manqué.
Pourtant, quelques jours plus tard, alors que son père allait nettement mieux et qu’il était rentré à la maison, Gabriel retourna à la librairie. Il voulait lui faire un cadeau. Etant alité toute la journée – ou presque – il songea à lui offrir un bon polar. Il parada alors dans les rayons afin de trouver son futur cadeau. C’est alors qu’il la vit penchée sur la quatrième de couverture d’un ouvrage, fascinée par le résumé du livre. S’approchant prudemment, il lui souffla à l’oreille :
« Alors ? Comment est ce livre ? ». En entendant le son de sa voir, elle fit volte-face. Un sourire flamboyant égaya son visage. Par cette vision lunaire, Gabriel oublia tout le reste, même la maladresse dont elle fit preuve en reposant le livre sur l’étagère, manquant de le laisser choir.
« Comment vas-tu ? La dernière fois tu es parti si précipitamment ! ». Le moindre de ses gestes, la moindre de ses paroles séduisaient l’adolescent.
« Tu vas probablement me prendre pour une folle… mais… je suis revenue plusieurs fois ici, dans l’espoir de te croiser à nouveau. C’est chose faite ! ». Gabriel resta muet face à cette déclaration touchante. Il n’aurait jamais pensé plaire ainsi à une fille. Il en fut ravi.
« Je vais bien, je te remercie ! Que dirais-tu d’aller boire un chocolat chaud ? Et promis, je ne partirais pas comme un voleur ! ». Oubliant sa quête initiale, Gabriel accompagna la demoiselle jusqu’à la terrasse du café d’en face où ils reprirent leur discussion, comme si de rien n’était. Elle s'appelait Eleanor et ainsi débuta leur belle histoire.
AUTOMNE 2005
Cela faisait huit mois que Gabriel et Eleanor étaient unis pour la vie. C’était une évidence pour eux. Tout souriait au jeune couple. Le libraire chez qui se fournissait Gabriel, décelant sa passion pour les livres, lui proposa de le former afin de travailler avec lui. Le jeune homme n’en revint pas. Il n’hésita pas une seule seconde. Eleanor quand à elle, continuait ses études de kinésithérapie. Pourtant, un événement fabuleux allait bouleverser leur vie. En effet, un mois à peine après s’être promis fidélité devant Dieu, la jeune femme tomba enceinte. Soutenus par leurs parents respectifs, ils décidèrent de garder l’enfant, le fruit de leur amour.
Pourtant le destin s’acharna sur Gabriel. Alors qu’Eleanor était à son sixième mois de grossesse, il y eut de sérieuses complications. Elle dut être admise et les médecins n’eurent d’autre choix que de lui faire commencer le travail.
L’attente fut interminable. Il fit les cent pas dans les couloirs de l’hôpital. La présence de ses parents et de ses beaux parents ne l’aidaient pas. Ils tentèrent tour à tour de le rassurer, sans succès. Il enfila les cafés, il fuma cigarette sur cigarette. Ce n’était pas son habitude. Finalement, il s’assit et passa sa tête entre les mains et patienta. Il se mordait les lèvres nerveusement. Il sentit un bras le prendre aux épaules. Une voix sereine, celle de son père, le rassura :
« Tout se passera bien ! Ils savent ce qu’ils font ! ». Le cœur du futur papa battait la chamade, d’excitation, d’impatience… Se tourna vers son père, il lui souffla :
« Merci ! Merci d’être là ! ». Il fixa la pendule au bout du couloir. Les minutes étaient interminables, comme si, même le temps appréciait de le faire souffrir ! Les secondes s’égrainaient une à une, extrêmement lentement. Soudain une porte s’ouvrit, une silhouette la passa. Gabriel tourna la tête. Fausse alerte. Dépité, il attendit encore. Ne pouvant plus attendre, il décida d’aller prendre l’air, encore une fois. La nuit était tombée. Une brise fraîche faisait virevoltait les feuilles mortes qui tapissaient le sol. Il taxa une clope à un passant, se la grilla en se perdant dans l’immensité étoilée. Pensif, il perdit enfin la notion du temps. Quand il revint à lui, la cigarette s’était presque consumée entre ses deux. Avant d’y retourner, il reprit une ultime respiration.
Quand, il revint, les deux couples étaient réunis autour du médecin. Le visage de ce dernier restait impassible. Impossible à Gabriel d’y déceler la moindre information. Mon père se retourna :
« Gabriel ! ». Il attendit des nouvelles de sa dulcinée et de son fils. Mais son monde s’effondra.
« Je suis désolé ! On a rien pu faire ! ». Il n’entendit rien d’autres. Il bouillait à l’intérieur. Il poussa violemment les gens autour de lui et tomba à genoux, en pleurs. Une douleur lancinante s’empara de lui, lui arrachant le cœur. Sa mère tenta de le relever pour le soutenir, il la rejeta :
« Lâchez-moi ! Je n’en ai rien à foutre de vos désolés. Ca ne les ramènera pas ! ». Il partit vers la sortie en zigzagant, perdu. Sa mère tenta de le rattraper. Son père la dissuada :
« Il a besoin d’être seul ! Laisse… ».
Il erra longtemps, très longtemps dans les rues de Los Angeles. Perdu, submergé par les multitudes pensées qui lui traversaient l’esprit… Se jeter sous les roues d’une voiture… Fumer jusqu’à se consumer… Boire jusqu’au coma éthylique…. Il broyait du noir. Arrivé dans un parc, il s’assit sur un banc… Perdu dans le vide, il resta là, frigorifié. Il désirait s’endormir éternellement, transi de froid. Une rage sourde se diffusait dans tout son être. Pour l’évacuer, il se leva, se dirigea vers le premier arbre venu. Il donna un premier coup ! Puis un second, un troisième, un quatrième et il les enchaîna. Il s’écorcha les mains, se brisa les phalanges, mais il se sentait nettement mieux ! S’effondrant en larmes contre le tronc, il lâcha :
« Pourquoi m’as-tu abandonné ? ».
AUJOURD'HUI
Pendant des années, Gabriel a vécu dans l'ombre de ces êtres qui l'ont trop rapidement quitté. Il s'est oublié, à maintes reprises. Il travailla d'arrache-pied pour la réussite de sa librairie. Il n'a jamais laissé une chance à autrui d'atteindre son coeur, cadenassé lors de la perte de sa femme. Désormais, il aspire à aller de l'avant, sans pour autant les oublier, simplement penser à lui, à son avenir et au bien qu'il peut apporter, pour respecter leur mémoire.