Chevelure de feu, robe à bustier affriolant, je passe devant un miroir, divine, apparence calculée jusqu'au bout des ongles. Ce soir, c'est l'avant première du film Arrival, et j'ai réussi à faire en sorte de me faire inviter par un mannequin (ou acteur, je ne sais plus) convié à l'occasion. La fille Carstairs avec un mannequin, ou comment ne pas passer inaperçus, et c'est au bras de .. Ethan, me semble-t-il, que j'arrive à l'avant première, un sourire parfaitement répété et calculé sur les lèvres. Je m'accroche au bras d'Ethan, son bras glisse, aventureux, le long de ma taille. Je frissonne, ne dit rien, les flashs crépitent, c'est mon quart d'heure de gloire. Certains savent mon prénom, d'autres non. C'est la fille Carstairs, celle dont le père et le frère dirigent une des plus grosses boites de la ville. Une des plus fausses, aussi. Mon sourire s'agrandit à cette pensée. S'ils savaient. Pour eux, je ne suis que l'énième fille au joli minois d'un des puissants de LA, sans savoir que mon père peut détruire leurs vies s'il en éprouve l'envie. Et c'est tant mieux s'ils ignorent. Ethan répond à quelques questions, explique que c'est un honneur pour lui que d'être présent ce soir. Le micro se tend vers moi, et c'est avec naturel, un sourire mutin sur les lèvres, que je dis en toute honnêteté: « Et j'ai été assez chanceuse pour séduire monsieur et le convaincre de me laisser l'accompagner. » Quelques journalistes rient, mon rire les suit. Je vois Damian au loin, au bras d'une belle plante, mon sourire se fige. Je retourne malgré tout mon attention vers les journalistes, plus sérieuse, expliquant : « Ce film va marquer la cinématographie, et j'ai hâte de le découvrir. » Tous notent, filment. Hors de question de passer pour une potiche venue pour la gloire, je suis venue pour découvrir ce chef d'oeuvre. Détournant mon dos de mon aîné, je susurre à l'oreille de mon cavalier : « Et si nous entrions. » Qu'on s'éloigne de Carstairs², et de sa donzelle aux longues jambes. Il aime les flashs, veut rester devant, je roule des yeux. « Je rentre, moi. Tu me rejoins quand tu veux. » Je fais pour me détacher, le brun me retient, me vole un baiser devant les caméras. De quoi alimenter les médias, il a tout calculé. Je me laisse faire, je recule, lui murmure: « Non en fait, je vais regarder le film de mon côté. » Trop tard, je suis entrée. Personne n'a le droit d'être aussi entreprenant avec moi. Du moins, presque personne. Je m'écarte alors de la foule, perchée sur mes talons, et je soupire. Rien ne gâchera ma soirée.

Dorian avait la gueule de bois. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas autant bu. Et il n'aurait peut-être pas dû boire autant sachant ce qui l'attendait. C'était le début de la soirée et le sang continuait de cogner contre ses tempes, encore et encore, ne lui laissant pas une minute de répit. Il avait essayé quelques remèdes, bu beaucoup d'eau, pris quelques pilules mais rien n'y faisait, il avait l'impression de ne plus savoir se tenir droit, ni comment sourire. Il se forçait pourtant. Il en avait mal aux joues tellement il devait sourire à chaque personne qu'il croisait. Parfois, il échangeait quelques sourires entendus avec James. James, son bras droit, un de ses partenaires de danse. C'était lui qui était parvenu à lui trouver ce petit boulot si prestigieux mais si ennuyant. Lui aussi la gueule de bois. Normal, ils avaient bu ensemble la veille, jusqu'au petit matin. Et il était dans le même état catastrophique que Dorian – mais, comme lui, il ne contentait de sourire. Le jeune homme n'avait pas particulièrement besoin d'argent mais cela lui plaisait de fréquenter le beau monde. Et les acteurs qui se trouvaient là ce soir l'intriguaient au plus haut point. Le ballet n'avait reçu aucune invitation, c'est pourquoi il avait dû mettre les mains à la pâte, sa plus belle chemise blanche, un magnifique nœud papillon noir et sortit toutes ses dents blanches pour sourire. Il arpentait les couloirs du cinéma, un plateau en argent à la main, avec quelques coupes de champagne (encore) et cherchait à s'en débarrasser au plus vite. Dieu que ces gens là pouvaient avoir l'air guindé et incapable de s'amuser. Il avait cru apercevoir du coin de l’œil le romancier @Buzz Coleman, dont il admirait les œuvres mais il semblait s'ennuyer comme jamais et fuyait du regard quiconque le croisait. Dorian faillit aller lui proposer une coupe de champagne pour le dérider mais une autre personne s'en chargea. Tout brillait autour de lui, amplifiant son mal de tête. Comment les gens pouvaient-ils se permettre de porter autant de bijoux clinquants et sûrement faux, cela le dépassait. Forest Whitaker venait de faire son entrée. Dorian se précipita de manière la plus décente qu'il pouvait pour lui offrir une coupe mais James fût plus rapide et lui adressa un sourire victorieux qui fût reçu par la mine déconfite du danseur. Peu lui importait. Il n'avait qu'une envie, se rendre aux toilettes et vomir ses tripes. Perdu dans ses pensées, il n'entendit pas que quelqu'un le hélait, à la recherche de champagne. Perdu dans ses pensées, il ne faisait plus attention à l'équilibre précaire de son plateau qui risquait de tomber sous peu. Son visage était immobile, attendant le jugement dernier - ou simplement que quelqu'un le sorte de sa torpeur.