Saloperie d’empoisonnement. Salopard d’empoisonneur… de tueur ?

Non, je ne contiens pas mes mots, non je ne me tairai pas. Le maire ? Honnêtement, je m’en fiche. Il peut bien crever deux fois, ça ne me fait ni chaud ni froid. Mais la seule pensée d’avoir été, moi, la victime d’un sociopathe n’ayant rien d’autre à faire de sa vie que de buter des gens me répugne. Et si je ne supporte pas de rester ici, dans cet hôpital, avec l’idée contraignante de ma non-productivité à l’esprit, j’ai pourtant l’envie furieuse d’en savoir plus sur ce qui s’est passé.

Où trouver des réponses ? Certainement pas en restant allongé sur ce lit de mort, dans cette chambre “aux couleurs et à l’atmosphère apaisantes” d’après la petite Jodie qui s’est occupée de moi dès mon arrivée et qui a cru bon me parler déco. Soit disant, cette chambre a été refaite récemment. Qu’est-ce que ça peut me faire ? J’ai une tête à m’en soucier, de la couleur des murs ? Jodie n’est pas du côté des patients, ça c’est sûr. Jodie ne s’est pas non plus faite empoisonnée, elle. Et Jodie n’a pas craché du sang sur ses mains, non plus. Personnellement, il n’y a rien qui m’apaise, ici. Et certainement pas son manque de psychologie.

J’entends encore les cris. Je vois encore les visages effrayés, et ce rouge… ce rouge.
La gorge qui saigne... pour quoi ? pour qui ?
Je ressens encore la douleur. Elle est là, au fond, elle grimpe et vient démanger. La douleur comme la sensation d’avoir été pris au piège comme un rat.

A l’évidence, Jodie ne peut pas comprendre. Jodie n’est peut-être bonne qu’à piquer la chair.

…

Je marche vite, puis lentement quand je crois voir quelqu’un... Quiconque de connu, alors je reprends la cadence, j’avance vers les bruits. Vers la nourriture, aussi, dont le manque fait ronchonner mon organisme. J’ai regardé, trop longtemps doute, cet interne au faciès élégant, là-bas, dans l’entrebâillement d’une chambre… Une seconde de trop, peut-être, suffisante néanmoins pour me causer du tort.

BOOM. “ ! ” Un pas en arrière, un cri, une nouvelle impuissance. Le choc des visages a été évité de peu. De très peu. Mais les torses, eux, se souviendront de l’inattention…

Encore sonné je porte mon attention sur le pauvre homme (@Oscar Luccheti) qui est tombé à terre, et quand je vois de qui il s’agit, je me refuse tout d’abord d’y croire. Comme s’il ne pouvait s’agir que d’un mirage indésirable. Un spam. Enfin, l’un de deux que l’on aimerait bien aller repêcher… J’ai fermé mes yeux une fois, deux fois, les ai rouverts autant de fois, et il est toujours là, il n’a pas bougé. Toujours au sol. Dans cette robe blanche qui le recouvre entièrement, ou presque… Ses mollets découverts n’attirent mon regard qu’un instant ; déjà je lui tends ma main, sans vraiment avoir le choix. “Je ne pensais pas te revoir ici.” Je dis, sur un ton calme, étonnamment calme. “Je ne pensais pas te revoir tout court. Prends ma main ou tu le regretteras.” Que je finis par ajouter, sans la moindre once de méchanceté pourtant, seulement un brin d'empressement. C’est mon amour-propre qui lui fera regretter.

Tout le monde en avait entendu parler. Le carnage du Pacific Park avait déjà fait les gros titres.  La télévision avait transformé le crime en un spectacle devant lequel tous étaient scotchés.  Parce que, pour l’instant, personne ne savait rien. Mais c’était là ce qui était, de loin, le plus important. Tant que personne ne savait rien, alors, tout le monde était suspect. C’était le genre de scandales qui fascinait. Le genre d’événement glauque et morbide qui rassemblait les foules. Tout le monde voulait avoir son mot à dire sur la question. Sa théorie à expliquer. Mais, bien souvent, il n’y a pas de mystère. La réalité est beaucoup plus simple. En l’espace d’une soirée, la vie à Los Angeles avait changé. C’était ce que tout le monde expliquait. Mais, la vérité, c’était que, d’ici quelques jours, tout le monde aurait oublié ce qui s’y était déroulé, et, du scandale, du crime qui tirait des larmes à tous les citoyens, il ne resterait plus qu’un incident, noyé dans les informations les plus diverses et insignifiantes. Los Angeles, en quête de sens, l’avait perdu en cours de route. Il y avait toujours quelque chose de plus intéressant que le passé. Et, à trop se noyer dans le présent, on finissait tous par y succomber.

Les journalistes étaient tous postés devant l’hôpital, à la recherche d’une victime à qui soutirer des informations. Et Meghan, elle avait beau les regarder de haut, elle n’était pas aussi différente d’eux qu’elle le souhaiter. Elle n’était pas allée à la soirée d’inauguration du Pacific Park. La seule raison pour laquelle elle se trouvait dans cette cafétaria, remplie de victimes, c’était justement pour en savoir plus que les autres. Elle était payer à extorquer la vérité des plus précieux des mensonges. Elle se foutait bien de qui était blessé, qui était mort, qui n’avait pas survécu à l’empoisonnement. Sa visite à la morgue, d’ailleurs, n’avait rien donné de bien concluant. Alors, elle était venue ici, dans ce lieu où chacun se croisait sans se regarder, pour retirer des informations aux vivants. Le cabinet d’avocat pour lequel elle travaillait préparait déjà une class action contre les responsables du parc. Mais, pour ça, il fallait avoir une longueur d’avance. Et cette longueur d’avance, elle était là. Dans une salle remplie de personnes qui n’attendaient qu’une chose : se confier.

Elle connaissait l’agent de sécurité qui l’avait laissée entrer en échange d’un sourire. Elle mit quelques pièces dans la machine à café et laissa son regard arpenter la salle en attendant. Il fallait trouver la personne idéale. Une personne au visage ouvert, mais pas trop. Quelqu’un qui semblait en savoir plus que les autres. Et Meghan, elle avait beau sembler confiante, mais elle avait le doute dans les yeux. Elle avait le doute qui brûlait, comme le feu, toutes les certitudes qu’elle avait. Et si le tueur était parmi eux ? Est-ce qu’elle saurait le reconnaître ? Il avait réussi à duper le reste d’entre eux, après tout.

Elle prit son gobelet en plastique et, un peu par hasard, mais pas par défaut, elle alla s’installer à côté d’une femme (@G. Brynn Rhodes ) qu’elle ne connaissait pas.  Elle savait que les femmes étaient plus à même de se confier après ce genre de traumatisme. Et elle, elle avait l'air assez consciente pour pouvoir répondre à ses questions. Elle appuya en douce sur la touche enregistrer de son téléphone, qui se trouvait dans la poche de son blouson.

« Plus jamais je mange de sushi… »

Plus tôt, elle avait entendu deux victimes suspecter les sushi du buffet de les avoir rendu malade. C'était une bonne excuse. un prétexte parmi tant d'autres. Elle adressa un sourire bienveillant à celle qui se trouvait à côté d’elle. Il fallait qu'elle se sente en confiance. Libre de lui dire tout ce qu'elle voulait entendre.

« Moi c’est Meghan. »