2002.

Il existe un jour dans la vie de chaque Homme où tout bascule. En bien, ou en mal. Par le fruit du hasard, ou parce que la chance a été provoquée. Tu n’étais pas un homme ce jour-là, tu n’étais encore qu’un gamin. Aujourd’hui il te semble si lointain et pourtant si proche à la fois malgré toutes tes tentatives pour l’effacer de ta mémoire. Une sensation que toi-même tu n’arrives pas à expliquer… C’était une journée ordinaire, tu avais pris le bus de ramassage scolaire pour te rendre à l’école à sept heures quarante-deux précisément. Dans la plus grande banalité qui soit tu n’avais pas échappé aux moqueries de certains camarades, ou à l’altercation récurrente avec le professeur avant que l’horloge n’annonce la fin des cours. Faut dire que déjà en ce temps-ci tu ne faisais pas dans la dentelle niveau relationnel. C’était toujours compliqué. Pourtant tu étais sorti de la salle le sourire aux lèvres dans la plus grande inconscience qui soit. Tu n’avais pas réagi en voyant une voiture de police banalisée garée devant les grilles car après tout ce n’était pas le meilleur quartier de L.A. Mais tu te figeas lorsque tu croisas le regard de cet officier. Il te confrontait, ses yeux étaient rivés en direction des tiens et l’air que prenait son visage n’avait rien de rassurant tandis que tu te demandais ce qu’il pouvait bien se passer. Il était consciencieux, il essaya tout de même d’esquisser un mince sourire en t’approchant. « Tu es bien Santiago ? Santiago Delgrande ? » Tu hochas la tête de haut en bas en guise de réponse, trop inquiet pour que les mots puissent sortir d’entre tes lèvres. Son sourire ne s’étendit que très légèrement bien qu’il te semblait tout de même un peu plus rassurant sur l’instant. « Bien… Je suis l’officier Hyland. Tu peux m’appeler Jo si tu veux. » « Pourquoi vous-êtes là ? Ma maman devrait arriver bientôt si vous voulez lui parler. » Il baissa les yeux vers le sol et prit une grande inspiration avant de s’abaisser pour te faire face. « Tu veux bien venir avec moi ? Je dois t’emmener quelque… » Tu rejetas la main qu’il te tendit et l’interrompit sans même lui laisser le temps de finir sa phrase. « Non ! Je dois attendre ici ! » Il t’observa à nouveau l’espace d’un instant avant de finalement te faire savoir le pourquoi du comment. La raison de sa présence. Un simple mot. “Décédée.“ Ce fut après ce simple mot que tous les sons se brouillèrent autour de toi. Comme s’il venait de retirer le sol se trouvant sous tes pieds. Comme s’il venait de te l’arracher pour te laisser partir à la dérive. Il te fallut quelques secondes pour revenir à la réalité. « Non ! Non ! Non ! … Vous mentez ! » Parvins-tu à balbutier malgré l’impression qu’on était en train de t’étrangler. Les larmes ne tardèrent pas à pointer jusqu’à tes yeux déjà rougis sous le coup de l’émotion. Tu tentas de t’enfuir mais il ne te laissa pas faire. Il attrapa ta main d’une poigne ferme et t’attira à lui pour t’enlacer. Pour te laisser évacuer ta colère et pleurer en toute tranquillité la perte de la personne autour de laquelle gravitait tout ton univers.

2004.

La porte claque. C’est un bruit sourd que tu reconnaitrais entre mille. Un bruit qui ne t’est que trop familier. Un bruit qui te hantera chaque jour jusqu’à la fin de tes jours. Tout comme le son de sa voix. C’était ce son si particulier de la porte du salon claquant derrière lui qui t’annonçait que tu n’allais plus pouvoir être en paix pendant les dix, vingt ou trente minutes qui allaient suivre selon son humeur. A vrai dire tu n’avais pas pensé retrouver la paix après le meurtre de ta mère, mais à cette époque tu n’avais aucune idée des tourments qui t’attendaient. Deux ans étaient passés depuis, deux années de détresse et de peur permanente. « Je suis rentré… » Lança-t-il d’un ton las tandis que son pas lourd montant une à une les marches de l’escalier était parfaitement audible depuis ta chambre. Tu ravalas tes larmes au moment où il y pénétra. Il s’arrêta durant quelques secondes, ou peut-être une minute qui te sembla durer une éternité pour prendre le temps de t’observer. De ressentir la terreur qu’il provoque en toi. « Je t’avais dit de pas sortir d’ici jusqu'à ce que je revienne de chez Jimmy. Alors pourquoi il y a verre sur la table en bas ? Tu peux m’expliquer, Iago ? » Tu te mordis la lèvre et te flagellas mentalement pour avoir oublié de remettre ce verre à sa place. « Je suis désolé… » Répondis-tu d’une voix tremblante en sachant parfaitement que cette erreur allait le mettre en rogne. « Iago, Iago, Iago… Tu comprends pourquoi je fais ça hein ? » Il s’approcha lentement, tandis que tu reculais comme si ça pouvait servir à quelque-chose. Tu te retrouvas rapidement bloqué par le mur qui se trouvait derrière-toi alors qu’il n’était plus qu’à quelques centimètres. « Je peux pas me permettre de te laisser te promener seul ici. Tu risquerais d’aller jusque dans ma chambre et me piquer des trucs. Encore. » Dit-il en insistant particulièrement sur le dernier mot en voulant te faire passer un message on ne peut plus clair. « Comme tu m’as piqué mon père, hein ? » Un sourire se dessina sur ses lèvres. Un sourire malsain qui lui aussi faisait passer un simple message. Il releva son bras par-dessus ta tête et ferma son poing pour te l’envoyer en plein visage. Tu t’appuyas sur le mur pour ne pas tomber. Tu en avais envie, mais ce n’était que le début. « P’tit con ! T’es qu’une vermine ! Il a juste eu pitié de toi, c’est tout ! » Gueula-t-il d’une voix si forte qu’elle raisonna jusqu’à l’étage du bas tout en te rouant de coups. Il n’avait que quelques années de plus que toi. Ce n’était qu’une brute parmi tant d’autres. Non… C’était différent. Il était et restera le seul à parvenir à te faire trembler. Ton frère adoptif.

2015.

« Putain ! » Hurles-tu de rage en serrant ton poing aussi fort que possible. Tu le serres car tu savais que d’ici quelques minutes il finira par s’élancer. Pour finir où ? Tu n’en as aucune idée. Tu craints même de connaitre la réponse. « Iago calme-toi s’il te plait… » Il s’approcha de toi en sachant bien ce qu’il risquait. « Respire et essaie de faire le vide. » Une nouvelle tentative pour te faire entendre raison. Tu ne les comptes plus. Car plus les années passent, plus tu luttes intérieurement contre toi-même. Ou plutôt contre les séquelles de ton passé. Désormais un rien parvient à te faire sortir de tes gongs. Un rien t’incite à répondre par la force, de la seule manière qui te permet d’extérioriser ton mal-être. Extérioriser ta colère. Extérioriser ta douleur. Extérioriser toutes ces émotions qui te submergent en rafale sans crier gare. Tu étais dangereux. Tu l’es toujours. Pourtant il est là, prêt à t’épauler tandis que tu t’efforces de lui tourner le dos. L’amour, un sentiment bien mystérieux auquel tu avais eu raison de ne pas t’attarder jusqu’ici. Car à présent qu’il fait partie de ta vie tout est bien plus compliqué. Il est là, tout le temps. Il est devenu ton exutoire pour toutes ces crises qui te poussent dans tes retranchements. Il est devenu celui sur qui tu te déchaines malgré tes efforts pour en faire autrement. Tout comme il s’était déchainé sur toi autrefois. Ça te détruit de l’intérieur comme ça le détruit de l’extérieur. Plus encore : ça te dégoute. Tu te dégoutes toi-même de ne pas avoir la force de t’éloigner de lui en sachant parfaitement qu’il ne le fera et que tu n’iras pas en t’arrangeant. Un dégoût qui te conduit à la colère. La colère qui te conduit à la haine. La haine qui te conduit au remords lorsque tu te retournes alors qu’il pose sa main sur ton épaule pour te réconforter et lui décoches un de tes plus violents crochets du droit. Un coup qui le fait traverser la pièce pour atterrir sur la table basse qui s’effondre sous son poids. Ton regard est vide et ta main est tremblante. Tu te perds face à cette vision d’horreur qui s’offre à toi. « Je… Je suis désolé… Je voulais pas… » Balbuties-tu en faisant les cents pas. Tu voudrais l’aider, mais tu ne le peux pas. Tu as trop honte et trop peur pour ça. Alors tu fais les cents pas avant de donner un nouveau coup dans le mur cette fois-ci tout en poussant un râle d’agonie. Ce n’est pas la douleur de la rencontre entre ton poing et le plâtre, mais cette pression qui s’exerce sur ton cœur et que tu ne peux plus contenir. Tu l’aimes. Tu rêves d’une histoire idyllique, mais ce n’est pas pour vous. Ce n’est pas pour toi. Malgré les apparences tu n’es qu’un danger pour les autres.

Citation :

Iago est né et a grandi à LA. + Sa mère était une immigrée clandestine qui a tout sacrifié pour lui garantir un futur mais aussi sa sécurité en faisant attention à ne pas se faire expulser du territoire américain. + Celle-ci s’est prise une balle perdue lors d’un hold up qui a mal tourné et est morte sur le coup. + L’officier en charge de l’enquête s’occupa de Iago et d’un commun accord avec sa femme ils finirent par entamer une procédure d’adoption. + Bien qu’encore sous le choc suite à la perte de sa mère, il aurait pu s’en remettre si toutefois son frère adoptif ne l’avait pas considéré comme une menace avec l’attention que ses parents lui portaient et le prit en joug quelque temps après son arrivée au sein de la famille Hyland. + Plus âgé et plus fort, il fit respecter son autorité de bien des manières que ce soit au moyen de torture physique ou psychologique. Prétextant à chaque fois s’être battu dans la rue pour ne pas en subir davantage, la seule personne au courant se dressant entre lui et Iago était leur jeune sœur, son pilier. Elle est la seule devant qui il s’autorise à baisser sa garde. + Il garde de nombreuses séquelles de son parcours que ce soit sur son corps grâce à quelques cicatrices mais aussi dans son esprit, celui-ci l’ayant complétement détraqué. + Bien qu’il semble être un gars tout à fait normal, attentionné et souriant, personne au premier abord ne se doute qu’en réalité il est lunatique et a beaucoup de mal à gérer ses émotions en particulier la colère, la peur et la jalousie. + Une fois hors de lui il ne se calme qu’en donnant des coups que ce soit contre un mur ou le visage du premier malheureux qui ose le chercher. + C’est pour cette raison qu’il s’est toujours détaché d’un seul sentiment : l’amour. Malheureusement une personne est parvenue à gagner l’accès à ce qu’il reste de son cœur et il en fait les frais puisqu’il lui arrive de se défouler sur son petit-ami. Il est le premier à se rendre compte à quel point leur relation est malsaine, ça le tue d’être violent envers lui mais il n’a jamais eu la force de s’éloigner définitivement de lui par peur de devoir rester seul toute sa vie. + Il voit régulièrement un psychologue pour tenter de se maitriser et atténuer ses crises, sans succès jusqu’ici. + Il a déjà fait une tentative de suicide. + Il s’est déjà fait arrêter de nombreuses fois pour coups et blessures, conduite en état d’ivresse et état d’ébriété sur la voie publique. + Il a commencé très tôt à trainer dans les bars et finalement ceux-ci sont devenus son repère si bien qu’il n’a jamais cherché à faire autre chose que barman même si l’idée de monter sa propre boîte de nuit émerge petit à petit dans son esprit. + Il lui arrive de temps en temps de servir en tant que videur. + Pratiquant de nombreux sports pour se canaliser et surtout se défouler, son préféré reste la boxe. + Iago ne dort que très peu puisque généralement il fait toujours le même genre de cauchemars : lui face aux poings de son “frère“. Le jeune colombien fait aussi de l’apnée du sommeil et il lui arrive bien souvent d’arrêter de respirer lorsqu’il dort suivit d’un réveil brutal et de violentes crises d’angoisse. + Le seul souvenir qu’il garde de ses origines : une photo de sa mère qu’il ne quitte jamais, un vieux médaillon qu’il a depuis ses trois ans et son espagnol qui malgré le temps est toujours impeccable. + Il ne ressent la douleur qu’à un certain degré que ce soit quand il donne les coups ou quand il se fait frapper si bien qu’il rechigne d’aller à l’hôpital désormais : le seul médicament dont il a besoin s’appelle vodka. + Il fume comme un pompier. + Il n’a jamais pris de drogues et n’en prendra jamais pour éviter toute catastrophe. L’alcool le rend déjà assez violent pour ne pas en rajouter.