IL FAUT ETRE FORT POUR TRAVERSER LE TEMPS

Comme je le disais, je suis donc né à Calgary, dans l’Alberta au Canada. Seul enfant d’un couple américano canadien, j’ai grandis dans ma ville natale, en développant une passion pour les sciences. La physique, la biologie, la botanique, même les mathématiques me passionnaient. Il fallait dire que j’avais la chance, en un sens, de faire partie des bons élèves. Les intellos comme on nous classait. Vous savez, ceux à qui personne ne parle et qu’on laisse de côté parce qu’ils ne sont pas marrants, qu’ils parlent bizarrement et qu’ils sont les chouchous des professeurs. Cela aura au moins eu le mérite de m’apprendre à vivre avec la solitude pour seule compagnie. Malgré tout, je suis parvenu à traverser le temps sans trop de problèmes. Sans grand drame, mais forcément un jour, l’équilibre devrait être rétabli…

Ce qui a changé ma vie c’est mon entrée à l’université de California Institute of Technology (Caltech). J’y avais été admis pour étudier l’astrophysique et, pourquoi pas, obtenir un doctorat en la matière. Au passage, la Californie fut littéralement un coup de cœur pour moi qui n’avait alors connu que le froid de l’Alberta. Mais ce qui changea littéralement ma vie fut un autre coup de cœur. Alisha, une jeune étudiante en ingénierie mécanique originaire de New York. Notre rencontre fut la plus belle (et presque la seule) de ma vie. Immédiatement, nous tombions amoureux l’un l’autre et nous passions les plus belles années de nos vies sur ce campus universitaire. Nous avions le même âge, et le même parcours, même si c’était dans deux matières différentes. Malheureusement pour elle, nous n’avions pas la même santé. En effet, Alisha était atteinte d’une maladie génétique qui ne lui donnait selon les médecins, qu’une espérance de vie de 25 ans, 30 au maximum. Je le savais, elle me l’avait confié très rapidement par honnêteté mais cela n’avait rien changé entre nous car j’étais éperdument amoureux. Depuis, j’ai toujours essayé de me préparer au jour où tout cela prendrait fin. Mais vous avez beau vous faire à cette idée, lorsque le couperet tombe le monde s’écroule autour de vous comme si la nouvelle était inattendue. C’est ce qui m’arriva lorsque je perdis la femme de ma vie à seulement 26 ans. Une énième infection qui s’avéra fatale. Une disparition qui me plongea dans une tristesse sans nom.

Je n’eus même pas le courage de terminer mes études pour obtenir un doctorat, me contentant d’un master en astrophysique, arrêtant les études immédiatement. C’était impossible pour moi de continuer, de rester une minute de plus sur ce campus rempli de souvenirs, de bonheur et de nostalgie d’un sentiment auquel je ne gouterais sans doute plus jamais. La vie n’avait plus de saveur et j’avais parfois l’impression de marcher à coté de moi-même, tel un esprit a côté de son cadavre. Malgré tout, malgré la peine, malgré l’impression qu’une partie de moi était morte avec elle ce jour-là, je n’arrivais pas à en abandonner ma propre vie. Il vient un moment où il faut choisir entre tourner la page, où fermer le livre... Je n'ai pas eu le courage de fermer le livre, ou peut-être ais-je trouvé la force de tourner la page...

J’ai donc décidé de ne pas rentrer au canada mais d’entreprendre les démarches pour devenir professeur. Enseigner cette matière aux étudiants me permettrait au moins de garder un contact avec la société plutôt que de m’enfermer dans ma coquille. De ne plus bouger de chez moi et finir par déprimer vraiment. Une fois mes diplômes acquis, j’obtins un poste à UCLA ce qui m’enchantait car la Californie me donnait vraiment la sensation d’être chez moi. Là où est ma place. Depuis 4 ans maintenant, je suis enseignant à l'université de LA. Une période de désert sentimental et relationnel. Et lorsque je regarde la voute céleste, je me dis qu'Alisha est un peu comme une étoile parmi les autres. Elle est paisible, loin de moi, inaccessible mais toujours là pour briller et attirer mon œil. Et peut-être qu'un jour, qui sait, un nouvel astre apparaitra vers moi tel le soleil qui cachera la noirceur de la nuit, mais derrière sa lumière éclatante, se trouvera toujours cette étoile que je n'oublierais jamais, même si je ne la vois plus.