Ses mots sont durs. Ses mots sont puissants. Ses mots me transpercent mieux qu'une lame aiguisée. N'ouvrant pas seulement mon corps, mais aussi mon âme. Comme pour atteindre directement mon cœur et les sentiments qui y sont enfermés. Mon regard ne se sépare plus du sien. Mon attention ne divague pas. Je suis totalement concentrée sur elle. Appréciant ses mots, les laissant couler dans mes veines pour nourrir le sentiment de manque qui me hante. Comme si chaque mouvement et chaque mot réalisé par la belle brune me permettrait de remplir un vide qui s'est construit tout ce temps. Un an sans elle. Elle me demande de ne pas la laisser disparaître. Et d'en faire autant. Nous aurions dû nous promettre cela il y a bien longtemps. Je me mords la lèvre inférieure. Ne pouvant pas lui répondre. Je ne peux rien nier. Mais je ne peux pas non plus acquiescer à sa demande. Je ne connais pas l'avenir et je ne souhaite absolument pas la décevoir. Pas lui faire de mal. Ou en tout cas, sûrement pas de manière volontaire. Elle répète son souhait, de ne pas disparaître. J'aimerais rester silencieuse. Encore. Faire en sorte de ne donner aucune promesse. Mais son geste, sa façon de replacer la mèche de cheveux, sa présence, ce tout, me perturbe. Et le silence que j'aurai gardé d'ordinaire va être brisé. J'aurais préféré faire honneur à mes principes et me taire. Dans ma logique, le silence amène à aucune prise de risques. Mais aujourd'hui, je n'arrive pas à garder le silence. " Je suis là. " Glissais-je doucement. Mes yeux se plissant légèrement. Comme la guimauve qui fond, reflétant l'état de mon coeur à ce moment précis. " Je suis là et je ne partirai pas. " Pas aujourd'hui en tout cas. Pas demain non plus je l'espère. J'aimerai dire jamais. Mais comme dit le proverbe, il ne faut jamais dire jamais.

Le contact visuel s'interrompt. Le moment de flottement s'arrête. Et l'instant où rien ne semblait pouvoir nous atteindre dans nos retrouvailles se brise. Un filet rouge vient briser l'harmonie du visage de l'ancienne Gamma et je glisse un tendre. " Talya ... " d'inquiétude. Elle semble chercher de quoi estomper le filet rouge. Je la laisse faire. Ne sachant pas comment agir. Je ne suis pas médecin. C'est elle qui sauve les gens, pas moi. " T'es sûre ? " Je continue d'être inquiète. Surtout quand elle me certifie que ce n'est rien, qu'il ne s'agit que du froid. Je n'y crois pas une seule seconde. Je m'approche d'elle. Posant alors une main sur son épaule pour lui faire comprendre que je ne veux pas de ça. Le mensonge. " Ce n'est pas le froid. " J'en suis certaine. Tu ne m'auras pas. Je ne vais pas pouvoir croire un tel argument. Je soupire et décide d'intervenir. Fouillant dans mon propre sac à main une seconde et en sortir un mouchoir. " Viens là. " Lui dis-je en prenant son visage de la main gauche et en essuyant le sang qui coule de la main droite. " Que se passe-t-il Talya ? " Je meurs d'inquiétude et je ne sais pas quoi faire pour l'aider.

Le mensonge s’éclipse. Comme un château de sable qui se fait évincer par la marée haute de l’océan. La vérité prend le dessus. Quelque fois elle se reflète davantage et d’autres elle se tarit dans son propre creux. Les mots sont tombés. Le problème est révélé. La cocaïne. Ce mot se répète dans mon esprit et je ne sais pas quoi répondre. Gardant mon mouchoir appliqué sur le visage de la brune, sans un mouvement. Que dois-je dire ? Dois-je poser la question ? Puis-je ? En suis-je simplement capable ? Est-ce que je souhaite savoir ? Pourquoi ? Pourquoi fais-tu cela Talya ? Pourquoi t’infliges-tu ce mal ? Est-ce régulier ? Est-ce occasionnel ? Aimes-tu ça ? Aimes-tu faire souffrir ton corps ? Est-ce à cause de moi ? Est-ce mon absence ? Ou ma présence qui a déclenché ce saignement ? Pourquoi ? Mon esprit n’est qu’interrogations et je garde toujours autant le silence. Le regard dans le vide. N’osant pas un seul instant dire quoi que ce soit. J’attends que ce soit elle qui parle. Qui brise ce moment où je suis partie dans mes pensées. Elle me supplie. Je l’entends à peine. Ne pas lui en vouloir. De quoi pourrais-je lui en vouloir ? Que pourrais-je lui reprocher ? D’avoir dit la vérité ? De m’éviter un mensonge ? De se droguer ? De se détruire la vie ? Elle meurt de honte et je reste statique.

Le saignement s’est arrêté maintenant. Mon mouchoir est inutile. Comme ma présence si proche avec Talya. Je détache mon emprise sur sa nuque et en profite pour caresser sa joue en retirant ma main. Je cherche son regard à l’aide du mien. Sans réussir à le trouver. Je prends mon courage, expire doucement et décide de prendre la parole. C’est à moi de dire quelque chose. Je le sais. Je le sens. Talya a besoin que je parle. Je me pince les lèvres et me lance. « Je ne  t’en veux pas. » C’est la vérité. La révélation a jeté un froid, personne ne peut nier ce fait, mais il ne s’agit sûrement pas d’un sentiment haineux. Je n’ai pas à lui en vouloir. Qui suis-je pour la juger ? Elle qui emplit mon cœur. Elle qui illumine mon visage grâce à sa simple présence. « Regardes-moi. » Soufflais-je doucement pour voir son visage se relever dans ma direction. J’ai besoin de capter son attention. J’ai besoin de voir ses prunelles, de détecter un sentiment. Ma main toujours sur sa joue. Mes mots restent bloqués dans ma gorge. Je ne sais pas quoi lui dire. Je ne sais pas comment encaisser la révélation. Alors j’agis. Et dépose un baiser sur ses lèvres. Retrouvant leur gout. M’apercevant qu’elle m’avait manqué plus encore que ce que je pensais. Mon cœur bondit rapidement dans ma poitrine. Et je détache l’emprise que je possède sur la brune. Souriant doucement. « Ais-je l’air de t’en vouloir ? » Tentative pour désamorcer la pression qui s’est installée. Mes yeux brillent. De l’avoir retrouvée. De l’avoir face à moi. De pouvoir gouter à nouveau à ses lèvres. Et pourtant, je dois demander. Cela me brûle d’envie. Je dois savoir. « Pourquoi la cocaïne ? » Je n’ai aucune nécessité de connaître la réponse. Je n’ai aucun droit de réclamer une réponse. Mais j’ai envie de savoir. J’ai besoin de savoir. « Ne réponds pas, si tu ne veux pas. » Après tout, je ne suis pas en train de la torturer. Elle n’est pas ligotée. « Saches que je suis là. » Que tu veuilles ou non me parler. Et je la prends dans mes bras en calant mon visage dans son cou. Humant son parfum que je n’avais pas senti depuis si longtemps.

Notre proximité est stoppée nette. Repoussée. Sans comprendre, je plisse le regard vers Talya, qui semble avoir pensé à autre chose. Elle voit toujours plus loin. Alors que je ne vois que le moment présent. Je la laisse me tirer vers elle, me prendre la main et je la suis aveuglément. Comme je l’ai toujours fais. Et comme j’aimerai le faire encore longtemps. La suivre. Toujours. Sans se poser de questions. Sans avoir peur. Être simplement seules, elle et moi. Elle connait les lieux, comme si elle est habituée à tout ça. Nous arrivons à un parc, rien de fantastique, rien d’extraordinaire, mais de quoi nous éloigner du bruit de la ville, des curieux qui jettent des regards à la sauveuse du jour quand ils arrivent à nous trouver, de la population. Nous nous éloignons. Pour être ici. Seules. Dans ce calme. Ce bien être qui nous frappe. Sa main vient chercher la mienne quand nous marchons sur les sentiers, et je la laisse faire. Appréciant ce contact. Appréciant sa démarche. J’ai toujours cru que la timidité de Talya tuerait notre histoire à un moment donné. Et jusqu’ici, elle m’a toujours surprise. Dans le bon sens du terme. Sachant à quel moment faire fuir sa timidité pour être la femme dont je rêve. Je l’ai perdue de vue durant tellement de temps. Sa main dans la mienne me rappelle cela. Cette absence. Pourtant, je la laisse faire et m’en accommode. Je n’ai pas envie d’être celle qui dirige tout aujourd’hui. Avec elle. Je veux profiter de la retrouver. Enfin.

Notre marche passive s’arrête pour laisser place à un moment de repos. Ou ce qui semble l’être, à première vue. Prenant place sur le sol près d’un arbre. On aurait pu s’allonger, se prendre dans les bras, s’embrasser et faire comme si le monde extérieur n’existe pas. Mais Talya prend la parole, et sûrement pas pour s’éclipser avec moi. Alors je m’assois à côté d’elle, les paumes de main dans l’herbe, les jambes dépliées, mes yeux fixés sur elle, je l’écoute. Attentivement. M’attendant à une révélation. Le creux de mon estomac me titille une seconde. Mais je n’y fais pas attention. « Je vois » Lâchais-je finalement. Comme une libération à la tension. Je suis partagée entre le fait d’en connaître davantage. Et le fait de respecter sa souffrance. De respecter le silence qu’elle souhaite. Ma curiosité est là, mais je ne sais pas si je dois l’écouter. Je préfère y aller mollo. « Tu veux en parler ? » Mes yeux cherchent les siens. « Ça peut aider, mieux que le truc que tu prends. » Pour ne pas dire cocaïne. Pour ne pas citer le mot interdit.

Je me redresse. Je ne suis pas sa mère. Pas sa sœur. Peut-être même pas son amie. Mais avec ce que nous avons vécu, je pense avoir le droit de donner mon avis. Je pense avoir le droit de prendre la parole comme je le fais. « C’est de la merde ce que tu prends et tu le sais. Peut-importe ce que tu as vécu, il doit y avoir une meilleure solution. » Je marque un temps de pause pour souffler et prendre sa main dans la mienne pour la porter à mes lèvres et déposer ce petit baiser. Doux. Rassurant. « Tu te détruis. » La conclusion me semble parfaite. Pour mieux rebondir. « Et je ne veux pas que cela t’arrive, pas à toi. » Car je tiens trop à toi. Car maintenant que je t’ai trouvé. Je ne te laisserai plus partir. Regardes moi. Restes avec moi. Arrête cette merde. Fais de moi ta drogue s’il le faut.

Elle le sait. Mais cela ne change pas le fait qu’elle continue, qu’elle continuera probablement encore. Qu’elle se détruit. Son visage se relève et je vois ses yeux rougis. J’expire doucement. Touchée par cette vue qu’elle m’offre. La vue d’une Talya sans défense, à la merci de n’importe qui. J’ai envie de la prendre dans mes bras. Qu’elle se livre à moi comme elle ne l’a fait avec personne d’autre. Qu’elle aille mieux. Que ses yeux ne rougissent pas ainsi ou pour une autre raison. Ses doigts se serrent aux miens pendant qu’elle me souffle de ne pas m’inquiéter. Chose impossible pour moi. Car toutes mes pensées vont dans ce sens. Dans cet élan d’inquiétude pour elle. Pour sa santé. Son bien-être. Que s’est-il passé ? Que t’est-il arrivé belle Talya ? Je n’arrive pas à parler. Pas à dire un mot. J’ai trop peur de stopper l’élan dans lequel elle vient de se lancer. Je la laisse parler. Recueillant chaque élément comme s’il s’agissait d’un puzzle qui me permettrait de l’aider. Je viens de la retrouver et je la vois se détruire, d’elle-même, de son intérieur, comme une grenade qu’on vient de dégoupiller, elle pourrait exploser d’un moment à un autre. Je ne souhaite pas voir cela arriver. Pas tant que je serai à ses côtés. Quitte à ne plus la quitter. Plus jamais.

Ses mots sont profonds. Ils ressemblent à une promesse. Qu’elle fait à elle-même. Qu’elle me donne comme un cadeau de retrouvaille. Peu convaincue d’abord, il me faut une seconde pour être certaine de ce qu’elle vient de dire. « Promis ? » Demandais-je doucement. D’une petite voix. Je fixe son regard. Plonge mes yeux dans les siens pour être certaine de ce qu’elle vient de dire. Cela semble sincère, tellement sincère que je me mets à y croire. Comme si je venais de trouver une branche sur laquelle me raccrocher pour sauver Talya de ses démons. « Je ne te quitte plus dans ce cas. » Dis-je en resserrant un peu plus mon étreinte de mes doigts sur les siens. Je ne peux plus la laisser seule. Je ne peux plus la laisser face à la cocaïne qui nuit à tout ce qu’elle est. Et ce qu’elle pourrait devenir.

Je me rapproche d’elle, passe un bras autour de ses épaules, la tire vers moi et dépose un baiser sur son front avant de m’allonger dans l’herbe. Elle m’a manqué. Je la retrouve. Je la veux. Pour toujours. Mais je sais que ce moment s’arrêtera à un moment donné. Le regard dans le vide. Une main distraite qui passe dans ma chevelure blonde. « Tu me raconteras un jour ? » Demandais-je sans oser relever le regard vers elle. « Tu me raconteras pourquoi tu prends ça ? Ce qu’il s’est passé ? » Je ne veux pas la forcer. Je ne veux pas forcément connaître la raison. Simplement l’aider. Peut-être que la guérison commence par cela aussi. Le début de cette prise de cachetons, d’herbe, de merde qui te tue à petit feu. « Talya … » Glissais-je doucement après un léger silence qui vient se poser sur nous comme un voile. J’attends de pouvoir m’accrocher à son regard quand je dicte son prénom. « Viens là. » Dis-je en tirant sur son bras pour qu’elle s’allonge avec moi. Sur ce coin d’herbe où personne ne peut venir perturber notre instant. « Tu m’as manquée » Et te voir te détruire ainsi me détruit aussi. Je ne veux pas de ça. Je te veux toi et seulement toi. Un bras autour de ses épaules, je respire son odeur et dépose un baiser sur sa joue.

Je souris d'abord. Doucement. Légèrement amusée. Sans croiser le regard de la brune, préférant observer les nuages. Ah elle n'a pas changé. Toujours cette petite curiosité, cette façon de poser les questions délicates comme si de rien n'était. Je souris. Car j'apprécie sa manière de faire. Et sa manière d'être. Je mets un instant à répondre. Comme si le silence permettait d'ajouter quelque chose à mes mots. Alors que la réalité, c'est que ce silence, est juste pesant et dur à ne pas violer. " Il y a toujours mon frère ... " Commençais-je en omettant volontairement de répondre à la dernière question. Tentant de détendre l'atmosphère avec une petite touche d'humour et par la même occasion, y aller doucement. Délicatement. Mais la tentation est trop grande. Sa main qui se pose sur moi me fait perdre les armes en une seconde. Je ne peux pas résister plus longtemps à garder le silence. " Non. " D'abord. Clair. Net. Et précis. " Non ce n'était pas un accident ... " Pourquoi le serait-ce ? Aurais-je osé faire cela si quelqu'un était dans ma vie ? Oserais-je faire cela si je n'en avais pas envie ? Si je ne le voulais pas ? Si je ne la désirais pas pour moi ? Je reprends ma phrase, sans la laisser ajouter autre chose. " ... et cela ne le sera jamais. " Car mon cœur me dicte tout bas que je ne pourrai jamais avoir de regrets à faire rencontrer nos lèvres. Une nouvelle fois l'envie est là. Quand je baisse mon regard sur elle, enfin. Je lutte. Et décide de retourner mon attention sur le ciel bleu, les nuages, sur autre chose que cette femme qui pourrait me retourner le cerveau en un claquement de doigts.

Elle a piqué ma curiosité. Elle pose cette question et celle-ci vient me tarauder. Depuis combien de temps ne l'ai-je pas vu ? Je ne sais plus, cela parait bien loin. Beaucoup de choses ont dû changées et si ... Si elle pose cette question alors il se pourrait que ... " Et toi ? Tu as fini par faire ta vie avec quelqu'un ? " J'essaie de rester le plus neutre possible. Comme si cela ne m'affectait pas. Alors qu'en réalité, en mon intérieur, mon cœur se déchire à la simple idée que cela puisse être vrai. Qu'elle puisse être avec quelqu'un et que ce que nous vivons en ce moment n'est rien d'autre qu'une légère parenthèse dans sa vie. Que demain, cela sera oublié. Effacé. Je prie intérieurement pour que je me trompe. Je l'espère tellement. Talya. Je t'en prie. Ne me brise pas l'espoir de te retrouver.

Je ferme les yeux. Passe ma main dans les cheveux de la belle brune. Je les caresse calmement. Sereinement. " Alors après tout ce temps tu as réussi à devenir médecin ? " Finalement. Un sujet banal. Cela peut être bénéfique quelque fois. Surtout ne pas aborder les sujets sensibles. Les sujets qui pourraient nuire à nos retrouvailles. Les yeux clos. Je profite de notre proximité, de ce doux contact. Pourquoi ais je posé cette question si au final je n'écoute même pas la réponse ? Si je suis bien trop absorbée à savourer l'instant ? J'écoute. Vaguement. De façon lointaine. Comme si je n'avais plus les pieds sur terre.