Il était dix heures du soir, Jonas avait terminé sa journée et s’étalait maintenant de tout son long sur le lit cosy de son loft au 16ème étage de l'immeuble, les yeux sur le plafond et les bras écartés. Il était un peu hagard après cette journée pénible, six jours plus tôt un collègue mu par la jalousie ou l’aigreur l’avait menacé de révéler au bureau certains de ces méfaits, mais c’était seulement aujourd’hui que les choses s’étaient envenimées avec Burns. La femme de Burns avait disparu pendant plusieurs heures, et tout s’était précipité dans la même journée. On avait retrouvé son véhicule, portière ouverte et effets personnels éparpillés hors des rangements, sur le parking de Walmart. Ça c’était pour la matinée.

Après quelques investigations jusqu’à la mi-journée, son collègue Burns et le FBI avaient découvert des liens entre le célèbre gang hispanique de la 18ème rue et l’enlèvement. Burns appela Jonas en l’implorant de relâcher sa femme, sa voix courroucée et sanglotante était mêlée de colère. L’agacement de Jonas au téléphone s’était terminé par des vociférations. Comment pouvait-on l’associer à ces petites frappes vulgaires recouvertes de tatouage ? A vrai dire le Franco-américain avait un réseau huppé too big to jail de malfrats intouchables capables de régler certains problèmes à partir d’une seule instruction.

Jonas avait Burns en ligne de mire depuis les menaces qu’il avait proféré contre lui, et il avait logiquement pris les devants. Mais lui-même avait été surpris par la méthode de ces contacts, ou plutôt hilare au point de recracher une gorgée d’eau au repas de midi en repensant à la nouvelle. Mais jamais ô grand jamais il n’avait contacté les latinos de la 18ème rue, il était passé par un intermédiaire et lui avait donné toutes les informations du FBI sur l’agent Lewis. La suite dépendait de cet intermédiaire.

Avant dix-sept heures la femme de Burns avait été retrouvée saine et sauve dans un garage, les yeux bandés et les mains liés au dossier d’une chaise. Son sac avait été volé pour faire croire à un vol banal. Jonas était présent avec une unité du FBI, le regard dévasté de l’agent Burns s’était posé sur lui avant de se baisser tandis qu’on emmenait sa femme dans une ambulance.

Jonas ne savait pas quoi penser du regard fuyant de Burns, peut-être que c’était une abdication et qu’il ne lui chercherait plus de poux, ou alors le comportement de quelqu’un qui allait parler. Le problème c’est que Burns n’avait aucune preuve de son implication, donc la première supposition était probablement la bonne.

Mais ça n’empêchait pas Jonas de cogiter, étalé sur ce lit. Comment en était-il arrivé là ?

Tout commença en France, à l’âge de 36 mois. L’aînée des Martel prit l’avion pour la première fois pour la Californie, laissant derrière lui Paris sans l’avoir connue. Son père n’était pas encore un militaire mais un civil rattaché à la marine française et son but était de rejoindre la prestigieuse US Navy dans le domaine des sciences appliquées.
La famille était aisée et s’installa dans la ville de Calabasas en périphérie de Los Angeles, un cadre idéal pour l’éducation de Jonas et des trois cadettes. Son père lui apprit à viser haut dans les études et c’est comme ça qu’il finit à Berkeley Law, la redoutable fac de Droit.

Il était devenu juriste et avocat, donc tout aussi intellectuel que son géniteur. Mais il ne l’avait fait que pour le satisfaire. Ouvrir un cabinet comme avocat ? hors de question. Passer sa vie à éplucher des articles de loi comme juriste au Département de la Justice de Californie, impensable.

Il voulait être spécial et en tirer profit. Après tout sa sœur cadette Meredith, elle, était spéciale. Elle s’était tirée de la ville après sa sortie de désintox sans rien dire à la famille.

Quand il entra à Quantico, l’académie du FBI, il n’avait pas encore la cupidité d’aujourd’hui, il était pleins de rêves et de fascination pour l’institution. Mais après la formation d’agent son tempérament de joueur cupide le poussa à tout risquer pour contrôler les deux faces de la ville. Il tomba d’accord avec certaines grosses têtes du crime organisé à Los Angeles tout en poursuivant son travail de manière régulière. Résultat, Jonas a un compte off-shore qui enfle a vue d’œil et une résidence secondaire dans les alpes françaises pour se reposer de la chaleur de Californie. De plus la France n’extrade pas ses ressortissants vers d’autre pays, ce qui est bon à savoir.

Jonas quitta ses pensées un instant et bougea du lit. Près de la fenêtre il se servit un remontant, devant lui la ville constellés de lumières artificielles et d’étoiles s’animait par la baie vitrée. Il avait essayé de se changer les idées après cette journée mouvementée. Il était allé à la salle de sport plus bas dans l’immeuble trois heures plus tôt, il s’était même dépassé tellement la distraction était forte. Ensuite il s’était douché, mais perdu dans ses pensées ça n’avait pas été un grand moment de détente. Il avait finalement mangé en consultant des affaires en cours sur son ordinateur sécurisé, peut-être pour se rappeler qu’il était aussi un agent soucieux de la sécurité de ce pays.

Dans quelques jours il travaillerait avec la DEA, et tout particulièrement avec l’agent Paige Malarky, ce qui pourrait ne pas plaire à certains mafieux en ville qui avaient sa confiance. Il ne jouait plus sa partition seule jusqu’à nouvel ordre, mais avait-il vraiment à s’inquiéter ? Ce n’est pas comme si toute tous les cartels et mafias de la cité étaient des alliés. Il faudrait vraiment une coïncidence pour que les emmerdes commencent à s’empiler.