La porte sonne lorsqu'en j'en traverse le seuil. Je la laisse se refermer derrière moi avant de m'avancer silencieusement à travers les meubles recouverts de livres. Des livres de toutes les tailles, toutes les formes, tous les poids et de toutes les couleurs. Et si nous vivions dans un monde où les livres avaient une conscience ? Se feraient-ils des discriminations lorsque nous aurions le dos tourné ? Rejetteraient-ils tous ceux à la couverture trop peu élaborée, et aux pages trop déchirées ? Y aurait-il du harcèlement inter-livre et si oui, quelles en seraient les règles ? Mes doigts caressent une couverture reliée tandis que je chasse cette idée anodine de mes pensée.

C'est calme, aujourd'hui. Je suis venu un samedi après-midi exprès. Pour toutes mes qualités, il y a également tout autant de défauts dont je suis incapable de me défaire, malgré toute la volonté au monde. Ma curiosité en fait partie. Lorsque mon agent m'a mis au courant de la liste des librairies dans lesquelles je me devais d'aller faire des séances de dédicaces, le besoin de me rendre à toutes celles que je ne connaissais pas encore s'est fait immédiatement ressentir. Sans réfléchir à deux fois, j'ai donc saisi mon manteau avant de partir à l'aventure. Un sourire se dessine discrètement sur mon visage lorsque j'aperçois au loin, quelque part vers le fond de la boutique, une couverture que je ne connais que trop bien ; celle de l'édition originale de Lost in Languishing. Puis, je m'avance de la caisse, à la recherche du vendeur. Maintenant que je suis ici, autant me familiariser avec le lieu, ainsi que ses occupants.

Un accueil chaleureux comme une main qu'un sourire. Un sourire rayonnant comme un éclat de lumière. Ma librairie ... C'est le propriétaire. Mes lèvres s'étirent pour dévoiler mes dents légèrement malmenées par la combinaison tabac-café.

– Bonjour. Buzz. Enchanté. Pas d'hésitation à ce niveau là : je lui présente l'auteur et non l'homme en moi. Il me connaît probablement déjà ; le cas contraire, cela ne saurait tarder, vu la session de dédicaces prévue pour un jour prochain. Autant préserver le peu d'anonymat qu'il me reste tant qu'il soit encore possible de le faire. Peter Michaels. Peu de gens sont au courant que l'un est en réalité l'autre et cela me convient parfaitement ainsi. Il me demande si sa librairie me plaît et je ne réfléchis même pas avant de lui accorder ma réponse.

– Oui, oui, elle semble très ... Confortable. Je souris à nouveau. Elle n'a pas grand chose à voir avec les grandes librairies auxquelles j'ai pu être habitué, au fil des années, mais ceci n'est qu'un détail. Elle est malgré tout assez spacieuse et semble effectivement être un lieu dans lequel me poser quelques heures ne me dérangerait absolument pas. En ce qui concerne la superficie des lieux, il faut bien recommencer quelque part. Je ne suis plus l'auteur que j'étais pendant mes années dorées.

– Cela fait longtemps que vous êtes ici ? Je lui demande finalement, avant de feuilleter un livre choisi aléatoirement. Je parle bien évidemment de la librairie. Il ne me semble pas qu'elle existait avant mon départ pour New York, en tous les cas. Il faut dire que peu de choses ont survécu au passage ravageur des années. Ma jeunesse et mon mariage en ont également payé les frais.