« Vicky Victoire des îles, tu fais quoi ? » Je lève les yeux derrière mes lunettes de soleil de la dernière collection de Chanel. Kate est là et je n'ai pas envie de la voir. Qu'est-ce qu'elle n'a pas compris dans mon dernier message ? Elle a couché avec James alors qu'elle aille voir ailleurs si j'y suis. « Casse toi Kate ou je te brise les deux genoux » Je vais avoir du mal à le faire, il n'y a pas à dire. J'ai la force d'une mouche du haut de mes seize ans et rien pour la blesser. Je doute que mon portable et mon bikini lui fasse le moindre mal. « T'es sensée être ma meilleure amie et tu t'es tapée mon copain ! Et tu oses venir avec la bouche en cœur comme si rien n'était ? Je pense que tu te fous de ma gueule, vraiment » Tant de gros mots qui sortent de ma bouche, ça ne me ressemble pas. Je suis plutôt polie et souriante d'habitude mais là, j'ai du mal. À seizee ans, j'ai déjà eu de nombreux petits amis, j'ai brisé de nombreux cœurs... Mais je n'ai jamais couché avec qui que ce soit. Je l'aimais vraiment bien James. Je comptais le présenter à mon père à la prochaine soirée qu'il organisera et passer à l'action. Manque de bol, il n'y a plus personne à présenter. Et plus aucune action à venir. Merci Kate. Merci James. « Tu n'es plus la bienvenue ici Kate. Pars ou j'appelle Henry et il te fera sortir » Je ne vois pas souvent mon père parce qu'il travaille beaucoup. Du coup, je vis avec un tas de personnels. Henry, Kimi, Lana, Oriane, Philip, Liam pour n'en citer que quelques uns. « Mais je peux t'expliquer ! » Je daigne enfin me redresser et la regarde. Elle a les mains jointes, elle est suppliante et j'ai envie de la pousser dans la piscine. « Henry ! » Lançais-je si fort que même de l'autre côté de la rue, on a du m'entendre. « Je vais faire de ta vie un enfer Kate, vraiment » Calculatrice, manipulatrice et je suis un peu la reine des abeilles chez moi et à l'école. Mon père a toujours voulu m'élever comme une enfant normale en m'envoyant dans une école publique. J'ai reçu une éducation assez... spartiate. Ma mère me gâtait plus que tout, mon père tentait de me cadrer et quand elle est partie faire sa vie avec un autre, ça a dégénéré. Henry raccompagne ma meilleure amie à la sortie et je m'assois au bord de la piscine. Mon père me dit souvent que je vis comme une femme alors que je ne suis qu'une enfant mais je m'en fiche. J'ai besoin de m'amuser et ce que font les filles de mon âge, ça ne m'amuse clairement pas... Un léger rictus se dessine sur mon visage et je sais ce que je vais faire demain. Réunion d'urgence avec les filles demain.

« Tu m'envoies à Los Angeles ? » Je regarde mon billet d'avion et fronce les sourcils. Mon bronzage est parfait pourtant, je reviens de trois mois de vacances à Miami... Mon père fait un signe de main et Henry se dépêche de mettre mes valises dans la voiture. Henry, ce bel Henry... Ça fait deux ans qu'on couche régulièrement ensemble et que personne ne se rend compte de rien. Il est plus vieux que mon père mais ça ne me gêne pas du tout, loin de là. « Oui. Définitivement. Je ne veux pas d'une petite traînée de dealeuse dans mes pattes ! Je sais très bien qu'elles sont tes activités nocturnes Victoire et il est hors de question que tu continues sous mon toit ! T'es pire que ta mère ! Je vais prendre mon poste de consul de France ici, à New York, et tu vas tout gâcher ! » me balance-t-il en plein visage. J'ai commencé par voler deux petits trucs dans la boutique où bosse la mère de Kate pour la mettre dans la merde. Puis on est passé à quelques vols un peu plus... risqués. Jusqu'à ce que je me lasse. Conduite en état d'ivresse il y a six mois et papa m'a sauvé. Et là, je m'ennuie au point que je finisse par dealer. De l'adrénaline en barre et je kiff bien. La discussion dérape rapidement. Il insulte Maman et moi par la même occasion. Je lui crache au visage et tourne rapidement les talons. « Pauvre connard ! » Hurlais-je de l'autre bout de la maison. Je le sens derrière moi et accélère le pas. Sur le chemin, j'attrape Henry et l'embrasse. « Tu sais quoi ? Pendant que tu bossais la nuit, je me tapais Henry ! » Beuglais-je en faisant un joli doigt d'honneur à mon géniteur avant d'entrer dans la voiture et de la laisser prendre la rue principale. Je tourne la tête et le voit, la bouche grande ouverte. Henry semble choqué, perdu et sait qu'il va perdre son travail. Mais ce n'est pas grave, il n'est qu'un dommage collatéral. Je prends mon portable et le balance par la fenêtre. Il veut me mettre à la porte, m'envoyer à l'autre bout du pays et bien soit. Il n'aura plus jamais de nouvelle de sa petite fifille de vingt-cinq ans. L'âge que ma mère avait quand elle m'a eu.
Lorsque j'arrive à l'aéroport, on m'attend. Deux gorilles sont là et me mettent rapidement la main dessus. Mon père avait des consignes à me donner et je n'en ai écouté aucune, bien entendu. Il m'a coupé les ponts. Je vais devoir me débrouiller pour subvenir à mes besoins. Certes. Ce que je faisais là haut, je compte bien le faire ici aussi. Mais peut être de manière moins visible, moins risquée. En Californie, la vente de marijuana à des fins médicinales est autorisée. J'aime trop ce que je fais, je n'abandonnerais pas.

Face à Xintya, je me confie. Allez savoir pourquoi mais c'est bien la seule personne à qui je fais confiance dans cette putain de ville. Je lui parle de Jeremiah, de ce qu'on a fait et pas fait. Je pourrais rester des heures à parler de cet enfoiré. « Je sais très bien que tout ça, c'est pas sain. Mais sérieusement, il avait pas d'autres solutions que de se barrer ? C'est un lâche » crachais-je avec rage et haine. Deux ans de relations malsaines mais deux ans de relations quand même. Jeremiah est presque la première personne que j'ai rencontré ici et je crève d'envie de le retrouver. Mais il s'est enfui. Disparu sans laisser de traces. Les messages restent sans réponses, les appels sont sans retour et je ne connais personne qu'il connaît. C'est un inconnu, un connard de plus. Même si ce connard là, il me plait vraiment bien. Il est déchiré, il m'a déchiré. Idéalisé, mis sur un pied d'estal, il avait tout, absolument tout pour lui. Même moi. J'étais sienne. Et plus rien. La colère est insupportable, insurmontable. J'ai l'impression que mon coeur va exploser, que mon cerveau va se barrer en courant. Je vais finir par m'enfoncer sans lui, la seule terrible constante de ma vie.

Les jours se suivent et se ressemblent. Je déteste toujours autant mes voisins, j'ai toujours envie de les vomir au point que je décide de déménager. Changer de quartier, nouveau départ pour une nouvelle vie. Trop de souvenirs avec Jeremiah. Ici, personne ne soupçonne rien, personne ne vient râler lorsque Taylor Swift résonne trop fort et que je me défonce la cervelle au champagne. Personne ne se plaint. Mais ma vie est simple, calme, peut être un peu trop... C'est l'adrénaline qui me fait vivre. Et là, je meurs. Alors, après une soirée arrosée, je fous le feu à mon appartement et le regarde brûler depuis le trottoir d'en face. Trente ans, plus d'appart, plus rien. Plus rien à part cette boutique de vente de marijuana. Et la vente de mano a mano dans les rues de la ville, retour aux sources, à ce qui me faisait vivre. Et à la recherche d'un appartement, aussi.