Ton regard, ton corps tout entier, ne peuvent s'empêcher d'être attirés par elle. Ta raison te crie, te hurle, encore et encore, que c'est une mauvaise idée, que c'est un sentier dangereux dans lequel tu t'aventures. Tu ignores tout ça; Tu n'as pas le choix. Tu as toujours tout fait en fonction de la raison. Tu es une personne réfléchie, pas impulsive du tout. Tu as toujours besoin de contrôler ce que tu fais, ce que tu es; Tu ne t'es jamais laissée la possibilité de faire quelque chose parce que ton coeur en avait, parce qu'une pulsion te mettait en mouvement. Tu as un projet, un avenir. Dessiné petit à petit, au fil des années, au fil des expériences. Un projet qui tient la route, qui t'emmènera loin, très loin. Tu as toujours tout fait pour n'avoir rien à te reprocher. Fille exemplaire. Elève studieuse. Amie loyale. Inarrêtable, imparable, tu étais. Tu avais cette armure forgée dans le plus beau métal, qui te protégeait des erreurs. Facile à dire, et facile à faire. C'était ton moyen de fonctionner. Profiter de ta jeunesse en préparant le grand avenir que tu avais. Pourquoi tout ceci est au passé ? Parce que pour la première fois de ta vie, c'est ton coeur qui a parlé, qui a dicté, qui a tout dirigé. Les sentiments, trop forts. Le désir, trop intense. La raison balayée. Il n'y avait plus qu'elle.

Bénévole dans la campagne de Jeff Graham comme sénateur, tu vivais un rêve. Premier pas dans la politique. Tu n'étais personne, au premier abord. Une bénévole de plus. Mais on a vite compris que tu pouvais être un bon atout, pour le futur;.Etudiante en sciences politique, grande connaisseuse de ce monde, tu as rapidement créé quelques liens, plus ou moins importants. Un réseau, qui se monte peu à peu. Des idées affirmées, intelligentes et argumentées, le tout dans une diplomatie exemplaire. Tu as le paraître autant que tu as le savoir. Entre beauté et malice. Entre curiosité et connaissance. Toujours bénévole, mais le visage qui devient de plus en plus familier lors de grands événements, de grandes rencontres. Et c'est la découverte, la grande découverte. Ava Graham. La femme du politicien que tu soutiens, que tu aides. Ava à la tenue parfaite. Ava au sourire qui transperce les coeurs. Ava à la gentillesse inégalable. Ava à la force de caractère. Ava la potiche de son époux, qui sature, peu à peu, de n'être que la femme de, que l'ombre de. Ava qui se confie à toi, sans vraiment savoir pourquoi. Ava qui te fait confiance, alors que tu n'es personne. Ava qui s'immisce dans ta vie, comme tu t'immisces dans la sienne. Parce que ça devait être comme ça. Ava qui te sourit, qui pose sa main sur ton épaule, qui t'écoute, qui croit en toi. Ava qui t'embrasse. Et ça dérape.

Tu as déjà aimé, mais jamais comme ça. Pour la première fois de ta vie, tu as l'impression d'être importante. Tu as l'impression que tu n'as pas besoin d'être parfaite, et exemplaire, et sans cassures, pour être aimée. Pour la première fois, toutes tes pensées sont tournées vers une personne qui réchauffe ton coeur, qui réchauffe ton corps. Ca dérape parce que vos intimités se mêlent. Ca dérape parce que les sentiments naissent. Ca dérape parce qu'elle est mariée, plus âgée, et importante dans le sillage politique. Tout dérape parce que tu oublies ta raison et que tu laisses ton coeur s'exprimer. Tu te sens libre, pour la première fois de ta vie. T'as l'impression de voler, et tel un Icare désabusé, tes ailes brûlent. T'es amoureuse d'une femme mariée.

C'est bien rapidement que la mari comprend. T'es là bien souvent, sa femme veut ta présence, et puis, il n'a qu'à voir tes yeux qui brillent d'une flamme pour comprendre. Ton monde s'écroule alors, cette bulle de bonheur explose, et cause des dégâts. Jeff Graham n'est pas un amateur. Il veut gagner le sénat, et il veut triompher dans les plus hautes sphères. Il gagnera sa place, toute cette campagne n'est plus formalité pseudo démocratique. Il te serre le poignet, te regarde dans les yeux, collée contre le mur. Il te menace. Des mots durs, des mots nets, qui t'écorchent toute entière. Il est puissant, il est malin, il ne veut pas perdre, ni sa femme, ni sa campagne. Il te conseille de quitter la campagne, de quitter la capitale, et  de t'en aller, de ne plus jamais revenir dans le monde politique, ou il t'écrasera comme un insecte. Il menace non seulement ton avenir en politique, il menace aussi ta vie. Et alors, tu pars.

Tu arrêtes tes études, c'était ta dernière année. Tu dis au revoir à tes parents, à tes amis. Tu invites des excuses bidons, mais qui marchent, car tu sais manipuler et manier le langage. Tu demandes de l'aide à ton pasteur, qui t'envoie alors dans un couvent à Los Angeles. Bonne sœur tu deviendras, jusqu'à ce que tu n'aies plus peur, jusqu'à ce que tu puisses reprendre une vie normale.

Seule à Los Angeles, comme bonne soeur.

L'avenir que tu avais, déchiré, envolé.

Te reconstruire, tu dois.

Comment ? Tu ne sais pas encore.