Prudemment, les converses de la blonde aux bras chargés frôlaient le bitume tandis qu'elle se dirigeait vers la porte d'entrée de chez son frère. Elle avait convenu d'un petit entretien avec lui bien que ce dernier était peu conscient de l'importance des paroles qu'elle devait lui délivrer. Une délivrance oui. Dans un sens c'était un peu ça. Pendant un temps, Clarence et Leaven avaient gardé la nouvelle pour eux, égoïstement probablement mais maintenant, elle était prête à l'annoncer à sa famille et elle se devait bien de le dire à celui grâce à qui tout avait commencé. Leaven et Clarence seraient-ils vraiment restés ensemble si Aaron n'était pas entre eux? Aurait-il pu la conseiller aussi bien quand l'orage grondait sur leur couple si Clarence n'avait pas été le meilleur ami du photographe? Probablement pas. C'était pour cette raison - et évidemment le fait qu'il était son principal pilier dans la vie - que la jeune femme voulait lui dire en premier, même avant leur mère, c'était dire.

Posant le carton au seul près d'elle, elle frappait à la porte, sachant parfaitement qu'à cette heure, la petite Valentina devait dormir. Patiente, elle ne mettait pas de temps à distinguer la son de la porte qui s'ouvrait et la voix de son frère qui s'élevait dans l'air. Naturellement, un sourire franc et ravi se hissait sur le visage de l'aveugle jusqu'à ses oreilles. « On va commencer avec un gros câlin. » Une étreinte dont elle prenait les devants en s'approchant de son frère, atterrissant sans difficulté dans ses bras. Se détachant finalement de lui, elle souriait tendrement. « Si tu pouvais prendre le carton, ça m'arrangerait aussi. S'il te plait. » Elle avait beau connaître les lieux par cœur à présent, elle ne voulait pas malencontreusement posé le carton sur un meuble déjà occupé par d'autres objets possiblement fragiles. « Alors dis-moi, comment ça va? L'avancée des travaux pour la galerie se passe bien? »

Le carton en question était un carton de déménagement, le couvercle de ce dernier en attestant. Il n'était pas spécialement lourd mais il semblait tout de même assez plein. « Avec Clarence on a décidé de profiter du déménagement pour donner quelques trucs à des associations mais on s'est dit que ça pouvait t'intéresser d'abord peut-être. » Dans un sens, ce n'était pas tout à fait faux. Ce qu'Aaron ne voulait pas partirait bel et bien pour une association mais elle doutait fortement qu'il refuse d'avoir ce mug qu'elle avait spécialement mis pour lui. Un mug où trônait à l'intérieur une photo polaroïde de Valentina déposant un baiser sur le ventre de sa tante agenouillée à sa hauteur et où les écritures My aunt has my cousin in the oven se lisaient sur la partie blanche de la photographie.

Il ne l’a pas vue depuis deux semaines, peut-être trois, sans que cela ne soit synonyme d’une souffrance particulière. Des années se sont déjà écoulées depuis le jour où Aaron a retrouvé Leaven, suite à sa longue disparition. S’il n’a pu retenir sa tendance à la surprotéger durant les premiers mois et à régulièrement aller la voir, il a désormais retrouvé un équilibre salvateur dans sa relation avec sa sœur. Il est indéniable que la savoir entre de bonnes mains, auprès de son meilleur ami, n’est pas innocent dans ce détachement, devenu même presque symbolique. Sans émettre la moindre la résistance, il ouvre ses bras pour la réceptionner contre lui et ainsi exprimer, à sa façon, la tendresse qu’il ressent à son égard. Il est vrai qu’entre elle et lui, plus rien n’est à prouver, et pourtant il y a des gestes et des attentions qui ne cessent pas, bien trop précieux et emblématiques. Aaron attrape ensuite le carton mentionné en s’interrogeant sur ce qu’il peut bien contenir ; sa main effrontée s’apprête d’ailleurs à relever le couvercle mais, par chance, Leaven lui pose des questions qui le retiennent in extremis d’aller plus loin. C’est après avoir refermé la porte derrière eux qu’il y répond, sur un ton enjoué. “Franchement, je me demande si les gars ne prennent pas une substance magique avant de bosser. Ils sont en avance sur tous les délais imposés et c'est propre.” Cette galerie représente en partie l’ascension sociale d’Aaron, étant aussi sa plus grande fierté, et cela doit s’entendre au ton de sa voix. Lui, néanmoins, a décidé de mettre de côté les propos de son banquier datant d’il y a quelques mois, lorsque ce dernier lui avait fait cette plaisanterie pourtant lourde de sens qu’en cas d’échec, le photographe devrait dire adieu à ses biens fonciers pour réparer ses si grandes ambitions… Car cette galerie ne lui a pas été donnée, bien au contraire, mais ça il n’en parlera pas avec Leaven. Les femmes et le business… “Du coup le moral est au beau fixe. Pas d’inquiétude.” Aucune qu’il ne laissera s’exprimer, tout du moins.

Tous les deux se dirigent jusqu’à la pièce à vivre de la villa et Aaron pose bientôt le carton sur la large table design qui ne supporte qu’une coupole en son centre, elle-même pleine de fruits variés. Quand Liv lui fait comprendre que le contenu du carton peut lui revenir, il ne se fait pas prier et retire enfin le couvercle créateur de mystère. “De la part de deux engagés humanitaires comme vous, je doute que ce soit des babioles insignifiantes.” Ses mains caressent d’abord des pans de tissu, sûrement voués à habiller quelques infortunés de ce monde, et se posent bientôt sur ce qui ressemble à une tasse. “Quoique...” Murmure-t-il, amusé, considérant à première vue ce mug comme une “babiole insignifiante”. “Tu sais, je pense qu'ils auront plus à faire avec des vêtements qu’avec des tasses.” A vrai dire, il n’aurait pratiquement pas considéré cet objet (dont il a seulement vu la face arrière) si quelque chose à l’intérieur n’avait pas attiré son attention. Une photo que ses doigts agrippent et qu’il regarde… subjugué. “Qu’est-ce que...” Dit-il alors, ses yeux fixés sur le petit message, puis sur sa fille embrassant le ventre de sa tante. La bouche d’Aaron s’entrouvre, sous l’étonnement, l’incompréhension, le doute, puis sur l’éventualité… que ce soit réel, qu’elle soit enceinte. “Oh seigneur.” Il délaisse la photo, regarde à nouveau le mug et sur la bonne face, cette fois. “Oncle Aaron”. Tout est plus clair, désormais. Le voile est levé. “Seigneur, seigneur…” Répète-t-il, complètement sous le choc de la surprise. La photo dans une main et la tasse dans l’autre, il relève enfin ses prunelles sur Leaven. “Je ne pensais pas que… ” Que quoi, au juste, Aaron ? Qu’elle franchirait ce cap, aussi vite ? Qu'elle t'enverrait un texto pour te dire que ça y est, elle s'y mettait ? Ses lèvres s’étirent tout à coup et il rit doucement de ses propres mots. De la situation. Désirant plus que tout l’enlacer pour la féliciter, il ne le fait néanmoins pas de suite. Non pas dans le but de l’enquiquiner, seulement pour qu’elle l’aide à atterrir. C’est pourquoi, abandonnant les deux objets sur la table, il se rapproche d’elle, à moitié nerveux, et vient poser sa main sur la sienne, avant de dire : “Il va falloir que tu me pinces si tu veux que j’y croie vraiment.”

Un rire passait les lèvres de Leaven sous la réflexion de son aîné. Il se demandait comment les hommes de son chantier pouvaient travailler aussi vite et surtout aussi bien. Une réflexion qui ne pouvait que faire réagir la blonde. « Je paris qu'ils sont tombés dans la marmite comme Obélix. » Une boutade qui la ramenait quelque peu dans son enfance, quand Aaron lui lisait et lui décrivait les bandes dessinées comme il le pouvait. Étrangement, les histoires d'Astérix et Obélix étaient ses préférées. En grandissant, elle avait réaliser que les aventures des deux héros étaient un appel au courage et la positivité, c'était probablement les raisons qui la poussaient inconsciemment à aimer ces histoires. Un courage dont son frère faisait preuve en ouvrant cette galerie. Elle connaissait les ambitions du brun, elle connaissait cette manière qu'il avait de se lancer des défis ou dans de grands projets et aujourd'hui elle était fière du chemin qu'il avait parcouru. Il ne ressemblait en rien à leur père et elle savait que c'était l'une des craintes de son aîné. Il pouvait dormir tranquille, il était bien loin de tout ça. « J'ai hâte qu'elle ouvre pour que je puisse en parler à la radio. » Pour ça qu'elle le ferait parce qu'elle était déjà persuadée que ça serait un haut lieu de la culture et même si elle ne pouvait pas en profiter à cause de son handicap, elle comptait bien lui donner un petit coup de pouce si elle le pouvait.

Bientôt, elle autorisait Aaron a ouvrir le carton pour y chercher des trésors. En réalité, elle doutait que quelque chose puisse réellement l'intéresser dedans. Elle le connaissait par cœur, Aaron était plutôt du genre à acheter neuf qu'à reprendre les choses des autres, encore plus quand il savait que si ça n'allait pas à lui, ça irait à des personnes dans le besoin, ce qu'il n'est clairement pas et qu'il assume totalement d'ailleurs. « Hé! Eux aussi ont le droit de boire dans un contenant. » disait-elle en feintant la justification alors qu'elle savait très bien qu'Aaron avait raison et surtout, elle comprenait qu'il avait attrapé le mug en question qu'elle attendait qu'il trouve. Son sourire s'agrandissait à mesure des paroles d'Aaron. Elle ne pouvait s'en empêcher, c'était presque automatique. Il comprenait, il réalisait que Valentina allait être une cousine, lui un tonton, Clarence un papa et elle une maman. Pourtant, elle restait silencieuse, se mordant un peu la lèvre inférieure dans un sourire franc.

Elle n'avait pas besoin de confirmer, Aaron savait très bien que c'était quelque chose qui lui faisait peur et qu'elle ne ferait jamais de blague là-dessus. « Et pourtant si. » Sa réaction la faisait sourire. Elle se doutait bien que le grand Campbell peinait à réaliser que sa sœur puisse être enceinte. Les mois étaient passés depuis qu'elle lui avait parlé de sa peur, les mois étaient aussi passés depuis qu'elle avait accepté de faire un enfant à Clarence et qu'elle s'était rendu compte qu'elle l'attendait. Des mois, toujours des mois... Clarence dirait sûrement: enfin! là où Aaron semblait vouloir dire: déjà... « Me tente pas Campbell, je risquerais de te faire du mal. » disait-elle en plaisantant, évidemment. A la place de ça, elle qui avait prévu le coup, sortait une photo de la poche de son jean, une copie de son échographie originelle qu'elle avait évidemment donné à Clarence. « Ça fait un peu plus de deux mois maintenant. » Un sourire malicieux sur les lèvres, elle ne pouvait s'empêcher de rajouter. « Je compte sur toi pour préparer mentalement Clarence. » alors que tous les deux savaient bien qu'entre elle et lui, c'était lui le plus pressé et le plus demandeur pour ce bébé.

“Je compte bien sur toi pour en parler à tes fans. Tu es mon premier soutien !” Déclare Aaron à sa petite sœur, d’un ton à la fois léger et sincère. Pour la mention des “fans”, c’est parce qu’il est persuadé que certains auditeurs sont déjà tombés amoureux de sa frangine. Certes la radio est un média auditif, mais les gens sont aujourd’hui suffisamment informés pour poser des visages sur tout le monde et n’importe qui, n’est-ce pas ? Outre cela, pour ce qui est du soutien, s’il peut compter sur une grande poignée d’individus pour lui faire de la publicité, elle ne sera néanmoins jamais aussi efficace qu’un message sorti de la bouche de Leaven, son propre sang, et en qui il a toujours pu compter.

Comment une ambiance peut-elle changer du tout au tout en quelques secondes à peine ? Comment Aaron aurait-il pu rester tranquille et ne pas flancher en apprenant la nouvelle ? La grande nouvelle ! Cela a le coup d’un électrochoc pour lui, à tel point qu’un frisson tout particulier, jamais ressenti auparavant, lui parcourt le long de l’échine. Jamais il ne s’est projeté aussi loin. Jamais il n’a imaginé Leaven enceinte de façon aussi nette. A ses yeux, ce n’était pas vraiment quelque chose d’envisageable. Pourquoi ? Il l’ignore et il ne serait sans doute pas le seul. Un frère doit-il forcément être capable d’imaginer sa sœur devenir mère ? A-t-il loupé une étape dans la construction de leur fraternité, au fil des années ? Lui ne croira en rien de tout ça. La seule chose qui compte pour lui, c’est de voir cette petite étincelle dans les yeux de sa sœur, pourtant éteints depuis des années. Il voit qu’elle est heureuse, que c’est un événement qui ne l’effraie plus autant qu’avant. Rien que sa venue et tout ce stratagème le lui prouvent. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça lui réchauffe le cœur. “Deux mois ?” Répète-t-il, encore sonné. Deux mois. Deux mois…

Entre ses doigts, cette fois, l’échographie qui atteste de l’existence du petit être à venir. Aaron regarde le cliché avec une émotion toute particulière ; il se revoit deux ans en arrière, dans sa chambre rouge, le jour où Shaé lui a fait la surprise pour Valentina. Il n’était pas prêt, loin de là, bien qu’il soit aujourd’hui plus prêt que jamais à affronter toutes les peines du monde à la place de sa fille. Et c’est tout ce qu’il souhaite à sa sœur pour les mois, les années à venir. Qu’elle développe cette connexion ô combien précieuse qu’il a lui-même pu construire avec sa progéniture. Si Leaven pouvait recouvrir la vue pendant un instant à peine, elle verrait cette lueur d’émotion dans les yeux légèrement humides du photographe, plongé dans quelque chose d’aussi fort qu’inexplicable. “Je suis tellement heureux pour toi, et pour Clay.” L’un des souhaits les plus chers de son meilleur ami, si ce n’est le plus cher, va s’exaucer d’ici quelques mois, et cela ravive davantage le sourire d’Aaron. “Je crois qu’il n’aura pas besoin de moi pour ça. Le bébé pourrait arriver maintenant qu’il serait déjà paré à ne plus dormir la nuit comme une lionne.” Répond-il en riant, tout en se rapprochant de Leaven. Sans cérémonie, il la serre dans ses bras et vient déposer un baiser fraternel sur sa joue, marquant toute l’affection et la complicité qui les lient. “Ce bébé aura la chance de t’avoir dans sa vie. Félicitation p’tite sœur.” La pudeur le retient de poser ses mains sur ce ventre qui abrite déjà la vie, mais il n’hésite néanmoins pas à demander, tout sourire : “Je parie sur un petit blondinet, futur surfeur aux cheveux longs comme son père. Et toi ?”

Un simple hochement de tête suffisait pour confirmer. Leaven n'avait pas besoin de se répéter. Si ça se voyait à peine, assez pour que même Clarence qui la regardait tous les jours - et la tripotait, soyons clair, ce type n'avait aucune résistance - ne remarque rien de particulier, ça faisait bien deux mois que le bébé s'était installé et qu'il se développait tranquillement à son rythme. Deux mois que l'avenir de la cadette Campbell et de l'aîné Burns prenait un tournant à quatre-vingt-six degré. Si une part d'appréhension restait là, au fond de son estomac et finalement comme tout le monde quand un tel événement arrive, elle n'en restait pas moins heureuse, très heureuse même et ça se voyait. Ce n'était pas seulement l'idée de réaliser le rêve de famille de Clarence, ce n'était pas seulement le fait de passer par dessus ses peurs. C'était un tout. Agrandir leur famille, faire le bonheur de son entourage, se sentir investi d'une mission bien plus grande qu'elle et que le reste de l'humanité. Elle portait un enfant, un être-vivant qui allait avoir besoin d'elle, d'eux, chacun d'entre eux. Elle portait l'avenir du monde, de leur monde et c'était une chose qu'elle avait autant de mal à réaliser mais qui rendait son sourire d'autant plus franc.

Pourtant, elle craignait un peu la réaction de son frère. Elle entendait son sourire dans sa voix, l'émotion dans la surprise mais qu'en pensait-il vraiment? Lui qui avait déjà une petite fille et qui était séparé de sa mère, ne pensait-il pas qu'ils allaient trop vite? Ou au contraire considérait-il que ça n'allait que renforcer leur amour et qu'ils étaient en âge d'aller plus rapidement que des gosses de vingt ans à peine, trop pressés de grandir et d'être parents? Finalement c'est l'étreinte chaleureuse de son frère qui la rassurait tandis qu'elle refermait ses bras autour de lui, le cœur au bord des yeux humides d'émotions fortes mais tellement plaisantes. « Merci doudou. » Doudou, ce surnom qu'elle lui donnait quand ils étaient gosses pour la raison simple qu'ils dormaient souvent ensemble et qu'Aaron était son doudou grandeur nature, pour la protéger, pour la rassurer. Elle était persuadée qu'il saura l'être de nouveau pour ce bébé. Chassant ses larmichettes de bonheur dans un rire, elle secouait son index dans l'air pour signifier un non ferme et radical. « Jamais de la vie qu'il aura les cheveux longs si c'est un garçon, c'est trop galère, je l'accepterais que pour une fille. » Pour sûr que ce bébé ira souvent chez le coiffeur si c'est un mini Clarence. « Je parie seulement pour un bébé énergique, fille ou garçon, je le sens comme ça. » Haussant un peu les épaules, son sourire en coin presque gêné mais ravi la trahissait. « Il pourrait être hermaphrodite que je l'aimerais tout pareil. » Simplement parce qu'elle l'aimait déjà. « Et donc tu la gardes cette tasse j'espère? J'ai trop galéré à en trouver une avec ton prénom, pour un peu t'aurais eu que la photo. » demandait-elle en sachant parfaitement la réponse.

Sous le coup de l’émotion, Aaron ne réfléchit à rien d’autre qu’au bonheur de sa sœur, et à son bonheur personnel, évidemment, de voir leur famille s’agrandir. Depuis la naissance de Valentina, tout a déjà pris une dimension nouvelle, mais avec l’arrivée de ce deuxième bébé, ce sera la consécration de la plus jeune génération. Lui papa, elle maman, leur mère grand-mère, les parents de cette dernière arrière-grands-parents… De quoi donner le vertige à ces trentenaires pourtant déjà bien installés dans leur vie. Mais là, avant tout, c’est l’attendrissement qui atteint Aaron. Voir sa petite sœur au bord des larmes, et pas celles qu’il a pu voir quand elle n’était qu’une enfant, cela a le don de l’émouvoir davantage. Décidément, tous les frère et sœur de ce monde ne peuvent pas être aussi sensibles que ces deux-là.

Pour chasser les larmes, il embraye sur la question du sexe du bébé, car évidemment elle titille l’esprit. C’est toujours avec une impatience mêlée à de l’excitation qu’on attend de savoir si une petite fille ou un petit garçon rejoindra notre cocon et Aaron, ayant déjà vécu ça lui-même, se doute que ce doit être pareil pour sa sœur et son meilleur ami. Si Leaven semble catégorique sur le sujet des cheveux, il s’imagine Clarence beaucoup plus ouvert d’esprit. Cela lui arrache un petit rire incontrôlable. “Je sens les disputes venir...” Puis il rebondit sur ces prochains mots - concernant l'hermaphrodisme - pleins d’une tendresse typiquement maternelle qu’il ne partage pas autant, ou pas de la même façon, en tout cas. “Ta bonté te perdra, Liv.” Il sourit, mais derrière ce sourire se cache une divergence d’opinion assez nette. Aaron n’est pas un homme dont l’ouverture d’esprit est criante, bien loin de là, et ce que l’on peut espérer, c’est que sa propre fille ne lui communiquera pas de trop ses problèmes existentiels, une fois l’adolescence entamée…

Toujours enlacé à sa cadette, le photographe considère sa dernière question avec amusement. “Je boirai mon café du matin dedans, comme ça je penserai à vous tous les jours. N’est-ce pas génial ?” Demande-t-il, pour taquiner la blondinette, avant de se détacher d’elle et d’aller ranger la tasse dans le placard. Quant à l’échographie, il la place entre la paroi du frigidaire et un aimant. Laissant son regard planer dessus encore une seconde, il finit par murmurer, songeur : “C’est tellement dingue, de se dire qu’il est bien là.” Puis, il se tourne vers Leaven, choisit de s’asseoir à côté d’elle, les deux avant-bras sur la table comme un gamin. “Raconte-moi la réaction de l’autre grand bougre. Je veux tout savoir, pour pouvoir le réutiliser contre lui un jour.”

L'émotion était forte. Autant de s'avouer enceinte que d'entendre la joie dans la voix de son frère en passe de devenir tonton et très certainement parrain, sans aucune surprise pour ça. La famille s'agrandissait, la génération suivante était en marche amenant avec elle une part immense de bonheur. Du bonheur, oui, ce n'était que cela. Beaucoup d'émotions également, toutes positives, les unes autant que les autres. La question du handicap de Leaven était mise de côté au profit de celles relatives au bébé et c'était tant mieux ainsi. Si Leaven avait toujours cette part d'appréhension qui ne s'envolerait jamais, elle avait réussi à mettre de côté les questions ne pouvant être résolues avant la naissance du bébé et les craintes relatives qui étaient ou non justifiées. Pour le moment, qu'on ne lui pose pas de question sur ça, ça lui allait très bien. Ça lui permettait, dans un sens, de comprendre qu'on voyait en elle une future mère bien avant d'être une future mère handicapée capable de commettre des erreurs au détriment de son enfant. C'était rassurant qu'au premier abord on ne lui posait pas des questions sur les possibles problématiques mais qu'on s'en réjouisse.

Souriante, elle balançait un peu sa main avant, comme pour chasser les paroles du photographe. « Mais non, il y aura pas de dispute sur les cheveux... je lui laisserais pas le temps de dire qu'il veut des cheveux longs que j'aurais déjà mis un coup de ciseaux sur une mèche. » ironisait-elle, bien qu'elle en serait tout à fait capable pour obliger Clarence à prendre rendez-vous dans un salon de coiffure. D'autant plus que pour elle, des cheveux courts sur un garçon c'était une facilité en plus pour le coiffer sur laquelle elle n'allait pas craché. Laissant son aîné ironiser à son tour sur l'utilité qu'aurait le mug dans sa vie de tous les jours, elle ne pouvait que confirmer la suite de ses dires. « Ça je te le fais pas dire, c'est dingue dans tous les sens du terme. » Dingue parce qu'elle ne réalisait pas vraiment et dingue finalement parce que ça ne faisait même pas trois ans qu'elle était avec Clarence qu'elle était déjà enceinte. Enfin... tout était relatif puisque Valentina était arrivée plus rapidement encore mais la petite fille de son frère était un bébé surprise alors que pour le coup, celui de Leaven était plus programmé que jamais. Fonder une famille aussi rapidement, c'était dingue oui, clairement et en même temps, elle était intimement persuadée qu'ils ne faisaient aucune erreur. Maintenant ou plus tard? Quelle différence? Etre sûrs de leur couple? Elle l'était déjà, Clarence l'était déjà.

Assise à la table, elle souriait à se rappeler de la réaction de Clarence. « On aurait dit un grand gamin à qui on annonçait un séjour à Disneyland. » Elle se devait d'être plus précise quand même... sinon Aaron pourrait jamais l'utiliser contre le grand blond. « Il est rentré tard ce soir-là, du coup j'étais endormie sur le canapé, son dîner l'attendait dans le four avec une lettre du bébé d'un côté et l'échographie de l'autre. » Elle ne pouvait pas s'empêcher de rire à ce souvenir. « Je crois qu'il m'a jamais réveillé aussi brutalement en fait. Il s'est mis à beugler dans toute la maison avant de venir me faire un câlin pour savoir si c'était vrai. » Levant un doigt comme si une idée venait de lui traverser l'esprit, elle ajoutait quelques mots. « Je le suspecte d'avoir un peu pleuré si tu veux tout savoir. » Elle avait entendu l'émotion dans sa voix, d'où la suspicion mais elle n'était sûre de rien. « Il en a oublié son dîner quelques instants tellement il était excité comme un acarien au salon de la moquette. » Elle savait que l'image plairait beaucoup à son frère pour mieux se moquer gentiment de Clarence. C'était le juste retour des choses quand elle avait avoué à Clarence qu'Aaron se faisait appeler la petite moule quand ils étaient plus jeunes, toujours accroché à son appareil photo. Dorénavant, c'était Aaron qui avait le droit de se moquer un peu de son meilleur ami avec un surnom ridicule. Donnant, donnant. « Valentina cousine... j'ai un peu de mal à réaliser je t'avoue. » Riant un peu, elle rajoutait quelques mots. « Je suis désolée aussi de t'annoncer que Clarence et toi vous allez être obligés d'oublier l'idée de marier vos enfants entre eux. » disait-elle en riant, ayant eu vent de cette utopie que Campbell et Burns avaient eu plus jeunes.

La relation des deux enfants était bientôt au cœur de la conversation quand Leaven reprenait l'utopie que les deux hommes s'étaient faite pendant leurs années d'amitié. Elle s’immisçait dans leur projet mais dans sa petite tête, c'était pour le meilleur. Si Leaven n'avait pas été la mère de l'enfant de Clarence, il y aurait eu un fort risque que les deux bouts de chou soient amis dans un premier temps, peut-être un couple dans un second temps et malheureusement des ex dans un troisième temps. Alors que là, en étant la mère biologique de ce bébé, les deux enfants pouvaient se bouder autant qu'ils le voulaient, le lien de sang ne serait jamais rompu et quoi qu'il pouvait arriver, Valentina et le bambin à venir serait de la même famille et rien que pour ça, Leaven trouvait un autre point positif à cette grossesse qui mettait en jeu son ADN et celui de l'acarien. « On te dira ça dans un mois si tu vas avoir des remords ou non. » Plaisantait-elle. Sur les remords en tout cas parce qu'elle ne doutait pas de l'impatience qu'avait son petit-ami de connaître le sexe de leur bébé et elle lui laisserait, cette fois, le privilège de l'annoncer à Aaron... à moins qu'ils fassent les saloperies en gardant le sexe du bébé pour eux mais bon... Clarence et sa surexcitation légendaire pour les enfants, encore plus pour le sien, seraient sûrement les premiers gaffeurs. Déjà qu'elle avait eu du mal à lui faire tenir sa langue jusqu'à aujourd'hui.

Bientôt, l'épineuse question de ses peurs venait sur le tapis et elle était légitime, surtout de la part du photographe qui connaissait sa petite sœur par cœur. Elle qui avait attrapé le doigt de son aîné suite à son gentil chahut et qui n'avait pas lâché sa main en profitait pour se concentrer là-dessus, ses doigts se serrant un peu plus contre les paumes d'Aaron, comme un réconfort qu'elle venait chercher d'elle-même. « Dire que j'en ai pas, ça serait mentir mais elles sont moins présentes, moins oppressantes. » Haussant les épaules, elle semblait lui faire appréhender ses prochains mots parce qu'ils résonnaient, au regard de la blonde, comme une évidence qu'elle énonçait quand même. « Chaque futur parent a peur de mal faire les choses je crois. Je me suis faite une raison que j'avais un obstacle en plus par rapport aux autres, par rapport à toi par exemple mais que c'était pas impossible. J'ai toujours fait en sorte que mon handicap ne constitue pas une limite même s'il s'impose partout. Je suis pas la première aveugle à à mener une grossesse et je serais pas la dernière non plus. Si c'est pas avec Clarence, ça sera avec personne. »

Un sourire naissait néanmoins sur ses lèvres, un signe qu'elle était apaisée sur cette peur de mener une grossesse et de s'occuper d'un enfant pour des raisons simples qu'elle ne tardait pas à énoncer. « J'avoue que de savoir Clarence voyant et toi pas loin, ça m'aide aussi pour la suite. Je sais que je pourrais compter sur vous et éventuellement sur maman. Finalement les seules peurs qui restent vraiment, c'est le changement physique parce qu'il m'arrive déjà de me cogner alors avec un ventre en plus dont je vais ignorer exactement la taille et qui évolue tout le temps, ça me fait peur mais encore une fois, je suis pas la première. Après c'est surtout le fait que notre bébé risque d'être aveugle lui aussi mais pour ça, je peux rien faire à part attendre et éventuellement m'en vouloir s'il se trouve être dans le même cas que moi. » Pour ça, elle en avait conscience, elle savait d'avance qu'elle s'en voudrait de faire subir son handicap à leur enfant et qu'elle se sentirait certainement égoïste vis-à-vis de cela.