she is the sun, the sun is gone

L'odeur de la poudre. Le son de la déflagration, qui perçait encore ses tympans. Le brusque recul de l'arme, qui quittait désormais ses mains pour aller s'écraser au sol, alors qu'elle tombait à genoux, sous le choc. Comment seulement réaliser ce qui venait de se produire, comment l'imaginer? La veille encore, elle était une paisible étudiante de Stanford, brillante, entourée d'une nuée d'amie, qui avait rendez-vous pour la soirée avec celui qui lui donnait la sensation de tomber d'une falaise (et pour qui elle aurait fermé les yeux sur n'importe quelle activité illicite). Vingt-quatre heures plus tard, son père était un criminel, complice de blanchiment d'argent, qui avait balancé tous ceux qui l'avaient employé pour sortir sa famille de l'eau; ils étaient tous fugitifs, traqués par l'araña, bien décidée à refroidir tous ceux qui avaient un jour été aimés par Jonathan Blackthorn, qui les avait tous trahis; elle était meurtrière, avait refermé les doigts sur l'arme de son père, et avait tiré, droit dans la poitrine de celui qui dirigeait l'araña, alors même qu'il était à deux doigts de descendre sa mère. Le sang, qui fleurissait sur la chemise comme une rose écarlate, le tremblement de ses doigts, l'écho d'un cri, qui parvenait tout de même à franchir sa surdité relative, suite au choc. Une voix qu'elle connaissait si bien, une voix qui lui avait murmuré tant de mots doux, tant de promesses, une voix qui l'avait transportée - une voix désormais imprégnée de désespoir, de colère, et de haine. Un seul mot franchit la barrière de sa gorge serrée, celui de celui qu'elle avait aimé - qu'elle aimait toujours - au point de se sentir consumée en sa présence. 'Tomás.' Elle sentit alors vaguement qu'on la tirait en arrière, incapable de détacher ses yeux des siens, au loin, devenus si fous. Elle avait toujours su que c'était un mauvais garçon, n'avait jamais imaginé jusqu'à quel point. Héritier de l'araña, fils de celui qu'elle avait tué. Celui qui signait désormais son arrêt de mort, elle le lisait dans ses yeux. Elle se laissa un temps entraîner par son père, alors que sa mère se tenait à ses côtés, et que son frère dialoguait à toute vitesse au téléphone - la police, probablement. Fuir. Mais pourquoi? Elle savait que Tomás ne lèverait jamais la main sur elle, il ne l'avait jamais fait. Elle avait toujours cru aux secondes chances, toujours pensé qu'elle pouvait le sauver de lui-même. Il était désespéré. Il devait simplement comprendre que tout cela n'était qu'une erreur. Elle comprit la sienne bien trop tard. Elle s'était dégagée de la poigne de son père, avait ignoré les cris des siens, s'était élancée vers Tomás, et avait alors vu l'éclat métallique, pendant qu'il pointait son arme dans leur direction. Avant de faire feu. Une balle, et elle perdait son père. Une seconde balle, et c'était sa mère, qui s'éteignait. La troisième était pour son frère, et ses réflexes. La dernière pour elle, qui ne l'atteignit que dans le bras - parce qu'Asher était là. Son cadet, qui la regardait avec horreur, avant de s'écarter d'elle avec dégoût. Parce qu'il lui avait sauvé la vie, et qu'elle avait détruit la sienne. Parce qu'elle lui avait tout pris. Tout.

only miss the sun when it starts to snow

Encore hébétée par le choc, elle n'entendait qu'à peine ce qu'on lui disait, les mots étouffés par un épais brouillard. La seule chose qu'elle percevait nettement, c'était la colère froide qui s'échappait par vagues de son frère. Elle-même se sentait comme gelée, enveloppée dans une coque de glace épaisse. Elle ne prêtait pas attention à l'agent du FBI qui se tenait face à elle, et qui lui débitait un flot de mots qu'elle ne comprenait plus. '... une nouvelle identité, selon la procédure du programme de protection des témoins... à Los Angeles, c'est à l'autre bout du pays, un bon début... agent qui s'occupera de votre protection à tous les deux... devrez rester ensemble, pour votre sécurité...' Si bien qu'elle sursauta, lorsqu'elle se rendit compte que l'agent avait cessé de parler, et qu'il la fixait désormais avec compassion. Elle ne voulait pas de sa pitié. Tout était de sa faute. 'Toutes mes condoléances. C'était un regrettable accident, si seulement les autorités avaient pu arriver à temps...' Elle le regarda froidement, et il sembla saisir le message. 'Vous vous appellerez désormais Havilliard. Avez-vous une idée de prénom, ou préfèreriez-vous qu'on choisisse à votre place? Votre frère a choisi de s'appeler Liam.' Choisir son prénom. Beaucoup tueraient pour avoir cette chance. Elle, elle voulait juste récupérer le sien. Kenna Blackthorn était morte. 'Isadora. C'était le second prénom de ma mère. Et Titania. J'aime Shakespeare.'