ORPHELINELes souvenirs les plus marquant demeurent ceux des êtres chers, que nous aimons, que nous adorons, et qui se retrouvent enlevé de manière naturelle ou forcée. Tel fut le cas de ma mère, dont je ne garde pourtant aucun souvenir. J'étais bien trop petit, bien trop jeune que pour avoir de véritables souvenirs et, ce, même si j'ai été amenée à être la première à découvrir son corps, sans vie, dans la chambre parentale, se balançant finement le long d'une corde. Il parait que de telles images vous marquent, que de telles images vous traumatisent... Je ne sais pas si cela a été réellement le cas pour moi. Comme je viens de le dire, j'étais jeune, très jeune, trop jeune... Et peut-être n'en n'est-ce pas plus mal ainsi...? Après tout, comment aurait été mon enfance si j'avais grandi avec cette image imprégnée dans ma mémoire et dans mes souvenirs d'enfant, puis d'adolescente et ensuite de jeune femme consciente ? Je sais que, en la matière ont 'moins de chance' que moi à ce niveau-là. Il n'en demeure pas moins que, à la fois avec honte et soulagement, je peux avouer que je suis 'heureuse' de ne pas me souvenir de cette dernière et ultime image de ma mère.
Il me faudra bien sûr grandir et avoisinner l'adolescence pour que je comprenne partiellement les raisons de son geste : une dépression aggravée. Comment ? Pour qui ? Pourquoi ? Nous n'en n'aurons jamais la réponse, je le crains. Cela ne m'a toutefois pas empêchée de ressentir un mélange de tristesse, de chagrin, de perdition et surtout de colère et de rancoeur envers elle, et surtout face à son geste fatal. Que l'on soit petit ou que l'on soit grand, face à une telle position, n'en ressort qu'un sentiment pour ainsi dire unique : 'Pourquoi a-t-elle eu une telle lâcheté ? Pourquoi n'est-elle pas restée pour moi ?' Une réaction pleinement et purement égoïste, je vous l'accorde. Mais même vingt deux années plus tard, c'est une question qui ne cesse encore de résonner en moi. Peut-être car elle alimente la frustration et la colère. Et que la colère est plus facile à supporter que la peine !
Heureusement, depuis toute petite, je pus compter sur la présence de mon père. Je serais incapable de vous dire s'il a une seule fois pleurer la mort de maman. Si c'est le cas, je ne l'ai jamais vu. Fierté mal placée ou volonté de ne pas m'infliger un spectacle plus douloureux encore ? Il accordait d'avantage d'attention à sa petite fille, son unique petit trésor comme il le disait si bien, et préférait cent fois m'apporter toute l'aide et tout le soutien dont j'avais besoin au lieu d'afficher une seule fois sa douleur et sa potentielle détresse. Un homme bon et bienveillant qui remplissait son rôle de père comme il se devait : en veillant sur ce qu'il avait de plus cher !
Agent de police de son état, ses horaires étaient parfois délicats et, malgré toutes les mesures prises, il ne pouvait toujours être présent. Ainsi ais-je à moitié grandie chez notre voisine : une sexagénaire sans famille, seule, qui, je pense, parvenait à ressentir un peu de baume au coeur lorsqu'elle avait l'occasion de pouvoir s'occuper de moi. Gentille et prévenante sans devenir trop envahissante. Ce fut avec elle que je parlai principalement de mes ressentis concernant ma mère, et que je partageai avec elle les évolutions de mon deuil. Ainsi, je n'avais pas à accabler d'avantage mon père.
En réalité, mis à part le suicide de maman, mon enfance se passa relativement calmement. Je faisais partie des enfants sages, ceux qui prenaient plaisir à aller jouer avec leurs camarades mais qui tâchait de ne pas se faire remarquer en classe. Je n'étais pas la première et la plus studieuse, mais je travaillais suffisamment pour ramener de bons points et ne pas être à la traîne. Et puis papa adorait tellement me mettre en avant lorsque j'avais de beaux bulletins que je veillais d'avantage à ce qu'il soit encore plus fier de moi. Notre relation était faite de confiance, d'attention et d'un profond amour familial. Je garderai toujours le souvenir de ces moments où il me faisait virevolter dans les airs comme une princesse. De tous ces souvenirs lorsqu'il m'emmenait en vacances d'été, pour m'apprendre sa passion de l'escalade, ou encore des vacances d'hiver, où nous fêtions généralement la Noël et la nouvelle année avec des pairs de ski. Il s'agissait là de nos seuls et uniques excès, vivant simplement et humblement dans le petit quartier qu'était le nôtre.
L'adolescence est souvent redoutée par les parents, et indirectement par les ados eux-mêmes. Et, à la maison, nous-mêmes souffrions par moment de mes crises de rébellion, de mes remises en questions ou bien de trop grandes libertés que je voulais prendre et que mon père, d'autant plus en tant que flics, ne pouvait accepter, ni même tolérer. Des tensions, des rapports parfois à couteau tirés et autres disputes... Mais le tout se finissait toujours par une explication calme et posée, ainsi qu'une grande embrassade. Je n'étais pas l'adolescente rebelle qui voulait tout foutre en l'air. J'étais simplement la jeune fille dont le caractère se traçait et se formait petit à petit, mais qui n'avait pas à se plaindre, ni même à rougir de la vie qu'elle avait chez-elle !
Je ne demandais rien, si ce n'est que cette petite vie familiale en duo puisse continuer aussi longtemps que possible. À croire que, même ça, c'était trop demandé...
Une nuit. Une épicerie. Nous deux sur le chemin du retour, parlant, riant, plaisantant tout en achetant un rafraîchissement. Deux voyous, chacun armé. Mon père, ce flic, même en civil et hors service, dégainant son arme pour les dissuader et les interpeller. Trois coups de feu. Un corps qui tombe au sol. Deux voyous qui quittent le magasin. Un banal fait divers dans la presse... Pour moi, c'était l'homme le plus important de ma vie, l'homme à qui je devais la vie, le héros que j'avais toujours vénéré qui mourrait devant mon visage en larmes. C'était ce père aimant et unique en son genre qui perdit la vie, tenu fermement dans le creux de mes bras. Une image que je n'oublierai pas. Une image qui, cette fois-ci, ne pourra jamais s'enlever de mon esprit pour une quelconque raison. C'était gravé, au fer rouge, dans mon coeur et dans ma mémoire. L'homme qui veillait sur moi et me protégeait ne serait plus, plus jamais.
J'avais seize ans. La notion de famille disparaissait en même temps que je lui fis ses adieux. J'étais orpheline.
INDÉPENDANTEÀ la suite du décès de mon père, j'ai fait les démarches nécessaires pour obtenir mon émancipation. Je n'avais pas de famille proche dans la région et, malgré la proposition de ma 'nounou' d'enfance, cette bonne vieille voisine, je n'étais pas dans un état d'esprit où je me voyais arriver sous un nouveau toit et devoir m'adapter à de nouvelles règles de vie. De plus, la perte était trop douloureuse, et le 'traumatisme' de la mort de mon père encore trop présent pour que je me sente l'envie et la force de me rattacher à quelqu'un d'autre en guise de 'famille'. Ainsi, j'ai pris mon envol, peut-être un peu trop tôt, pour vivre par moi-même et de l'héritage que j'avais reçu, afin de survivre jusqu'à, au moins, la fin de ma terminale.
Dire que je n'envisageais pas de faire des études supérieures serait mentir. Seulement, la vie ne vous laisse pas toujours le choix. Et, découvrant un peu sur le tas les notions de facture et ce que pouvait représenter le coup de la vie, je ne me sentais pas de pouvoir assumer financièrement une carrière universitaire. Sans compter que, je pense que je n'avais pas la maturité suffisante pour parvenir à une quelconque réussite scolaire supplémentaire. J'avais besoin de réellement faire mon deuil, de pouvoir prendre un nouveau départ. D'extérioriser et de trouver un exutoire face à tout ce que je devais mener de front pour assumer ma vie au mieux.
Pour se faire, je me suis inscrite à des cours d'auto-défense près d'un an après le décès de mon père. Il y avait une rage, une violence qui bouillonnait en moi. Et puis, j'avais tout autant été marqué par les coups de feu que par ce sentiment d'impuissance ressenti alors. Je voulais que ce genre de configuration n'arrive plus. Je voulais pouvoir me sentir en sécurité, et à même de pouvoir faire face au danger. Cela a ainsi pu soulager partiellement ma conscience et m'aider à 'souffler' face à toute cette animosité qui brûlait en moi. Je pus me libérer. Je pus rencontrer de nouvelles personnes, voir de nouveaux visages, bien que, une fois de plus, je n'avais clairement pas besoin de m'attacher à qui que ce soit en cette époque relativement trouble pour ma petite tête et mon coeur encore souffrant...
J'obtins finalement ma terminale et me lançai donc immédiatement dans le recherche de petits boulots et autres jobs. Étant donné la maigreur de mon curriculum et mon manque d'expérience flagrant au niveau de tout travail possible et envisageable, je décrochai finalement un simple petit emploi de serveuse. J'abordais ce travail en l'imaginant se dérouler comme dans les films. Autrement dit, service rapide, dans la bonne humeur et avec de bons pourboires lorsque l'on était un brin jolie. Je descendis rapidement de mes petites idées toutes faites en voyant que les pourboires n'étaient pas toujours ce que l'on rêvait, ou que l'on imaginait. Mais pour le reste, je me fis toujours un point d'honneur à travailler avec le sourire, et à me donner à deux cent pour cent pour faire honneur aux responsabilités qui m'incombaient !
Un petit appartement à gérer, une vie à maintenir financièrement à flot et un travail non-stop... Heureusement que j'avais mes cours d'auto-défense pour dire de souffler et de me changer les idées. Enfin, jusqu'à ce que je rencontre de drôles d'énergumènes qui, contre toute attente, parvinrent à me rallier à une cause pour le moins particulière : les Real Life Super Heroes ! C'était une jeune association, commençant timidement à voir le jour. Elle était fondée et composée de fanas de comics et de super héros. De personnes qui, un matin, se sont levées et ont eu l'envie d'utiliser le symbole de ces bd's américaines pour apporter un peu de générosité et de bon coeur au sein d'une vie où l'entraide n'était pas spécialement de mise. Un concept qui m'intrigua. Une conception qui piqua ma curiosité. Et une initiative qui me plut. Ainsi, sans être une grande lectrice de comics, je me suis dis : 'pourquoi pas ?' J'ai hésité quelques jours, et j'ai finalement décidé de les rejoindre en espérant, peut-être, pouvoir trouver un nouveau sens ou une nouvelle 'magie' dans mon quotidien !
Nightshift ! Tel fut mon pseudonyme. Je me souviens que chacune de nos identités pouvait être décrite avec un passé fictif, ou bien la propre vie qui était la nôtre. Un fait que j'ai apprécié, bien que je n'avais pas pour autant l'envie de 'perdre du temps' à m'inventer une quelconque histoire fictive. Ce qui m'intéressait, c'était de m'investir dans la vie des citoyens et, je dois le reconnaître, pouvoir changer de peau et me sentir quelqu'un d'autre. Ainsi laissais-je naître et grandir Nightshift au même rythme que l'association. Au départ, nous étions surtout dans l'aide aux sans-abris. Apporter de la nourriture au plus démunis, parler et faire preuve d'écoute aux plus pauvres vivant dans les rues, offrir des services de bénévoles comme à la soupe populaire, et j'en passe. Je découvrais, avec plaisir et également surprise, que tous ceux qui se ralliaient à cette cause n'était pas des petits fous en quête d'action et d'adrénaline, mais vraiment de bienveillance et de sécurité. Car, oui, tout ne se limitait pas aux plus démunis. Il y eut également des campagnes de prévention contre la violence, contre la drogue. Ils nous arrivaient d'aller trouver de 'jeunes âmes égarées' et de leur offrir un échange, et un dialogue, afin qu'ils se sentent écouter et puisse filer un peu plus droit. C'était un don de soi pour les autres, et je ne peux pas nier que cela m'apportait du baume au coeur de pouvoir agir de la sorte.
Ainsi avais-je trouvé un équilibre qui me convenait parfaitement. Sport, travail et action bénévole. Un quotidien se construisant par des journées bien remplies, où je pouvais trouver le soulagement de mes émotions aux cours d'auto-défense, la satisfaction de pouvoir me gérer, moi, la nourriture et les factures avec mon travail, et de prodiguer du bien autour de moi par l'intermédiaire de l'association, en me disant que mon père serait fier d'une telle initiative !
ÉTUDIANTEAprès deux années d'une vie à la fois banale et particulière dirons-nous, j'avais besoin de changement. Je voulais autre chose pour moi et pour mon avenir. Certes, je me plaisais dans mon travail et mes activités en dehors mais, je me devais d'être franche envers moi-même : je ne me voyais pas être serveuse toute ma vie. Et si j'attendais mes trente ou mes quarante ans pour changer de vie, il serait malheureusement bien trop tard. C'était maintenant que je devais reprendre le taureau par les cornes et maximiser mes chances d'avoir une vie que je voulais, et pas seulement en dépit des circonstances. D'avoir la vie que je voulais et que je choisirais, non celle que la vie et ses coups durs m'avaient imposés !
Mon premier sacrifice fut celui de quitter les Real Life Super Heroes, et de dire au revoir à Nightshift. J'avais passé deux belles années en leur compagnie, mais si ma volonté était de reprendre des études, je ne pouvais pas me permettre de me disperser de tous les côtés, d'autant que les frais universitaires m'imposeraient de travailler encore plus et d'avantage en parallèle, afin de maximiser autant que possible ma source de revenus actuel !
Cela me prit près d'une année afin d'avoir suffisamment d'argent de côté et pour préparer ma rentrée universitaire chez les Undergraduate. Le choix de mes études, quant à lui, se porta vers un vieux rêve d'enfance qui, au final, était toujours ancré dans un petit coin de ma tête : le cinéma ! Non pas ses stars, ses strass et ses paillettes. Mais bien la réalisation. Compter une histoire. Imaginer et créer une fable à laquelle on donne, en même temps, vie de façon visuelle. Pouvoir élaborer et concrétiser des projets cinématographiques ou télévisuels. Façonner un univers et le proposer au public, le partager, le faire vivre avec eux. Laisser une place à l'imaginaire de se mettre en oeuvre et de pouvoir réellement exister. Tel était mon souhait. Tel était mon envie. Tel était le long cheminement que je voulais entreprendre !
Ce que je perdis en quittant les Real Life Super Heroes, je le retrouvai partiellement dans la confrérie des Gamma Psi, que j'intégrai lors de ma rentrée universitaire. Les actions humanitaires, faire partie d'associations et s'investir dans le bien être de la vie estudiantine sur le campus. J'avais presque comme une impression de déjà vu, si ce n'est qu'ici, il n'était pas question d'endosser la peau de quelqu'un d'autre en se travestissant en justicier. C'est ce genre de vision et d'initiative qui me firent d'ailleurs choisir les Gamma, au détriment des Alpha. Non pas que j'avais de réels griefs contre ces dernières, mais je sentais d'avantage l'âme d'une Gamma qu'autre chose...
Si retrouver les cours ne fut pas chose aisée au départ, cela n'en fut que plus difficile alors que je me permis d'avoir une passe assez 'discutable'. Par là, j'entends que je pris fortement part aux fêtes organisées chez les Gamma, et que je pris goût à leur manière de décompresser dés qu'une soirée se présentait. C'était des soirées où l'alcool coulait à flot, et où certaines consommations illicites tournaient. Je n'ai jamais touché aux drogues dures, mais la marijuana, ça, c'est une autre histoire. Ce fut la période où les cuites furent nombreuses, et les états douteux sous influence de l'herbe plus que fréquents. Ce n'est certainement pas ma plus grande fierté, mais à cette époque, je ne me sentais aucunement mal de 'profiter' de la sorte. Une autre manière de relâcher la pression, de s'évader et de s'offrir du bon temps.
Une année, deux années... Et le bon temps devient peu à peu une sorte de spirale de laquelle vous avez l'impression de devenir finalement prisonnier. Oh, j'étais assez lucide pour conserver mes places de serveuse. J'étais assez consciente pour pouvoir travailler durant mes cours. Mais peu à peu, l'alcool et la marijuana devinrent pour ainsi dire des réflexes réguliers et omniprésents. Le coucher de soleil était symbole d'ivresse et de planitude envers lesquels on devient plus dépend qu'on ne le penserait, et même sans s'en rendre compte. J'étais toujours moi-même, mais tout en devenant différente. Le plus malheureux étant que je ne restais sans doute plus assez lucide pour savoir si j'aimais réellement cette nouvelle différence ou pas.
L'université peut vous apporter de très belles expériences... Et des découvertes plus nuisibles... J'ignorais simplement si j'avais encore les moyens nécessaires dans ma caboche pour en faire la différence, et ne pas me laisser noyer...
AMOUREUSESharon Rowell. Nous sommes arrivées pratiquement ensemble aux cours d'auto-défense, à cette époque où je ne cherchais pas spécialement à faire des rencontres, ou tout du moins de nouveaux amis. Pourtant, de par notre présence à ces cours aux fils des années, nous avons finalement sympathisées. Nous avons fait connaissance en dehors desdits cours. Nous avons commencé à nous voir en tant que simple amies, pour ensuite devenir de très bonnes confidentes et deux femmes relativement proches l'une de l'autre.
Est-ce que j'étais déjà amoureuse de Sharon depuis un moment ? Peut-être bien... Je ne suis pas une grande experte en sentiments amoureux, m'étant souvent limités à de petites soirs dont la durée de vie ne dépassait pas quelques mois au grand maximum. Mais je dois avouer que, depuis le temps que nous nous connaissions, j'avais la sensation qu'une certaine 'tension' s'était installée entre nous. Une tension agréable et déroutante à la fois. Je ne pouvais savoir avec certitude ce que je ressentais pour elle, mais je savais pertinemment dans quel état se transformait mon coeur et mon corps à force du passer du temps ensemble. Ce coeur qui bat la chamade. Cette boule de chaleur qui vous envahit les entrailles. Cette gêne et cette timidité qui prend possession de vous alors que vous vous sentez paradoxalement bien et à l'aise avec ladite personne. Sharon ne me laissait nullement insensible, tant dans son physique que dans sa personnalité !
Ce qui m'avait toujours 'refroidie' de prime à bord, c'était la barrière de l'âge. Et pour cause, cette femme à quatorze années en plus que moi. Je l'ai rencontré à dix sept ans, elle en avoit déjà trente et un. Et, déjà à l'époque, cet écart m'avait indirectement marqué. Pourtant, cela ne m'empêchait pas d'être avec elle, comme si j'avais été avec une bonne amie de mon âge. Ca me déroutait, ça m'effrayait et, en même temps, ça me fascinait et m'excitait. C'était comme une sorte d'interdit qui ne vous dit qu'une chose : fonce et viens me goûter ! Ce qui fut finalement chose faite...
Grâce à cette période prolongée d'alcool et de drogues douces, il arrive un moment où vous perdez l'entièreté de vos inhibitions. Et c'est en perdant ces dernières que j'ai finalement, un soir, fait le premier pas... En me laissant aller dans ses bras, au même rythme où mes lèvres trouvèrent les siennes pour un baiser que j'avais peut-être désiré depuis plus longtemps que je ne le pensais ! Ca été à la fois le symbole d'un début, d'une magie et, en même temps, comme une véritable révélation à l'intérieur de mon esprit et de mes sentiments. Comme si je n'avais plus peur, comme si tout devenait aussi clair qu'évident. Cela ne datait certainement pas du premier jour de notre rencontre mais, par ce simple geste, je me rendis compte que, oui, j'étais tombée amoureuse de cette femme. Et que, ce que je ressentais pour elle, n'avait jusqu'alors jamais été égalé. Tout comme s'il s'agissait d'une découverte, en même temps, de ce que pouvait être le véritable amour !
Faire ce premier pas, et me mettre en couple avec Sharon, a été synonyme de beaucoup de choses. Tout d'abord, elle m'aida à calmer ma période 'alcool et marijuana'. Elle me sortit de mes consommations quelque peu excessives et usa de ses connaissances sur moi pour m'aider à me retrouver, et à me recentrer sur qui j'étais réellement. Mais elle a aussi été le symbole d'une nouvelle détermination dans ma vie, d'une nouvelle force : celle de vouloir mener mes projets à termes et avec succès pour lui montrer qu'elle pouvait être fière de sa 'jeune' petite amie ! Je voulais lui montrer que je pouvais également lui apporter ce vent de fraîcheur qu'elle semblait rechercher mais, en retour, être à même de pouvoir faire preuve d'une maturité digne de celle qu'elle possédait et, ce, malgré notre écart d'âge conséquent. Et puis, je tenais à lui montrer que j'étais responsable et digne de confiance, pour qu'elle sache que même moi, sa petite Jillian, j'étais à même de pouvoir prendre soin de son petit garçon de neuf ans si jamais elle n'était pas disponible, ou si par malheur il devait lui arriver quelque chose. Je voulais tout faire pour être à la hauteur du bonheur qu'elle m'apportait, et pour qu'elle n'ait jamais à s'inquiéter et puisse toujours être rassurée par la femme qu'elle aimait, et qui se voulait éperdument amoureuse d'elle.
Aujourd'hui, cela fait un an et demi que nous partageons une magnifique histoire, riche, passionnelle et fusionnelle à la fois ! Une intensité et une force qui me réconfortent quant au fait que rien ne devrait pouvoir entacher un quelconque avenir entre nous. De plus, je me réjouis de cette liberté que nous nous accordons en parallèle depuis tout ce temps. Comprenez par là que, même s'il m'arrive souvent de passer mes nuits chez elle, nous ne vivons pas encore ensemble et basons l'entièreté de notre relation sur la confiance... Et c'est, en mon sens, ce qu'il y a de plus important pour qu'un couple puisse perdurer et se sentir en total connexion...
Pourtant, et même si c'est à contrecoeur, je me dois de fragiliser peu à peu cette confiance au profit de quelques mensonges... Afin de la protéger d'une vérité qui a vu le jour, il y a de ça six mois...
JUSTICIÈREJe pense que j'ai du toujours avoir ça en moi. Ce besoin, cette volonté d'agir d'une manière ou d'une autre, et d'essayer d'apporter un peu de différence dans un quotidien devenant de plus en plus sombre et obscur. Si je n'ai jamais oublié les circonstances de la mort de mon père, je dirais que le déclencheur a été surtout un enchaînement de faits, et une sorte de ras-le-bol vous poussant à atteindre une limite, un paroxysme où vous ne pouvez décemment plus rester sans rien faire. Où cela vous démange, vous prend par le coeur et vous brûle les tripes.
Serveuse dans un Nightclub depuis l'année dernière, j'avais plus d'une fois assister à des états éthyliques débouchant sur des bagarres, des agressions ou encore de tentatives de viol. En dehors de cela, je n'ai jamais cessé de lire les journaux qui titraient de nouveaux meurtres, de nouvelles histoires de drogue, de nouveaux faits divers où l'une ou l'autre personne avait perdu la vie, où se retrouvait avec des membres brisés et j'en passe. Le métier de Sharon, responsable d'un centre d'aide pour femmes battues, me mettait parfois en face de la violence qui pouvait être 'gratuitement' infligée. Écouter le journal télévisé ne vous poussait qu'à entrer dans une sorte de peur ou de psychose où il pouvait devenir mortel de sortir de chez soi... Et puis, il y a six mois, ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase !
Je reçus un coup de fil. Une de mes meilleures amies était à l'hôpital. La raison ? Une tentative de vol de son sac et de son téléphone qui s'était terminée en sauvage agression, et un coup de feu, qu'elle reçut dans le ventre. Ses jours n'étaient pas en danger selon les médecins, mais la voir dans ce lit d'hôpital, la voir dans cet état... Mon sang ne fit qu'un tour ! Et je ne me sentais plus la capacité de laisser ce genre de choses arriver sans tenter d'intervenir. Je n'étais pas une policière, je n'étais personne pour s'autoproclamer le droit de faire la loi... Mais il y en avait marre. Il y en avait marre de la peur. Il y en avait marre de se réfugier derrière des excuses et un soit disant manque de temps pour tenter de réagir. Il y en avait marre de rester dans la mêlée en attendant que cela puisse être notre tour, et de ne pas mettre à profit ce que j'avais appris aux cours d'auto-défense, et récemment de kick-boxing ! Il était temps que Jillian McKenna fasse ce qui était en son pouvoir pour ne plus assister à des visions comme celle de son père abattu dans un petit braquage, ou d'une de ses meilleures amies, salement amochée, dans un lit d'hôpital et avec une peur littérale dans les yeux.
Voilà comment Swing a vu le jour. Voilà comment j'ai décidé de ressortir le vieux costume de Nightshift pour le modifier et reprendre le masque. Oui, il y avait ce souvenir des Real Life Super Heroes qui m'était réapparu alors que je tentais de trouver un moyen, une façon d'intervenir en voulant faire bouger les choses. Et c'est grâce à ce souvenir que j'ai décidé de me créer un nouveau visage. Un nouveau visage pour dire que cela pouvait être n'importe qui, n'importe quelle personne qui décide de porter un masque et de bousculer les choses. Un visage masqué pour que tous ces voyoux, ces délinquants, ces bandits et j'en passe se retrouvent face à un mystère qui pouvait désormais se dresser sur leur chemin et les poursuivre. Je voulais que tous ceux qui semaient de la peine et de la peur aient désormais quelque chose à craindre et à redouter en retour. Certes, je ne suis pas une héroïne, je ne suis pas un de ces super héros de comics se voyant être un héros sans faille ou presque. Mais la détermination et l'envie d'agir était trop présente pour que je refuse de me mettre en danger. Jillian ne serait que la jeune femme que tout le monde connaît, mais Swing serait cette justicière fonceuse qui a soif d'en découdre et de venger les visions et les souvenirs de ce qu'elle a pu voir, lire ou découvrir à la télévision. Il y avait assez d'horreurs et trop d'apathie dehors. C'est ce qui m'inspire, c'est ce qui me guide, et c'est ce qui me pousse à prendre le risque de gérer une double vie depuis six mois.
Mais, aujourd'hui, plus précisément ce soir, cette nuit... Une limite vient d'être franchie. Étais-je coupable ? Étais-je condamnable pour mon geste ? Ou bien avais-je droit à des circonstances atténuantes ? Malheureusement, je ne le crois pas... Mais il avait des traits de visage familier. Il me rappelait l'un de ces deux hommes qui a appuyé sur la détente juste avant que mon père ne tombe mort. Il me rappelait ce mal, ce vice qui m'a enlevé ce que j'avais de plus précieux. Et, dans l'incertitude de savoir si j'étais face ou non à l'un de ces deux 'meurtriers', je n'ai pas retenu mes coups, et j'ai perdu mon calme. Une rage et une violence que j'avais peut-être trop longtemps maîtrisée, trop longtemps contenue... Ou bien l'escalade de ce jeu de justicière qui me poussa à outrepasser mes droits, à outrepasser la loi. La perte d'un self-control que j'essayais de maintenir tant bien que mal. C'est le bordel et le désordre dans ma tête. Je ne sais plus comment, je ne sais plus pourquoi... Je sais simplement que, là, maintenant, à l'instant où je vous parle, mes mains et mes bras tremblent. Je me redresse à peine face à ce spectacle que je ne réalise peut-être pas totalement encore. Cet homme est allongé, sur le sol, face à moi. Plus de pouls, plus de respiration. Il est mort, et c'est moi qui vient de le tuer !