Les mots, ils avaient finis par perdre du sens, au fil des jours. Ils étaient laissés pour compte au cœur d’un monde qu’il avait peur de redécouvrir. Miles, il avait rêvé d’un autre monde, il rêvait de devenir le héros, celui qui change les choses et qui efface les peurs. C’était le destin, qu’il espérait contrôler, parfois changer. Il pensait que ses choix, ils avaient de l’importance. Il pensait que le monde, il pourrait l’empêcher de tourner, mais aujourd’hui il continuait toujours dans sa course folle. Les mots, ils étaient là et ils brûlaient ses lèvres, fracassaient ses souvenirs et ses promesses. Ils se glissaient au cœur du monde matériel pour disparaître aussitôt. Ces mots, c’étaient ceux qu’il n’avait pas su dire, à l’époque. Quand il avait tout perdu et qu’il se tenait face à un cercueil en bois, face à l’adversité. Il attendait un miracle, à ce moment-là. Il attendait une absolution, parce qu’il n’avait pas pu la sauver. Il avait mal, Miles, en repensant à ces moments-là, ceux qui n’avaient plus le moindre sens aujourd’hui. Lui, face à une tombe, face à un corps sans vie. Partir, c’était plus simple. C’était tout ce qui lui restait.

Peut-être que c’était une illusion, de vouloir repartir à zéro. De penser qu’il pouvait le faire, tout perdre, pour tout gagner à nouveau, autre part. Il avait roulé pendant des heures, à regarder le vaste horizon. Il était le feu et il était la tornade, il était vent et il était orage. Il avait brûlé tout ce qu’il avait en espérant que ses yeux finiraient par s’habituer à l’obscurité. Peut-être qu’il avait eu tort, de se retrouver dans un bar, d’abandonner ce pourquoi il se battait jadis, quand il avait encore l’espoir et la confiance d’un héros. Au fond, personne ne peut vraiment, être un héros. Alors il restait là, dans son bar à attendre quelque chose qui ne viendrait jamais. Il était en train d’essuyer des verres, quand il la remarqua. Une jeune femme, elle le regardait comme si elle voulait lui demander quelque chose, comme si elle scrutait ses faiblesses. Peut-être que ses yeux, à Miles, ils s’étaient habitués à vivre dans la suspicion, dans le doute et l’inconnu.

« Qu’est-ce que vous voulez, hein ? »

@Charlie Laurens

Aux yeux de beaucoup, la curiosité était un vilain défaut, quelque chose qui pouvait rapidement devenir insupportable si elle était trop prononcée. Charlie n’avait pas le même avis sur la question. Elle avait toujours vu cela comme une qualité, comme une force. C’était peut-être dérangeant pour les autres mais au fond elle se fichait bien de ce qu’on pouvait penser. Elle savait que sans ce trait de caractère, jamais elle n’aurait pu atteindre la place qu’elle occupait désormais. Mais c’était cela aussi la vie : apprendre à s’aimer et s’assumer tel que l’on était et non pas tel que les autres voudraient que l’on soit. Elle l’avait appris bien tôt, avec son père. Un père qu’elle aimait du fond du cœur mais qui n’avait su accepter ses choix, comprendre ses rêves. Un père qu’elle avait vu s’éloigner. Un père qu’elle avait dû oublier. Elle souffrait encore de cette histoire, de ce manque qu’il avait laissé en elle. Elle souffrait de voir que sa famille n’avait su se remettre d’une broutille pareille. Mais elle ne disait rien. Elle gardait le silence, rongée par une culpabilité qu’elle peinait à assumer. Tout est si différent désormais… Mais elle savait, la belle brune, que cette douleur avait fait elle la femme qu’elle était aujourd’hui. Elle savait que ce mal qu’elle ne pouvait taire était sa force, son moteur. Nos souffrances sont nos expériences. Elles nous rappellent qui nous avons été et qui nous voulons devenir. Que nous le voulions ou non, nous devons apprendre à souffrir pour apprendre à grandir…

Elle se retrouve dans ce bar un peu par hasard. Il lui arrive quelque fois de s’arrêter dans ce genre de lieux après une longue journée. Elle aime se poser là, observer les gens, les regarder vivre sans qu’ils ne lui prêtent attention. Cela peut paraître étrange mais elle trouve cela fascinant. Installée au comptoir, elle jette un rapide coup d’œil à la carte des boissons, ne sachant pas trop ce qui lui faisait envie ce soir. Elle n’a pourtant pas l’habitude d’être indécise. Son regard vient alors se poser sur le barman affairé à préparer les commandes des clients à côté d’elle. Ce visage… Elle ne saurait dire d’où mais il lui est pourtant familier. La jeune Laurens est plutôt du genre à avoir bonne mémoire, à se souvenir de petits détails qui peuvent paraître parfois insignifiants. Cet homme, elle le connaît. Elle en mettrait sa main à couper ! Elle le fixe avec insistance sans même en prendre conscience, trop absorbée par ses pensées. Mais le jeune homme vient bien vite la sortir de ses rêveries. « Qu’est-ce que vous voulez, hein ? » Il est agressif, presque froid. Son ton la surprend, lui fait comprendre que quelque chose ne va pas. Il ne s’en rend probablement même pas compte. Mais Charlie, elle a appris à regarder les autres, à détailler leurs réactions. Elle cherche toujours à lire entre les lignes, à découvrir ce que l’autre tente de cacher. Sans le vouloir, elle a posé le doigt sur quelque chose. Sa curiosité éveillée, elle va chercher à en savoir plus. Car je sens que vous avez quelque chose à révéler… « Moi ? Je ne vous veux rien. » Contrairement à lui, elle est calme, posée. Ne jamais être sur la défensive si l’autre semble vulnérable. « Votre visage me dit quelque chose… On se connaît ? » Elle s’attend déjà à une réponse négative de sa part, seulement Charlie elle ne lâchera pas le morceau. Elle est prête à tout pour savoir qui se cache derrière le masque qu’il semble arborer. Votre secret ne demande qu’à être découvert…

@MILES S. GORDON

La justice n’existait pas. Pas vraiment. Les morts ne peuvent pas parler pour dire ce qui a pu se passer. Les crimes restaient parfois impunis. Et le monde continue de tourner. On ne peut pas vraiment empêcher le pire d’arriver, on ne peut pas essayer de rattraper les erreurs que les autres ont commises. On subit le passé, le présent, le futur. On attend les miracles et on se crève le cœur pour des rêves qui ne deviendront que des cauchemars. Mots qui se perdent, qui s’échangent, qui s’oublient. On marche dans une ville dont on connaît les moindres recoins, et on finit par en détester chaque pavé. Ironie qui se dessine dans les panneaux publicitaires, où on montre des sourires et des belles promesses. A Los Angeles, on souriait presque même en pleurant. Peut-être que c’était devenu habituel, au fond, de sourire alors que tout allait tomber. De sourire alors qu’il ne restait plus rien si ce n’est des bribes de souvenirs. Espoir vain qui s’écrase, comme la mer qui se brise contre les rochers. « Moi ? Je ne vous veux rien. » Il secoue la tête, Miles. Presque sans savoir pourquoi est-ce qu’il répond. « Votre visage me dit quelque chose… On se connaît ? » Son visage, il est passé à la télé, quand elle est morte. Il se rappelle des journalistes, qui s’agglutinaient à la porte du poste de police, comme pour obtenir une information qu’ils n’auraient jamais vraiment.

Il avait choisi de partir, parce que rester, c’était supporter tout ça. La foule New-Yorkaise qui brûle, qui étouffe, celle qui disparaît dans une rue pour apparaître dans une autre. Celle qui n’a pas de nom, qui se ressemble et qui pourtant, n’est jamais la même. Et cette fille, peu importe son nom, il sentait qu’elle cherchait quelque chose, une réponse à une question qu’elle ne pouvait pas vraiment se poser. Parce que lui, il n’avait pas de réponses à lui offrir. « Non, on s’connaît pas. » Elle l’avait probablement vu, en train d’essayer de lutter pour garder ce masque qu’il maîtrisait si bien. En train de chercher la vérité dans un monde qui ne faisait que lui hurler des mensonges. « écoutez, j’ai rien de dire de plus sur cette histoire. » Il range les verres qu’il était en train d’essuyer, rapidement. Il la regarde, en posant les mains sur le comptoir. Il ne savait pas ce qu’elle voulait, ou ce qu’elle savait. Mais lui, il en avait assez de repenser au passé, aux choses qu’il n’avait pas su faire, aux mots qu’il n’avait pas su dire. Il voulait juste essayer d’effacer les images qui se cognaient dans son esprit, celles qu’il ne parvenait pas vraiment à oublier, quand bien même il essayait, encore et encore. « J’ai répondu à des dizaines de questions. J’pense que c’est assez. »

@Charlie Laurens