TIK TAK BOOM

Marcher sur une mine à déclenchement retardée ça vous est déjà arrivé ? Non. Et bien je ne vous le souhaite pas. Je viens de passer cinq heures, debout, immobile, à attendre que les démineurs arrivent à désactiver l’engin. J’ai sincèrement cru que j’allais y rester. Je me suis posée des questions, j’ai repensé à des tas de choses, j’ai même appelé mes parents avec la voie serrée pour pouvoir entendre leurs voies une dernière fois au cas où.

En sortant de l’appartement qui a été ma prison pour l’après midi, j’ai attrapé Kaos et je l’ai serré tellement fort dans mes bras qu’il a gémit. Le pauvre. J’ai vite fait un compte rendu à mon chef et je suis rentrée chez moi. Je ne pouvais pas rester là bas, j’étouffais, j’avais besoin de me retrouver seule pour évacuer tout ce qui s’était accumulé dans ma tête. Mince, j’étais passée si près de la mort… Comment un simple tour dans un appartement pour rechercher de la drogue avait pu tourner ainsi ? Et si ça avait été Kaos qui s’était retrouvé sur l’engin ? Qu’est ce que j’aurais fait sans lui ? Mon petit chou dort sereinement dans son panier, la journée a du l’épuiser. Moi aussi je suis fatiguée, mais je dois écrire ce qu’il s’est passé si je ne veux pas que ça ruine ma nuit. Chaque détail. Chaque pensée. Chaque tout.

J’ai repensé à ma première petite amie, celle que j’avais au lycée, celle qui m’avait fait découvrir l’amour. J’étais dingue d’elle à l’époque, je m’en souviens comme si c’était hier. Elle était si gentille et douce avec moi… La séparation avait été compliquée, surtout que ni elle ni moi ne voulions nous quitter, mais son déménagement à l’autre bout du pays avait scellé notre destin. Une relation longue distance, même à notre âge, nous savions que ça ne fonctionnerait pas. Je crois que c’est à cause de ça que je ne me suis jamais vraiment engagée, je me cache derrière mon besoin de liberté, mais je me doute bien qu’il y a un peu d’Ella – c’était son prénom – dans la cause de mon célibat prolongé.

Au mur de cet appartement, il y avait un calendrier. Je l’avais longuement observé en me demandant la dernière fois que j’avais eu une vrai discussion avec un autre être humain – parler avec Kaos ne comptait pas –. Une discussion qui ne concernait pas le boulot ou qui ne visait pas à ramener quelqu’un dans mon lit. Je n’avais pas réussis à m’en souvenir. C’était triste. J’étais tellement discrète, je me complaisais tellement à vivre heureuse dans mon coin que je m’effaçais doucement. Ma vie sociale consistait à m’assoir au comptoir des bars et d’attendre qu’un homme ou une femme vienne m’aborder. Pourquoi je n’étais pas aussi sauvage dans la vie de tous les jours que lorsque j’étais au lit avec quelqu’un ? Ca m’aurait beaucoup facilité la tâche.

DRINGGGGG – «  Hey Sweety, ça va mieux ? Tu semblais bizarre tout à l’heure au téléphone. » J’aurais du me douter que ma mère m’appellerait. C’est une maman poule. Mon père ne doit pas être loin non plus, même s’il préfère jouer le dur. « Juste un petit couac au boulot mam, rien d’important. » J’étais une reine dans la dissimulation d’informations lorsqu’il s’agissait de mes parents. J’étais leur unique fille et je bossais dans un milieu dangereux, je voulais éviter au maximum qu’ils s’inquiètent de trop pour moi. J’étais une grande fille après tout. « Kaos va bien ? » « Oui, c’était juste une longue journée, j’ai eu besoin d’entendre vos voies. » Et oui, malgré mes 38 ans, j’étais toujours un peu enfant avec mes parents à proximité. « Je suis crevée, je vais aller me coucher, je te rappelle ce weekend. Je t’aime mam » Il n'était jamais trop tard pour dire je t'aime à ses parents.

L’auto éclairage du téléphone s’éteignit et je m’allongea seule au beau milieu de mon lit. J’avais écrit et les feuilles étaient encore sur le drap, éparpillées, j’avais toujours le cerveau en ébullition, mais j’avais aussi – surtout – besoin de fermer les yeux. Je le fis et comme si Kaos avait senti mon besoin de contact, il vint se glisser tout contre moi. Il n’était pas sensé avoir le droit, mais pour ce soir, juste ce soir, j’allais le laisser.