Et un soir, tu reviens à toi face à une inconnue…

Qu’est-ce que je fous ici? Et t’es qui toi putain? Est-ce que l’on se connaît? Pourquoi on est dans ce restaurant? Pourquoi tu laisses ton pied remonter le long de ma jambe? A quoi est-ce que tu joues putain? Qu’est-ce que tu cherches à obtenir de moi en me souriant de la sorte? Laisse-moi un instant… Laisse-moi juste de quoi me souvenir. Je ne sais même pas ton nom, je ne sais même pas pourquoi je suis ici à sourire bêtement à ce que tu dis. Depuis quand est-ce que je suis là? Mon assiette est vide et la tienne encore à moitié pleine, mais ça n’a pas l’air de t’importer réellement. Tu préfères te pencher au-dessus de cette table pour m’offrir une vue imprenable sur ton décolleté. Mais j’en ai rien à foutre actuellement, j’aimerais juste savoir ce que je fous ici, est-ce que c’est trop demandé? C’est ça, recule-toi, sois vexée ouais, tais-toi un peu que je puisse analyser la situation. C’est toujours la même chose, toujours la même sensation, toujours le même sentiment de panique quand je reviens à moi. Cette putain de douleur qui balance ma tête d’un côté et de l’autre, cette impression d’avoir ma boîte crânienne à deux doigts d’éclater. Pire qu’une gueule de bois, pire qu’une migraine, l’impression que mon cerveau se retourne dans tous les sens comme des vêtements dans une machine à laver, les nettoyant de toute leur saleté alors que dans mon cas, c’est mon cerveau que l’on lave de mes souvenirs datant des derniers jours, dernières heures peut-être même des dernières minutes, je n’en sais foutrement rien.

«… M. Jennings, vous avez été victime d’un traumatisme crânien […] je ne peux vous garantir que vous vous souviendrez de tout ceci, mais sachez que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour vous permettre de quitter cet hôpital avec le moins de séquelles possible […] L’amnésie antérograde est un cas courant, mais la vôtre est conséquente et c’est pour cette raison que nous vous demandons de prendre des notes sur ce carnet si vous avez des questions afin de ne pas les oublier…»

Des notes… Ouais, c’est ça, j’ai bien du écrire une putain de note sur un papier, non? Je dois bien avoir quelque chose dans mes… Bordel, mes poches sont vides, c’est une blague? Et ma veste, elle est où? A voir la gueule du restaurant, ça doit être un de ces serveurs qui a du me la prendre en arrivant. Dites-moi que c’est un cauchemar. En plus, l’autre conne en face a décidé de retrouver la parole pour me parler de son mariage. Je ne sais pas dans quoi je me suis fourré, mais une chose est certaine, c’est qu’elle, elle cherche à l’être à tout prix ce soir et apparemment elle a jeté son dévolu sur moi. Mais aucune chance que ça arrive, d’ailleurs je crois que je vais me lever. Ouais, je vais me lever, il faut que je me casse d’ici, peu importe qu’elle me suive ou non, je suis en train de perdre mon temps et je sais même pas où je dois aller. Allez, je me lève et je lui laisse payer la note, ça lui donnera certainement moins l’envie de me voir. C’est ça, regardez-moi tous, je suis l’homme qui fuit, l’homme qui délaisse une inconnue au restaurant qui commence à crier mon nom. Quelle merde, ça devait vraiment arriver maintenant? Et il y a pas un serveur dans le coin? Ah voilà, pourquoi est-ce qu’il ne bouge pas lui, est-ce que t’as ma veste? Hey! Je te parle connard!

«… nous ne sommes pas en mesure de vous dire si votre état s’améliorera dans les années à venir. Nous ne pouvons pas non plus vous dire si vous serez dans l’incapacité de vous rappeler de quoique ce soit mais peut-être que vous aurez des impressions de déjà-vu, des absences pendant lesquelles vous vous souviendrez de quelque chose.»

J’aurais bien aimé pouvoir me souvenir de quelque chose, mais c’est le néant. Je ne reconnais même pas ce lieu et cette veste qu’il me tend, je ne sais même pas si c’est la mienne. Qu’est-ce qu’il y a dedans? Mon téléphone, un porte-cartes, des clés, un carnet et… Une capote. Sûrement qu’elle était destinée à être employée avec cette blonde qui est en train de faire claquer ses talons derrière moi. Faut que j’arrête de perdre du temps, je dois sortir d’ici et trouver un coin tranquille. Je ne sais même pas dans quelle ville je suis, il fait encore assez doux et… Et on est en été? J’en sais foutrement rien, il faut que j’arrête de me poser des questions, je dois me focaliser sur quelque chose, échapper au champ de vision de cette femme qui crie toujours mon nom… quoiqu’elle a commencé à m’insulter, c’est bon signe, elle ne devrait plus chercher à me suivre très longtemps. Une chose en moins dont je ne dois plus me préoccuper. Bon qu’est-ce que j’ai dans mon porte-cartes, pas de papier? Pas de numéro? Pas d’adresse? Super… Et le téléphone, mon code, c’est quoi déjà? Bordel, c’est pas gagné, quelle idée de l’avoir verrouillé aussi. Au moins je sais l’heure qu’il est et on est en septembre, le treize. Il doit y avoir quelque chose dans ce carnet, en plus je suis assez malin pour dater toutes ces notes c’est déjà ça. C’est drôle par contre, pourquoi est-ce qu’il y a sans cesse le même dessin qui se répète d’une page à une autre? En fait, il est même sur les suivantes, on dirait une fiole… un de ces trucs dans lequel on y glisse des bouts de papiers afin de les conserver.

«Votre situation est complexe M. Jennings et il n’y a rien que nous ne puissions faire pour que les choses puissent évoluer et nous en sommes navrés. […] La meilleure chose à faire est de garder un repère, d’avoir quelque chose sur vous qui vous permette de savoir le plus important. […] Il est probable que vous ne sachiez pas où vous habitiez après une absence, ni même être capable de reconnaître votre voiture. C’est pourquoi vous vous devez de garder ce repère à quelque part où vous êtes certain de le retrouver»

in progress…