Dossier n° 85436 - DERWENT.

Nom : Derwent Prénom : Landon James Date de naissance / âge : Seize juin 1977 - trente-neuf ans Staut civil : Veuf Profession : Vice-président de l'entreprise familiale, dans l'immobilier Autres : Pas d'enfant à charge.

Il s’agit d’un patient de trente-neuf ans, bien sur tout rapport. Aucun problème physique, ni psychique, du moins, à première vue. Il est de mon devoir d’en découvrir plus, à réussir à le faire parler, malgré son mutisme.  En ma qualité de psychologue, je dois le percer à jour, parcourir son aspect le plus sombre. Savoir qu’est-ce qui l’a poussé à réagir de cette façon. J’espère qu’il jouera le jeu. De toute façon, il n’aura pas le choix s’il veut être blanchi. C’est un vrai challenge.

Je soupire, avant de franchir la lourde porte de l’immeuble victorien qui m’accueille à bras ouverts. Aujourd’hui, c’est séance chez le psychologue. Dans la joie et la bonne humeur. Ce n’est que ma première, et j’espère bien la dernière. Il est hors de question que je parle de ma vie à ses charlatans, qui ne font qu’acquiescer à longueur de temps, en pompant au passage tout notre fric. Ordre de mon père. Pour je ne sais pas trop quelle raison.  Arrivé au bon étage, une charmante secrétaire – qui, selon moi, n’a rien à faire là – me dirige tout droit vers la salle d’attente, me disant que le Dr M. va être là dans une petite quinzaine de minutes. Je patiente, en silence, scrutant les alentours. Toujours ce même décor, avec des vieux magazines datant de Jérusalem. Y avait vraiment des gens qui lisaient ces torchons ? Un homme pointa le bout de son nez. Lunettes ovales posées délicatement sur le nez, cheveux ratatinés sur la tête, avec une tonne de gel en prime, veston en tweed et pantalon en velours. Je grimaçais. Il avait tout du stéréotype anglais. Il ne manquait plus la pipe. Je levai les yeux au ciel. Mon dieu, ça allait être encore pire de ce que j’avais pu imaginer. « Monsieur Derwent ? Je vous prie de me suivre ». J’hochais tout simplement la tête, évitant de justesse de lui sortir une réplique cinglante, du genre pensez à changer vos lunettes, vous ne voyez plus clair …. J’étais le seul patient en salle d’attente, à quoi bon poser la question ? Je le suivis, déjà de mauvaise humeur. Son bureau et surtout sa décoration étaient tout droit sorti d’un magazine de mode. Plus cliché on ne pouvait pas faire. C’était parti pour une heure – je l’espérais – de causette dans le vide. Je m’assis sur le fauteuil, ne voulant pas me coucher – il ne manquerais plus que je me fasse hypnotiser – et la séance put enfin commencer. Alléluia. « Tout d’abord, Monsieur Derwent, vous savez pourquoi vous êtes ici, aujourd’hui ? » Je balayais sa question d’un revers de la main, pinçant les lèvres. « Ouais ouais ouais. Mais non. Je ne vois pas très bien comment une simple bagarre dans un bar – alors qu’il y en a des milliers par jour – m’amène à vous voir ». Il parut offusqué, mais poursuivit sur sa lancée. Je croisais les bras. « On m’a engagé à découvrir pourquoi vous vous êtes comporté de cette façon. Pour ce faire, parlez-moi un peu de votre vie. De votre enfance à maintenant, pour que je puisse y voir plus clair ». Je plantais mon regard, perçant, dans les siens, une lueur de méchanceté s’y incrustant. « Vous êtes sûr ? Vous savez que, si je vous raconte tout, je serais obligé de vous tuer ? » Il se mit à rire, nerveusement, avant qu’un large sourire se dessine sur son visage. « Allez, Monsieur Derwent, dîtes pas de bêtises. Je vous écoute » il s'interrompit, se pinçant à nouveau les lèvres, certainement un tic nerveux de sa part, avant de poursuive « Je vous écoute ». Il replaça ses lunettes sur son nez, et me regarda, le plus sérieusement du monde. Soit. e me mis dans une position confortable, autant être à l’aise, et je commençais le récit de ma pitoyable vie. Tant qu’à faire. Je ne voulais pas parler, mais plus vite l’entretien sera terminé, mieux ça sera. Surtout ayant déjà une petite idée de la finalité. Je pris une grande inspiration.

« Je suis né et j’ai grandi à Los Angeles. Ma mère est mère au foyer, et, pendant une période, a dû jongler avec un petit boulot d’assistante je ne sais plus trop où. Ce n’est pas important. Mon père, lui, est président de sa propre boîte. Une entreprise immobilière bien prospère. D’ailleurs, à l’heure d’aujourd’hui, on trouve une de ses succursales un peu partout. J’ai une petite sœur. Fallon. Dès ma naissance, je suis né avec une cuillère d’argent dans la bouche. Il me suffisait de claquer des doigts, et j’obtenais tout ce que je voulais. Je n’étais pas enfermé dans une prison dorée comme certains, mais j’étais tout autant pourri gâté, jusqu’à la moelle, allant d’écoles privées en écoles privées » Je me taisais, avant de me lever et d’aller me chercher un verre de whisky, bouteille que j’avais remarqué dans une de ses armoires, et je me servis un verre. Autant se désaltérer en même temps. « Il n’y avait aucun nuage à l’horizon, jusqu’au jour où ma mère a complètement perdu la boule, et a menacé mon père de divorcer, s’il n’arrêtait pas ses petites escapades nocturnes. Il n’a rien changé à ses habitudes, et le divorce suivit, la dépouillant par la même occasion. Il faut savoir que ma mère n’était pas non plus un parangon de vertu. Et qu’elle trompait aussi son mari. Il l’a découvert, il a engagé des bons avocats, et le tour était joué. La voilà divorcée, deux enfants à charge, et sans le sou. Elle qui avait pour habitude de mener une vie … très luxueuse ». Etonnamment, il avait l’air très attentif à ce que je disais, buvant limite mes paroles. Je me raclais la gorge. « A partir de ce moment – et je ne la blâme pas – les invectives ont commencé. Traitant mon père et la gente masculine de tous les noms. Et avec ma sœur, nous nous trouvions au milieu. Non. Nous n’avons jamais manqué de rien, ma mère a commencé à travailler, pour nous nourrir et s’occuper de nous. Nous étions sa priorité. En parallèle, je gardais – secrètement – contact avec mon père.  Très passionnant, n’est-ce pas ? » ironisai-je.

« La suite est plutôt banale. Rien à dire. La vie continuait, pour nous tous, et j’obtins mon diplôme. A mes dix-huit ans, je me suis engagé dans l’US Army, et j’en sortis en tant que tireur d’élite. Par chance, je dirais, je n’ai jamais au besoin d’aller au front. Ne voulant toujours pas m’engager sur la même voie que mon père, c’est-à-dire de travailler pour lui, j’ai déménagé dans le Connecticut et j’ai commencé à suivre des cours de droit à Yale. Là-bas, j’y ai rencontré ma future épouse. Samantha. C’était un rayon de soleil, qui illuminait tout sur son passage. A peine six mois plus tard, nous habitions ensemble et nous étions maris et femme. Pourquoi j’avais choisi le droit ? J’en sais foutre rien. Parce que je devais faire quelque chose, et une carrière dans l’armée ne me tentait guère » Nouvelle gorgée de whisky. Tout du long, le cher psychologue n’avait pas dit un mot. C’est bien ce que je pensais, mais en même temps, il n’y avait rien à dire. Je résumais tout simplement ma vie. « En parallèle de mes cours, je vivais ma vie de jeune adulte, comme tout un chacun. Alcool, sexe, drogue. Oui », j’hochais la tête, plus pour moi-même. « Même la drogue. Je … dealais aussi. Petite activité lucrative, en plus de l’argent de poche que me versais tous les mois mon père sur mon compte. Je poursuivis ce train-train quotidien pendant une année ». Je m’humectais les lèvres, sachant que j’arriverais à un passage que j’aurais préféré oublier. Je fermais les yeux. « Un soir, suite à un dîner romantique pour fêter nos un an de mariage, ma femme et moi, nous étions sur le chemin du retour », je déglutis. « Elle a été tuée, devant moi. Par un de nos concurrents, un autre dealer, qui n’avait pas apprécié que j’empiète sur ses plates-bandes. Ce soir-là, j’ai aussi appris pourquoi Samantha s’était entichée de moi si facilement. Ce n’était qu’une taupe. Pour dire toute la vérité, elle était fiancée avec lui, et c’était aussi lui qui avait eu l’idée qu’elle se rapproche de moi. Pour qu’elle lui file des informations, en douce. Il ne supportait tout simplement plus la situation de la voir heureuse avec moi, et c’est pour cette raison qu’il avait décidé de la tuer. Ainsi que pour me blesser. En me dévoilant toute l’affaire » Je serais les poings, au souvenir de cette nuit-là, omettant de dire que, quelques mois plus tard, je réglais son compte à ce petit dealer à la mort moi le nœud. Il croupissait actuellement sous terres, pour seule compagnie des vermisseaux. « J’avais vingt-trois ans, veuf. Je quittais tout, Yale, mes cours de droit, et j’acceptais la proposition de mon père, c’est-à-dire d’aller travailler pour son entreprise. J’ai commencé tout au fond, pour finalement, devenir vice-président, ce que je suis maintenant ». Je plantais mon regard d’acier dans ses prunelles. « Vous êtes sûr de vouloir tout savoir ? A vos risques et périls ». Il hocha tout simplement la tête, faisant un signe de la main. « Continuez ».

Bon. Il l’aura voulu. Je me levais, me réservant un autre verre de whisky. Lui adressant un petit sourire narquois, haussant les épaules, comme pour dire : c’est comme vous voulez. « L’entreprise de mon père, donc, traite principalement de l’immobilier. Mais ça, c’est la face qu’il montre au monde entier. Derrière se cachent les ténèbres. Le surnom de mon père ? Le parrain. Tout le monde sait qui c’est, du moins de réputation, mais personne ne le connaît vraiment ». Je le vis pâlir. « Trafic de drogue, d’armes, et même d’êtres humains. Tout y passe. Voilà ce que l’entreprise cache réellement ». Je me levai, me rapprochant du médecin, me postant, débout, à ses côtés. « Je suis, en quelque sorte, son bras droit. Je fais le sale boulot. Et je le fais bien. Je n’ai pas peur de me salir les mains, et jusqu’à présent, tout a toujours bien fonctionné. Vous comprenez pourquoi maintenant, je suis obligé de vous tuer ? Je vous avais averti ». Il ne répondit rien, mais je vis très bien la panique dans son regard. Sans dire un mot de plus, je sortis d’une poche intérieure de mon veston, un Berretta, muni d’un silencieux, que j’approchais de sa tempe. En un mouvement, tout fut fini. Je sortis de la pièce, souriant légèrement à la standardiste, sans me retourner.