Les lumières jaunâtre de la nuit dansent sur mes paupières closes à travers la vitre du taxi. Installée au fond de mon siège, je profite de quelques secondes, juste quelques secondes de répit avant de me lancer dans cette nouvelle vie.

Une nouvelle vie que je n’ai pas choisie mais pour laquelle je fais mes premiers choix. Dont celui de ne pas être seule.

La voiture ralentie, le moteur ronronne. « On y est ma p’tite. » J’ouvre un œil, puis l’autre, observe la façade à travers la vitre un instant … puis me concentre sur la somme à réunir pour payer le chauffeur bien que je dois lui laisser quelques billets de trop.

Un soupire et j’ouvre la portière, m’extirpe et attrape ma seule et unique valise coincée sur le siège passager. Voyager léger c’est une règle que j’ai acquises ces vingt-cinq dernières années. Et puis … ne pas s’embarrasser de valise, d’objets du passé semble approprier pour une nouvelle vie à commencer …

Je claque la porte et la voiture s’éloigne, ne me laisse plus le choix. Alors j’avance vers cet immeuble que je ne connais pas. Troisième gauche m’a-t-il dit cet après-midi ? J’ai du mal à me concentrer, du mal à imprimer. Ça arrive et puis ça s’efface.

Devant la porte, il ne me reste plus qu’à essayer la clé qu’Aedan m’a confiée, un clic et la porte cède, j’y suis finalement arrivée.

A travers l’obscurité je tente de découvrir les lieux, définir les pièces, dessiner une décoration ... Je n’ai même pas visité avant de payer le premier loyer …

Je ne veux pas réveiller mes colocataires. Alors je marche, sur la pointe des pieds, approche une première porte où j’entends respirer, en approche une autre où le silence règne. Décidée, j’appuie sur la poignée et entre, pas de bruit. Je dépose ma valise et cherche l’interrupteur.

Mais avant que j’y parvienne la lumière s’allume et me surprend comme on surprend un criminel en action. Un cri de stupeur m’échappe sur le coup, avant que je me tourne vers l’autre personne présente dans la pièce, pourvu qu’Aedan l’ait prévenue de mon arrivée, si tardive soit-elle.

Elle a le vague à l'âme, Lola. Le vague, les vagues, l'océan tout entier, qui déferle sur les sables de son être, ses plages, ses rives, ses bas-fonds et ses écueils. Son lit est trop doux, trop accueillant, le cocon des couvertures trop agréable. Elle ne parvient pas à s'en extraire pour s'occuper, se détourner de ses pensées. Ces éructations morbides, perverses, ces lamentations vomitives, qui suintent un mauvais goudron, qui engouffre ses ailes, empoisse ses sursauts. Elle se noie dans la marée, la marée, si noire, trop noire, goudronnée de mal être.

Sous son duvet, elle se noie. Derrière ses yeux clos et sa peau pouponnée, derrière la crème qui, lentement, pénètre et hydrate, chouchoute et détend. Derrière tout ça. La nuit pèse sur sa conscience. Elle devrait dormir. Être reposée demain. Ou, au moins, coudre, répondre à ses commandes, ses maigres commandes, satisfaire ses clients, pour gagner d'autres commandes. Ou travailler pour les cours, ou...

Elle devrait faire mille chose. Ne fait rien. Se berce d'amertume, de tristesse, d'immobilisme complaisant. Elle soupire et savoure, puis se plaint et se câline. S'enroule, s’emmitoufle. Sous sa couette et dans ses regrets.

Puis elle sursaute. Des pas, légers. Le grincement de la porte pourtant bien huilée. Dans la pénombre, la clinche qui s'abaisse alors que le battant s'ouvre. Elle se tend, dans son lit. Aedan ne ferait pas ça... Qui, alors? Qui? Un cambrioleur, un brigand, un voleur... un Violeur. Un fou. Entré par on ne sait où, allant on ne sait où. Dans sa chambre. Chez elle. Dans son nid.

Elle pourrait hurler. Elle pourrait chercher à s'armer. Elle se terre sous son duvet. Roulée en boule. Seul son regard émerge, écarquillé, effrayé. Elle tente de disparaitre, de ne plus exister. Mais ses orbes brûlantes la trahissent, entre les draps. Elle recule, frémit lorsque la lumière éclate, l'aveugle à moitié, lui plisse les paupières, mais elle darde son regard sur l'intrus. L'intruse. Une jeune femme, une inconnue. Qu'elle fixe sans un mot, gros cocon interrogatif, au center de son lit.