Mai 2009

« Aedan, tu m’écoutes ? » Tu secouas machinalement la tête avant de relever les yeux vers ton petit frère, acquiesçant brièvement. Non tu ne l’écoutais pas, tu ne l’entendais plus. Tu avais juste envie de quitter cette pièce, de rejoindre ta chambre et de faire quelque chose, n’importe quoi qui puisse t’occuper l’esprit ne serait-ce qu’un instant. Mais tu étais là, à essayer de te concentrer sur ce que disait ton cadet, parce que c’était mieux que rien et parce que tu n’étais pas sûr de vouloir te retrouver seul face à toi-même. « Tu vas bien ? » Une nouvelle fois, tes iris trouvèrent ceux de Finn et tu lui adressas un piètre sourire. Il t’avait posé une seule question, relativement simple, et tu étais pourtant incapable d’y répondre. Est-ce que tu allais bien ? Tu n’en avais aucune idée. Pour la première fois depuis des années, tu te forças à réfléchir avant de répondre à cette question et ton frère ne manqua pas de le remarquer. Un soupir força la barrière de tes lèvres et tu te redressas un peu plus sur ta chaise, prenant ton visage dans tes mains. Tu savais qu’il ne laisserait pas tomber si facilement, c’était sans aucun doute le plus têtu de vous trois et même si tu hésitais à te lever, tu étais conscient qu’il ne te laisserait pas partir sans avoir eu au moins une brève explication. « J’ai avoué à Margot que je l’aimais. » finis-tu par souffler. Le dire à voix haute ne faisait que rendre la situation encore plus étrange et l’expression qu’affichait ton frère n’arrangeait rien. Le sourire aux lèvres, il ouvrit la bouche pour répondre mais tu l’interrompis. « Seth a été plus rapide, d’environ trois mois. » Ton cœur se serra légèrement quand tu prononças le nom de ton meilleur ami et tu laissas échapper un léger rire. Trois mois. Ton meilleur ami sortait avec ta meilleure amie depuis trois longs mois et tu n’avais rien remarqué ou tu n’avais rien voulu remarquer. Tu ne savais pas ce qui te dérangeait le plus : qu’ils t’aient laissé dans l’ignorance pendant si longtemps, que tu aies été assez stupide pour ne rien voir, et assez idiot pour avouer tes sentiments à une fille qui en pinçait pour ton meilleur ami. Le sourire de Finn disparut immédiatement et ses yeux se posèrent un moment sur toi. « Oh… » « Ouais. » Tu haussas les épaules et te levas de ta chaise, attrapant une pomme dans la corbeille à fruits. Tu n’étais pas en colère, ni contre Margot, ni contre Seth. Tu étais juste désappointé et incroyablement calme. Peut-être que c’était mieux comme ça dans le fond. Peut-être que ça t’évitait juste une relation vouée à l’échec, comme la plupart de tes relations sociales. Tu croquas dans ta pomme et jetas un coup d’œil en direction de ton petit frère qui te regardait toujours gravement. « Ça va, je t’assure. Vois les choses du bon côté, elle aurait pu sortir avec toi, ou avec Gabe. » Tu ris doucement et assénas une tape dans le dos de Finn, lui soutirant son bougonnement habituel.


Février 2012

Le regard rivé sur les résultats d’analyses, tu sursautas légèrement lorsque tu relevas la tête, manquant de faire tomber ton ordinateur. Bobbi était là, appuyée contre l’encadrement de la porte, les yeux posés sur toi. Tu ne savais pas depuis combien de temps elle était là et tu n’étais pas certain de vouloir le savoir mais tu t’écartas de ton bureau pour lui faire face. « Je pensais être seul. » avouas-tu en désignant la pièce d’un geste de la main. Tu avais l’habitude de bosser tard le soir et d’observer tes collègues partir les uns après les autres. Tu ne t’étais pas attendu à voir quelqu’un débarquer ici, encore moins Bobbi que tu avais l’habitude de croiser sur le terrain, mais pas en dehors. Elle décolla doucement son épaule de la porte et entra dans la pièce, se rapprochant de ton bureau, et de toi par la même occasion. « Je... euh… tu cherchais quelque chose ? » Tu la suivais des yeux, curieux de savoir ce qu’elle faisait là si tard alors que tout le monde était parti. Tout le monde sauf elle et toi, visiblement. Tu l’observas se hisser sur ton bureau de façon à s’assoir dessus, l’air passablement amusé. Tu ne comprenais pas vraiment ce qui se passait, ni ce qu’elle faisait. Elle te déstabilisait avec une facilité déconcertante et tu détestais ça. Les bras croisés sur la poitrine, elle t’adressa un léger sourire et te dévisagea de la tête aux pieds avant de finalement répondre à ta question.  « Ouais, je te cherchais toi. » Tu fronças les sourcils, te demandant si tu avais bien compris ou si la fatigue te jouait encore des tours. Bosser tard avait également des inconvénients et le manque de sommeil en faisait partie. « Moi ? » Machinalement, tu pointas ton doigt sur ton torse, comme pour t’assurer que tu étais bien le « toi » dont elle parlait. Lorsqu’elle hocha la tête pour confirmer, tu laissas retomber ton bras, légèrement confus et parfaitement stupide. « Je me demandais si tu voudrais m’accompagner à une soirée mardi prochain. » Elle descendit du bureau et s’approcha de toi alors que tu réalisais petit à petit ce qu’elle venait de dire. Bobbi venait de faire ce que tu n’avais pas eu le courage de faire. Tu faillis lui demander si elle se sentait bien ou si elle avait bu mais tu te retins. Puis tu réalisas, complètement. « Mardi prochain ? Mais c’est… » « La Saint-Valentin. » Elle t’adressa un clin d’œil et déposa un baiser sur ta joue avant de s’éloigner. « Passe me prendre à vingt heures. »