CALABASAS, TU ME MENACES

Les premiers rayons du soleil viennent recouvrir ma peau. Le murmure des feuillages à l'extérieur de la pièce s'amplifie. Le vent balaye les grands rideaux. Les ombres légères vacillent. Une goûte de sueur caresse ma joue. Les craquements réguliers du parquet se mêlent aux piaillements des oisillons. L'odeur des draps sales. Celle de la chair intime. Un gémissement sourd qui s'éteint contre mon visage. Les paupières fermées, je crois rêver.

L'esprit engourdi, j'ouvre difficilement les yeux. L'odeur néfaste du chloroforme tapissée aux narines, je prend conscience de la situation. Les mains enchaînées au dossier du lit, les poignets brûlées par le frottement. Une femme à la chevelure flavescente se tient sur moi. Elle est courbée, marquée par le temps, les seins qui tombent. Son souffle est saccadé. Elle expire de plein poumons et libère un soupçon de nicotine. Je cri. Cauchemar. Du peu de force que je possède, je me débat. Un poids mort qui se balance à gauche puis à droite, dans l'espoir d'être libéré de cette étreinte indésirée. Elle se retire, s'enveloppe dans un long peignoir que propose mon père aux invités qui utilisent le sauna et m'abandonne vêtue d'un regard accusateur.

Paniqué. J'avale ma salive. Je ne me souviens de rien. Non, pas un souvenir de la soirée, pas une lueur. Le vide, le néant. Du regard, je ratisse la décoration de la pièce. Un  tableau de Michelle Wagner casse la monotonie des murs. Chambre onze, deuxième étage. Au fond de ce couloir réservés aux invités qui déboursent sans compter, derrière le tourne-disque qui peine à exister. Je me redresse, laisse mes bras pendus en arrière. Mes omoplates me lancent, douleur, souffrance. Les clés sont à terre, immiscées dans les sous-vêtements qui vêtissent le sol. Je suis pris au piège, bloqué, coincé. De mes lèvres s'échappent des rugissements profonds, bestiaux. En vain, personne ne vient. Personne ne me libère. Trempé, malmené par la température ambiante, je me prend au jeu et ferme les yeux.

Épave, je laisse le temps défiler dans un silence de plomb. Mort. Peut-être vais-je mourir. De faim, de soif, qu'importe. La mort est peut-être favorable à cette vie de soumission. Une odeur particulière s'impose et masque celle de la chambre. La lessive. Quelqu'un est là. Je reste muet, attentif. Il me libère, le poing part. C'est lui. Père.