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 Phantom of the old days | Lysander

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Sujet: Phantom of the old days | Lysander   Phantom of the old days | Lysander EmptyLun 5 Sep 2016 - 22:06


L'esquintante routine, ces habitudes qu'elle avait forgé au fil des années, sur un chemin qui chaque jour se répétait de façon imperturbable. Un quotidien dont elle ne pouvait trouver à se plaindre, les reproches pourtant aisément articulés par les lippes qui se mouvaient distinctement dans une audace qu'elle peignait sur ses traits. A chaque instant, c'était ce même regard, ces mêmes œillades qui frigorifiaient. Peu osaient défier son insistance, peu lui résistaient en se plongeant dans les abysses au fond indéfini. Et c'était avec satisfaction qu'elle les voyait, courber l'échine, bafouilleurs et incertains de ce qu'ils devaient énoncer pour partir qu'avec le strict minimum de directives ou ennuis. Fin de matinée à l'image de toutes ces autres, de toutes les précédentes qui ne le lui laissaient que de vagues bribes en mémoire, des gestes effectués si couramment qu'elle en oubliait parfois si elle les avait déjà entrepris ou non. Une main passée dans les cheveux, elle les avait attaché si fermement qu'elle pouvait sentir un mal de crâne s'immiscer, perturbant l'emploi du temps qu'elle s'était imposée. Ou peut-être était-ce le chahut incessant des assistants qui ne trouvaient autres occupations que de mentionner leurs aventures d'un week-end, que leurs péripéties dont elle n'en avait que faire si ce n'était pour les enfoncer, pour emboutir le poignard davantage là où les faiblesses logeaient, afin de les enfermer, eux et leurs secrets, dans ses paumes cruelles. « Et donc elle a décidé de te botter le cul et de te virer de ton appartement ? » qu'elle interrogea comme si elle avait été invitée dans la discussion entre les deux jeunes garçons. Des subalternes à ses yeux, ils étaient ses cadets d'une petite poignée d'année et devaient normalement les aider dans leur spécialisation afin de devenir légiste. Pourtant, elle avait été claire dès les premiers instants à leurs côtés : ils valideraient leur diplôme tant qu'ils ne lui traînaient pas dans les pattes durant leur séjour étendu à l'Institut. Et le message semblait être passé. Péniblement, mais tout de même assimilé. Le concerné hocha la tête banalement sans en ajouter plus que le nécessaire requis, tandis que l'autre, souriant, racontait les mésaventures de son collègue. En se frottant le front de l'aide de l'embout de ses doigts, elle avait les sourcils froncés qui laissaient de légères marques des années passées à l'amont de son nez. « Vous vous occupez des expertises à remplir ? J'ai à faire. Ailleurs. » Une excuse pour filer alors qu'elle venait à peine d'arriver quelques heures plus tôt. Elle avait pour envie d'écourter sa journée qui commençait à six heures du matin et qui se terminait à dix huit heures. Il n'était que treize heures et c'était cinq heures en plus qu'elle voulait s'offrir au grand damne de ceux qui se plaisaient à se tourner les pouces jours après jours. Elle n'attendit pas leur réponse qui ne pouvait être qu'en sa faveur, enleva la blouse blanche qui ornait ses épaules désormais détendues.

Un soleil à en couper le souffle. Ou à lui en faire plisser laborieusement les paupières. Elle restait tellement de temps enfermée entre quatre murs, entourée de tables de métal et d'un effluve putride qui s'était ancré dans ses narines. Une odeur qui était devenue commune et qu'elle ne pouvait néanmoins que difficilement supporter, même après autant de temps à fréquenter les corps inertes et leurs secrets dissimulés. Elle déambulait dans les avenues, elle observait ces gens qui n'étaient pour elle que de vulgaires passants, les inconnus qu'elle se fichait de bousculer ou de malmener, innocemment et involontairement qu'elle admettait facticement. Assise à la terrasse d'un café, elle tendit le bras vers une table occupée où siégeait deux jeunes femmes complètement éprises de leur conversation. Elles ne virent pas les phalanges habiles voler la revue posée et ce ne fut qu'avec une raillerie écrite sur les lippes qu'elle remercia celles qui ne furent pas témoin de cet acte mais qui en étaient les victimes. En feuilletant, elle tomba sur des interviews toutes aussi barbantes les unes que les autres. Elle posa les yeux sur les grands titres, lisaient en long, en large et en travers les informations imprimées. « Encore un groupe qui va tomber dans l'oubli. » Ligne après ligne, les commentaires amers de celle qui n'avait que le venin à cracher. Entre deux gorgées de thé, elle esquissait parfois un sourire moqueur. « Que de la parlotte, leur succès va s'effondrer dans quelques mois si ce n'est semaine. » qu'elle marmonnait à l'attention de sa propre personne. Peut-être que certains tendaient l'oreille et grinçaient des dents, des fans de la première heure ou de simples suiveurs. « Je parie qu'ils ont le droit à v'là les groupies, que des nanas en chal- » eur. Elle manqua de s'étouffer, de s'étrangler avec sa propre salive et dût boire une énième gorgée afin de retrouver ses esprits. Si elle n'avait pas prêté attention à la photographie qui ornait la page d'à côté, elle ne pouvait dorénavant plus détourner le regard. Elle rapprocha le magazine de son faciès, scruta avec attention le visage qui lui semblait familier. Commun. Qu'elle avait déjà observé d'aussi près, voire plus près. Elle manqua de coller son nez au papier, à analyser si minutieusement ses trait. Les yeux écarquillés, elle n'en revenait pas. Elle posa le magazine sur la table, prit cet air réfléchi, l'allure pensante, tentant de comprendre. Un flot de nostalgie qui l'envahit, qui l'engloutit, qui la submergea sans préavis. Hâtivement, elle reprit le magazine entre ses mains et examina à nouveau le visage qui ne lui était pas du tout inconnu. « Mais c'est n'importe quoi ! » qu'elle lâcha d'une voix presque criée mais qu'elle étouffa sur les dernières syllabes.

Lysander, Lysander, Lysander résonnait dans sa caboche. Comme un fantôme du passé. Mais un esprit qui ne l'effrayait pas. Elle avait mis dans son sac à main le magazine qu'elle avait froissé et s'était directement dirigée là où elle pensait pouvoir le trouver. Plus elle avançait, plus elle s'approchait du lieu, plus les pensées heurtaient son crâne de réminiscences qu'elle s'était contentée d'oublier. Car depuis ces fameuses vacances, elle avait changé. Elle avait dû abandonner quelques contacts, elle avait délaissé ceux qui leur avait été une fois chers afin de mettre derrière elle un passé qu'elle pensait vouloir effacer. Et pourtant. Combien de fois avait-elle essayer de retrouver ce elle qui n'était plus aujourd'hui ? Échecs après échecs, elle avait négligé l'idée et avait accepté la personne qu'elle était devenue. Et pourtant, en voyant le cliché de Lysander, elle avait eu cet espoir : mince mais surtout inavoué, inavouable et égoïste. Peut-être l'avait-il oublié après que les conversations aient été de moins en moins habituelles, jusqu'à s'évanouir dans les archives ? Devant le bâtiment qui clôturait son escapade, elle hésita. Près du mur, elle put voir la porte s'ouvrir et laisser une femme passer l'embrasure, rejoindre le trottoir et faire quelques pas plus loin. Sans prendre l'instant de réfléchir et de penser à ce qu'elle ferait par la suite, elle trottina (pour ne pas dire qu'elle tapa un sprint et finit essoufflée en à peine dix secondes) et attrapa la porte juste avant qu'elle ne se ferme. A l'intérieur, elle reprit son souffle et prit quelques instants pour contempler les lieux. Était-elle même au bon endroit ? Et que devait-elle faire, maintenant qu'elle était là, à attendre que quelque se passe, à attendre de savoir que faire ? Rester, partir ? Elle s'approcha de l'une des façades, observant ce qui pouvait être accroché dessus. Les mains dans le dos qui se joignaient, elle faisait un pas par-ci, par-là, touchait à ce qui n'était pas à elle avant de reprendre sa posture initiale. En tapotant parfois du bout de ses chaussures à talon sur l'une des parois, elle se laissait guider par ses pas inconscients, passait le bout de ses doigts sur chaque objet qu'elle pouvait tâter. Un petit cadre avec à l'intérieur ce qui semblait être un art abstrait qu'elle n'eut pas le temps d'apprécier, à peine l'eut elle effleuré qu'il tomba au sol, le verre recouvrant l'image, fracassé en une vingtaine de tessons. Elle sursauta dans la surprise, s'accroupit instantanément pour voir les dégâts et se demandait comment elle allait bien pouvoir cacher la faute. « Et merde. » fut la seule chose qu'elle put cependant prononcer.
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Lysander E. Foster

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Sujet: Re: Phantom of the old days | Lysander   Phantom of the old days | Lysander EmptyDim 11 Sep 2016 - 22:13

i can see in your eyes


« Vous pensez vraiment que c’est comme ça que vous m’aurez ? » Les pieds croisés sur la large table de mixage qui occupait tout la largeur du studio d’enregistrement, Lys fulminait. Le bout de sa bottine en daim qui s’agitait trahissait sa nervosité et depuis plusieurs minutes maintenant, il ne cessait de se mordiller l’intérieur de la joue. Dieu qu’il se retenait d’envoyer paître ce mécène du monde de la musique qui avait jeté son dévolu sur son label. Dieu qu’il maudissait celui qui avait élevé la politesse et la retenue au rang de souveraines dans le monde des affaires. Parce qu’à l’instant présent, il avait juste envie de le traiter de tous les noms, de lui dire tout haut ce que tout le monde chuchotait derrière son dos et de lui raccrocher au nez. Les conventions, il mourait d’envie de les envoyer valser avec le reste. Depuis quand on le prenait pour une proie ? Depuis quand était-il un simple investissement ? Ca ne marchait pas comme ça avec lui. Malheureusement, dès lors qu’il avait pris la décision de produire soi-même son groupe et d’autres talents prometteurs et surtout de gérer tout seul, il avait été décidé à imposer ses règles. Et la première avait toujours été : ne dépendre de personne. La sphère professionnelle demeurait la seule de sa vie où il estimait n’avoir besoin de personne. Il était son seul juge et son propre conseiller. S’il jetait encore un coup d’œil aux grands noms de la critique musicale, c’était pour mieux se répéter combien ils ne comprenaient rien au monde d’aujourd’hui et à celui de demain. Ils étaient tous dépassés, aigris, jaloux qu’un mec de Liverpool puisse faire son trou dans le monde de Hollywood sans que personne ne puisse s’en accorder le crédit sinon lui-même. Il les écrasait avec le talon de ses chaussures comme on éteignait un mégot, voilà la métaphore la plus exacte qui représentait ce que Lysander Foster pensait de ses concurrents et détracteurs. Il avait bien d’autres allégories en réserve, mais celle-ci était encore la plus respectable. Ah oui, le respect, il fallait en parler. Il l’exécrait cette hypocrisie qui transpirait dans le monde artistique. Ces coups bas, ces rumeurs dévastatrices, ces magouilles sous la table, il leur crachait dessus. Une fois de plus, Lys s’estimait être le contre-courant, celui qui mettrait le coup dans la fourmilière. Personne ne pourrait l’acheter, surtout pas alors qu’on l’avait jeté tant de fois lorsque la célébrité était au rendez-vous. Désormais, après avoir produit un groupe de musique qui faisait fureur et après que On The Edge avait été choisi pour faire la bande originale d’un film hollywoodien, il était devenu la nouvelle coqueluche des investisseurs et des mafieux des coulisses. Ceux qu’on ne voyait pas sur scène mais qui croyaient tirer les fils derrière les rideaux. Dommage pour eux : Lys ne comptait mettre aucun voile à sa carrière. Il serait réglo, impertinent et honnête, comme il l’avait toujours été. « Écoute, Morrison, puisque tu aimes tant que ça les copinages. Au lieu de ramper auprès de ceux qui ne veulent pas de ta précieuse influence de cocu et de ripou, va plutôt chercher auprès de ton épouse qui avait l’air de bien s’amuser à la soirée d’hier. » Il ricana bruyamment avant de mettre un terme à la supercherie.

Lys reposa le cellulaire sur la table avant de réfléchir quelques instants. Ses yeux bleus perdus dans le vide, il se trouva plutôt fier d’avoir résisté à la tentation. Il ne roulait pas sur l’or, ça non, mais heureusement pour lui, son meilleur ami s’avérait être un riche héritier et il n’y avait rien de tel qu’un homme de confiance pour avoir presque la moitié des parts du studio. Il avait bien joué sur ce coup-là, dès le départ et il n’aurait besoin de personne d’autre pour lui dicter sa conduite. Sans doute entendrait-il parler de cet enfoiré de Morrison tôt ou tard – il voudrait certainement lui faire payer cette disgrâce acide – mais jusqu’ici, il était tranquille. « Lys, je prends ma pause. » Charlotte passa sa petite tête rousse dans l’encadrement de la porte. Elle lui adressa un bref sourire avant de disparaître vers la sortie du personnel. Elle savait qu’avec lui, mieux valait ne pas lui laisser le choix sinon il était capable de la faire travailler de la même façon que lui travaillait, c’est-à-dire jour et nuit. L’Anglais ne comptait pas ses heures, toujours épris par l’inspiration dans les heures impropices. Il ne connaissait toujours pas le sommeil, de toute façon il avait disparu avec l’âme qui avait été le puits de sa sérénité. Mais il s’en moquait. Un artiste n’était pas fait pour se reposer et n’était-il pas le meilleur de tous ? Il secoua ses boucles de gauche à droite pour se remettre les idées en place et bondit de sa chaise, décidé à aller s’en griller une avant de reprendre les corvées d’appel. Il croyait entendre au bout du couloir le claquement d’escarpins sur le sol mais il mit ça sur le compte de Charlotte qui s’éternisait à l’intérieur. Il déambula entre les pièces du studio, à la recherche de son paquet de cigarettes qu’il laissait traîner partout où il passait. Au moment où il mit la main dessus, il entendit le fracas d’un objet en verre qui avait chuté au sol. « Et merde. » marmonna-t-il, déjà certain que l’un des rares choses de valeur qu’il avait installées ici venait de se casser. Il fallait que la maladresse était pathologique chez son assistante et même s’il l’appréciait, il ne comptait plus les fois où il lui avait passé un savon parce qu’il estimait qu’elle ne prenait pas assez soin de son environnement. Lysander était incorrigiblement matérialiste si bien que sa guitare jamais ne quittait ses côtés. Pourtant, il dut l’abandonner dans le bureau quelques instants pour aller voir ce qui se passait.

La clope au bec, il se dirigea vers le salon qui servait de lieu de détente et parfois d’attente pour les rares visiteurs d’un pas rapide. Au moment où il parvint dans la pièce, il remarqua directement le cadre qui manquait sur le comptoir. « Putain t’es sérieuse ? » s’exclama-t-il, en faisant un pas vers elle. « Ca vaut plus que ton sal... » Mais la silhouette qu’il rencontra ne fut pas celle qu’il s’attendait à voir. Même agenouillée, elle était plus grande, plus élancée. La rousseur était remplacée par des reflets chocolat et le détail des mains qui ramassaient les débris de verre était trop familier pour qu’il l’associe à Charlotte. Au moment où la jeune femme releva la tête, la cigarette manqua de lui tomber des lèvres. Comme à chaque fois qu’il faisait face à une situation inattendue, la surprise l’attrapa à la gorge et se lit sur son visage comme un livre ouvert. Harriet. Lys avait une mémoire sélective et une très bonne mémoire quand il s’agissait de se souvenir des meilleures choses comme des pires. Tout ce qui pouvait l’atteindre directement, souvent violemment, il s’en souvenait parfaitement. Et là ce fut son adolescence qui le rattrapa. L’insouciance, les découvertes, l’impétuosité, les règles outrepassées et surtout un moment heureux de sa vie où son frère était encore à ses côtés. De ses deux doigts, dans un geste lent mais élégant, Lys retira le mégot de sa bouche avant de souffler : « Harriet. » Que faisait-elle là ? Il la savait aux États-Unis mais il y avait longtemps, dans un autre temps. Une autre vie. Ca n’était pas son habitude de rester si immobile, si interdit mais il fallut bien quelques poignées de secondes avant que son cerveau et son corps ne se mettent en accord. Comme par soulagement de retrouver un fantôme égaré, une habitude qu’il avait laissé filer, il finit par réagir. Le cœur au bord des lèvres, il effaça la distance qui les séparait et d’un geste brusque, il la releva. Une autre seconde, le temps de vérifier que c’était bien elle, puis il l’enlaça de façon tout aussi turbulente, les bras autour de sa taille si fine. Ses pas les avaient menés contre le comptoir, la coinçant afin qu’elle ne s’enfuit pas. Il se rendit compte combien lui avait grandi, combien ses muscles s’étaient développés car elle, semblait toujours la même. Non tout était pareil. « Harriet. Harriet. Harriet. » Il nicha son visage près de sa nuque pour vérifier que le parfum des souvenirs était toujours là. Il ne réfléchissait pas encore à la raison de sa présence, à la réalité même des choses. Le passé était là, tout irait bien maintenant.
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Sujet: Re: Phantom of the old days | Lysander   Phantom of the old days | Lysander EmptySam 5 Nov 2016 - 21:15


Si c'était la nostalgie qui l'avait submergé quand elle aperçut le visage qu'elle connaissait, imprimé sur l'une des pages du magazine qu'elle se plaisait à rabaisser à chacun des articles qu'elle pouvait lire en long, en large et en travers, elle savait que son action irréfléchie de se rendre là où elle pouvait potentiellement le trouver la mènerait à l'once d'une hésitation effrénée et excessive. Néanmoins, alors qu'il ne lui restait qu'un petit bout de chemin à faire avant de contempler à nouveau un faciès qu'elle avait inhumé dans de vétustes souvenirs lesquels elle préférait ne pas vainement ressasser, elle savait que là était le seul moyen afin de le revoir. Le voulait-elle, cependant ? Après tant d'années, le voulait-il, lui aussi ? A l'instar des écolières prépubères qui connaissaient leur premier amour et qui se retrouvaient les mains sur le ventre à bafouiller de façon ingénue qu'elles avaient des papillons qui leur tortillaient les tripes, c'était cette même sensation qui désormais la faisait serrer la mâchoire et froncer les sourcils. Inquiète, elle avait pour habitude de malmener sa lèvre inférieure en la mordillant inlassablement quand elle n'avait pas à jouer les femmes torrentueuses et impérieuses. Le menton baissé vers le bitume où ses semelles frottaient la crasse et s’abîmaient un peu plus à chaque pas qu'elle entreprenait, elle ne faisait pas attention aux regards qui pouvaient la scruter quand ils la voyaient, les lèvres se mouvant dans des murmures indistincts, chuchotis de sa perplexité, de son doute, de son indécision, de la méfiance à se trouver dans une situation où elle ne pouvait prévoir la réaction de cet autre. Rares étaient les instants où elle était rongée par l'appréhension. Souvent (peut-être même trop) sûre d'elle et confiante quant à ses agissements et ses décisions prises après une délibération qui se voulait expéditive, elle en avait presque oublié le sentiment d'embarras et d'angoisse qui s'imprimaient un peu plus en elle tandis qu'elle s'avançait vers la bâtisse. Une sensibilité qu'elle s'avouait ne plus vouloir ressentir, sa seule chance de pénétrer dans l'établissement se trouvait sous son nez et elle ne pouvait pas la laisser filer entre ses doigts malgré les confusions qui auraient à peu de chose près pu la freiner dans sa démarche. L'embrasure à demi ouverte, aussi bien prête à la laisser passer en douce qu'à se refermer avant qu'elle ne puisse tendre sa paume afin d'arrêter le mouvement, elle se glissa furtivement et discrètement après que la crinière rousse se soit éloignée sans grandes précautions. Le souffle qu'elle retenait et qu'elle tentait tant bien que mal de dompter malgré un palpitant fougueux et déchaîné, elle avait posé l'une de ses mains au niveau de son buste et pouvait sentir les battements frénétiques, insensés. Un instant qui la frappa violemment, elle se demandait pourquoi elle se sentait dans le besoin de se cacher, d'arriver en douce alors qu'elle aurait simplement pu frapper à l'entrée, demander (ou plutôt exiger ?) à voir le maître des lieux. Mais comme une enfant, elle avait ressenti le besoin de jouer la carte de la discrétion, de jouer celle qui lui permettait de fuir tant qu'il en était encore temps. Un regard qui balayait la pièce, quatre murs qui s'ornaient de quelques décorations d'un goût qu'elle ne jugerait en aucun cas, elle s'approchait, effleurait, cherchait à reconnaître des marques qui pouvaient lui faire penser au garçon qu'elle avait autrefois connu. Et si connaître était un terme qu'elle trouvait faible étant donné leur passé commun et ce qu'ils avaient vécu, elle ne savait même pas si celui qu'elle avait fréquenté était toujours le même. A se laisser happer par les interrogations qui lui resteraient sans réponse tant qu'elle ne dévoilait pas sa présence, c'était involontairement que d'un geste incontrôlé, elle fit tomber un cadre où était logé une image qu'elle n'eut pas le temps de contempler. Un bruit sourd, celui de l'objet qui rencontra le parterre et des éclats de verre qui s'envolaient de part et d'autres, elle se mordit la lèvre inférieure dans une manie qu'on lui connaissait.

Accroupie, il ne fallut que quelques instants pour que des pas se fassent entendre, mais son attention préféra les omettre, l'obligeant à se concentrer sur les morceaux de verres dont elle ne savait que faire. Elle aurait pu prendre ses jambes à son cou si les méninges s'étaient manifestées plus rapidement, mais il était déjà trop tard quand cette idée lui effleura l'esprit et c'est un élégant « Putain t’es sérieuse ? »  qui la fit sursauter, la tirant des errances de son esprit. Elle fronça les sourcils, instinctivement. Elle pouvait reconnaître le timbre de voix, la tonalité plus ou moins grave des mots énoncés, ainsi que la remontrance nichée dans la question qui n'en était pas réellement une. Harriet avait le menton baissé, les cheveux qui tombaient sur ses joues et aux devants de ses épaules dissimulaient la majeure partie de son faciès. « Ca vaut plus que ton sal... » Mais elle avait conscience que même ainsi, il pouvait aisément la reconnaître et il était dès lors inutile de se cacher inutilement en temporisant l'instant où elle allait être démasquée. Lysander, il avait constaté que ce n'était plus sa secrétaire à qui il parlait, alors la lexie, il l'interrompit. Il aurait pu envisager une inconnue, une étrangère s'étant faufilée pour des raisons méconnues dans la pièce. Mais Harriet, tout la trahissait. En passant de sa carrure aux moindres détails que pouvaient abriter ses mains, sa posture, elle ne laissa pas le doute perdurer et, menton relevé, ancra son regard dans celui de l'homme. Souffle retenu dans une gorge nouée, elle avait toujours ces deux petites ridules qui étaient formées au bas de son front à cause du froncement incessant des sourcils. Marque de nervosité que certains ne savaient pas lire en pensant à la contrariété, elle avait la mâchoire crispée et restait immobile sans rien prononcer. Pour être honnête, elle ne savait même plus ses intentions premières, ne savait plus pourquoi elle avait jugé judicieux de rattraper un passé qu'elle s'était promis de mettre loin derrière elle. Pourtant, c'était une nostalgie aux souvenirs heureux qui la chamboulait, lui faisait regretter une époque vétuste et poussiéreuse. « Harriet. » Et le sentiment s'accentua d'autant plus lorsqu'il prononça son prénom. Elle se haïssait, à réclamer capricieusement des temps achevés et à obliger quelqu'un à se remémorer des mêmes joyeusetés en se pointant sans mettre au courant de son intention. Harriet, elle ne comptait certainement pas être la première à dire quelque chose. A montrer ce qu'elle pouvait ressentir sans voir ce que lui éprouvait. Elle ne voulait pas montrer de la joie s'il était mécontent de la voir ici. Elle ne voulait pas montrer le regret si lui était au contraire réjoui. Alors quand il fit un premier pas vers elle, elle le laissa faire. De même quand il l'attrapa pour la relever, comme une poupée articulée, il tira légèrement sur son bras et l'instant d'après elle se tenait sur ses deux jambes. On pouvait discerner l'expression naïve sur chacun de ses traits, mais l'ombre d'un sourire sur les lèvres ou inscrit dans le regard étaient insaisissables. Une seconde passa. Ou deux, ou trois, ou même beaucoup plus. Elle n'avait absolument pas la notion du temps, s'efforçait de ne pas dévier les prunelles du visage face au sien. Le menton légèrement surélevé pour pouvoir explorer des traits qui s'étaient creusés avec le temps, il était désormais plus grand qu'elle et à cette pensée, on aurait presque pu remarquer la risette enfantine sur le bord des lippes. Puis l'étreinte qui manqua de lui faire écarquiller les yeux. La surprise, l'étonnement et une tendresse masculine qu'elle n'avait pas ressenti depuis... Quelques temps. Pourtant mariée, on aurait pu croire que les échanges attentionnés se voulaient éperdus et frénétiques. Il n'en était rien. Et là était encore une déception qu'elle ne pouvait avouer au concerné. Harriet, elle aurait pu rester les bras le long du corps, à ne pas vouloir franchir une barrière qui pouvait porter à confusion. Seulement, sans même réfléchir, elle lui rendit l'étreinte et ses mains vinrent se poser sur l'échine de Lysander. Contre le comptoir, elle était l'emprisonnée qui ne comptait pas se carapater.

« Harriet. Harriet. Harriet. » Un souffle contre sa peau, et elle frémit, si bien que le palpitant s'emballa le temps d'un instant, que ses bras se tendirent resserrant ainsi son étreinte sans qu'elle ne s'en aperçoive. Elle n'avait jamais imaginé le revoir un jour, que ce soit ici ou ailleurs, ni s'était donnée l'objectif de le retrouver. Il devait avoir changé. Il devait avoir refait sa vie. Il ne devait plus être le même qu'auparavant. Une inspiration, elle huma la fragrance qu'il dégageait en se remémorant des instants qu'elle pensait perdus. « Désolée d'avoir débarqué sans prévenir. » qu'elle finit par dire, brisant un silence qui pourtant ne la dérangeait pas le moins du monde et dont elle aurait pu se délecter encore plus longtemps. Reculant légèrement la tête afin de pouvoir le regarder, elle dessina un léger sourire sur ses lèvres. Quelque chose de sincère et d'inhabituel pour ceux qui pouvaient tous les jours la voir avec l'expression insensible et glaciale qui lui valait des surnoms auxquels elle ne donnait que peu d'intérêt. Ils pouvaient tous parler dans son dos, devant elle, ils n'étaient que courbettes et politesses hypocrites qui la satisfaisaient. « Et d'avoir fait tombé ce cadre qui vaut apparemment énormément. » Elle succomba presque à se perdre dans chacun des traits qu'elle pouvait examiner après tant d'années, à fixer chaque détails qui avaient été oubliés, ou des inédits qu'elle n'avait autrefois jamais remarqué. « Je n'savais pas que tu étais aux États-Unis. Et encore moins... » Elle dût le lâcher pour aller farfouiller dans son sac à main, ne mettant pas fin à la proximité qu'il avait lui-même instauré. Pour elle, à ses yeux, il n'y avait là rien de mal ni même d'ambigu. Pour d'autres, la scène aurait pu paraître étrange. Mais ces autres, elle les envoyait paître plus loin, insoucieuse de leurs opinions. Elle brandit le magazine qui était ouvert à la page exacte où il avait l'interview ainsi que la photo décorant l'article, le mit à côté du visage de Lysander et compara les deux visages qui ne possédaient aucune différence. « Que tu avais parcouru autant de chemin depuis la dernière fois. » Les yeux rivés sur le magazine, puis sur lui et ainsi de suite, elle ne pouvait s'empêcher d'énumérer les rappels à un passé qui lui avait paru si lointain mais à la fois si proche dès lors qu'elle l'avait revu. « Toujours ces mêmes yeux. Ces mêmes joues. » Comme pour être sûre, elle se sentait obligée de voir si rien n'avait changé. Ou presque. Des éléments n'étaient plus les mêmes, mais il fallait là blâmer un temps qui ne cessait de filer, sans jamais s'arrêter. « Et toujours le même nez. » qu'elle affirma en faisant glisser son index sur l'arête du nez de Lysander. « A croire que rien n'a changé. Sauf... quelques petits points. » La taille, les cheveux, tout ça. En lui mettant le magazine sous le nez là où était mentionné ses prouesses dans le domaine musical, elle continua. « Ne va surtout pas croire que je suis venue te voir parce que j'ai vu que monsieur avait bien réussi dans sa vie. Si je l'avais su plus tôt... » Elle laissa sa phrase en suspens, une fin de phrase qui lui semblait logique et qu'il pouvait sans peine deviner.


@Lysander E. Foster
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