Promener Peg, le bulldog français beige d'Adélaïde, était toujours une affaire d'état. Il fallait savoir que monsieur avait ses heures. Pour une telle race, vivre sous les chaleurs californiennes n'avaient rien de très agréable - fort heureusement, tout était climatisé - alors monsieur avait pris la sale habitude de venir gratter à la porte de la chambre d'Adélaïde à des heures indécentes. Enfin indécentes... pour la jeune femme en tout cas qui était une véritable marmotte. Quand l'un de ses yeux s'ouvrait enfin, c'était sur son réveil trônant sur une table de nuit... sept heure trente... sept heure trente un samedi... « Non mais t'es sérieux Peg? » beuglait-elle, la voix à moitié enrouée par le sommeil, comme si le chien allait lui répondre. Elle savait que la pauvre bête aimait se balader dans la fraîcheur matinale ou en tout cas dans les températures moins élevées que celles de l'après-midi mais il ne fallait pas exagérer. Neuf heure c'était largement suffisant en général mais là, il fallait croire que le chien en avait décidé autrement. Se levant avec difficulté, elle lui ouvrait finalement sa porte pour une grattouille express forcée par la joie de l'animal de la voir enfin debout.

Ce n'était qu'une grosse demi-heure plus tard, sur les coups de huit heure quarante, que les pattes de l'animal frôlaient enfin l'herbe du parc situé non loin de là. Apprêtée mais toujours dans le coaltar, Adélaïde avait fourré ses mains dans les poches de son jean, la laisse de son chien dépassant de la droite. Elle prenait son temps pour marcher et Peg étant une race avec des problèmes de respiration faisait de même. C'était d'ailleurs pour cette seule raison qu'elle laissait le déroulement de la laisse en libre-service pour le canidé parce qu'il n'allait jamais très loin. Enfin ça, c'était sans compter sur un autre chien, sans laisse, qui se mettait à courir, vite poursuivi par Peg qui se sentait provoqué dans la course. « Non non non non non! » Le temps de sortir la laisse de sa poche pour la bloquer et c'était déjà trop tard...

Peg était passé devant quelqu'un, un coureur, un promeneur, elle ne savait pas trop et sa laisse tendue avait provoqué une chute ravageante sous les yeux du chien qui avait fini par s'asseoir, fatigué de sa petite poursuite. Rembobinant rapidement la laisse de son chien, Adélaïde s'approchait de l'homme étalé sur le sol, son visage portant un regard sincèrement désolé. « Je suis désolée. D'habitude il ne court pas comme ça. » Et d'habitude il y a pas de chien sans laisse dans ce parc surtout. « Rien de cassé? » C'est en l'aidant à se relever qu'elle le reconnaissait cet homme. Il était venu relever des empreintes chez son père il y a quelques années suite à un vol, quand elle était encore Jane, cette nymphomane bipolaire incapable de contenir ses envies sexuelles et forcément, bien incapable de ne pas draguer un mec dès lors qu'il était susceptible de lui plaire. Immanquablement, c'était la honte qui lui retournait l'estomac mais pour le moment, elle ne disait rien, souhaitant intérieurement qu'il ne la reconnaisse pas.

Rapidement, tu enfilas ton sweat-shirt et t’emparas de la laisse de Hooper, prêt pour votre sortie quotidienne. Tu essayas de faire le moins de bruit possible, sachant pertinemment que tes colocataires te feraient payer cher chaque minute de sommeil que tu aurais le malheur de leur arracher. Encore plus un samedi, à huit heures tapantes. Ton chien s’affolait à tes jambes, courant dans tous les sens autour de toi, la gueule grande ouverte et la langue pendue. Un sourire étira tes lèvres et tu te penchas pour lui caresser doucement l’encolure. « Ça va, j’ai compris. On y va. » Tu fourras la laisse dans la poche de ton sweat, attrapant au passage ton téléphone et tes écouteurs. Tes doigts parcoururent brièvement l’écran à la recherche de ta playlist habituelle. À force de courir avec Hooper, tu avais fini par rajouter une bonne vingtaine de titres supplémentaires pour être sûr d’avoir de quoi tenir presque deux heures. Ce chien parvenait à te suivre comme ton ombre, sans éprouver la moindre fatigue. Au fil des semaines, tu commençais à croire que tu finirais par t’épuiser avant lui mais tu tenais bon, refusant de voir ton record pulvériser par un vulgaire caniche, aussi attachant soit-il. Quelques minutes plus tard, tes pieds foulaient les sentiers du parc alors que Hooper suivait ton rythme, à quelques mètres de toi, profitant de l’herbe verte pour se laisser aller. Tu le voyais s’arrêter, parfois pour faire ses besoins, parfois pour quémander des gratouilles, parfois pour humer l’air. Puis il revenait vers toi, à une vitesse susceptible de rendre Usain Bolt vert de jalousie. Tu secouas la tête, mi-amusé, mi-exaspéré. Tu savais déjà comment la journée finirait pour lui, avachi dans le canapé, incapable de bouger, sauf peut-être pour rejoindre sa gamelle. Tu entendis Hooper aboyer et le vis se précipiter devant toi, poursuivi par quelque chose que tu n’eues pas le temps de voir. Tes pieds s’emmêlèrent brusquement et tes paumes mordirent les graviers avant que tu ne comprennes ce qui t’arrivait. Tu passas la main sur ton jogging, te retenant de pousser un grognement lorsque les cailloux s’enfoncèrent un peu plus dans la plaie. Tu avais vu pire que ça. « Hooper ! » La tête baissée, tu retiras tes écouteurs et posas tes coudes sur les genoux alors que quelqu’un s’approcher de toi. Tu relevas les yeux en direction de la voix, fronçant légèrement les sourcils. « Non, c’est de ma faute. Enfin, techniquement c’est de sa faute… » précisas-tu en désignant ton chien du doigt. C’était la première fois qu’il te faisait un coup pareil. Tu attrapas la main qu’elle te tendait sans discuter, relevant une nouvelle fois les yeux vers elle. Tu la connaissais, ça ne faisait aucun doute. Seulement, tu ne parvenais pas à te rappeler d’où. « Merci. » Tes iris s’accrochèrent aux siens un instant et tu passas ta main derrière la nuque, jetant un coup d’œil autour de toi. Personne ne semblait avoir remarqué ta chute. Ou en tout cas, personne n’avait l’air de s’en inquiéter, mis à part elle. « On se connaît ? » Tu reportas ton attention sur la jeune femme, curieux de savoir pour quelle raison son visage te paraissait si familier.  

Ce chien finirait par ne lui apporter que des ennuis. Déjà que parfois elle s'engueulait presque avec Andreas à cause de sa pomme, voilà qu'il s'en prenait indirectement à des inconnus et leur faisait du mal en les entraînant dans la chute avec sa laisse. Bien entendu, la jeune femme avait conscience que ce n'était pas l'intention première de l'animal de faire du mal aux autres. Comme tous les chiens qui n'avaient vécu aucun traumatisme, Peg n'était qu'amour et qu'envie d'avoir de nouveaux amis, aussi bien humains qu'animaux. C'était pour cette seule raison qu'il s'était mis à courir après un autre chien, bien plus pour en faire un copain que pour le chasser d'un territoire qui n'était, de toute façon, pas le sien. Une course folle qui s'était soldée par la chute du malheureux propriétaire du chien sans laisse. Forcément désolée, Adélaïde s'était approchée pour s'assurer que la cascade n'avait rien provoqué de grave et pour lui présenter des excuses. Naturellement, elle lui tendait sa main pour l'aider à se relever et c'est à cet instant qu'elle le reconnaissait. Décidément, son passé houleux finissait toujours par la rattraper, malheureusement.

Le rouge marquait lentement mais sûrement ses joues de honte dès l'instant où il mettait l'idée qu'ils se connaissaient sur la table. « Brièvement. » Elle aurait préféré qu'il oublie son visage, d'autant plus que même si elle s'était montrée particulièrement lourde et insistante ce jour-là, leur entrevue avait été relativement courte. Aedan était l'un des seuls hommes a avoir réellement résisté aux charmes d'Adélaïde anciennement Jane. Si elle avait pu le détester pour ça à l'époque, elle ne pouvait s'empêcher de le remercier intérieurement à l'instant. « Vous avez fait votre job chez moi il y a deux ans à peu près. » Enfin, chez son père mais à l'époque ça revenait au même. « Je crois que pour ça aussi je dois vous présenter mes excuses. » Un sourire désolé sur le visage, elle était sincère. Pour avoir discuté avec certains hommes victimes des élans sexuels de la jeune femme au temps de Jane, elle savait combien ce n'était pas simple pour eux à ce moment-là de dire non et de lui faire comprendre que c'était beaucoup trop. « L'eau a coulé sous les ponts depuis. » disait-elle comme pour le rassurer, lui notifier qu'il ne craignait plus grand chose. Evidemment, elle ne pouvait nier qu'il était toujours à son goût, ce sont des choses qui ne se maîtrisent pas les goûts et les couleurs, mais depuis qu'elle s'était faite soignée en maison spécialisée, elle savait se tenir et ne plus répondre à ses élans. « Il y a que mon chien qui a l'air de vouloir s'attacher absolument au vôtre. » se permettait-elle en plaisanterie pour détendre un peu l'atmosphère.

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