Le bisou arrive comme une récompense. Les yeux écarquillés, Kai peine à y croire. Ah bon ? Alice vient réellement de faire ça ? Lui qui pensait que cela n’arriverait jamais. Il glisse doucement quelques mots. « On peut recommencer ? Je n’étais pas prêt. » Et c’est bien la réalité. Il ne pensait pas que leurs lèvres allaient se rencontrer, ou du moins, pas que sa demande soit acceptée aussi rapidement. Un sourire ravi, béat et fier étire ses lèvres. Il ne se fait pas de films. Kai sait à quoi s’en tenir avec la Collins. Tout est question de faire paraitre. De popularité. De jeu. De séduction. De rentre dedans. Parce que chacun sait ce que l’autre vaux. Et ce jeu permet de s’entraîner à être toujours au-dessus, toujours au top. Comment pensez-vous que l’on peut être aussi parfait ? Un entrainement quotidien, voyons. « Je vois très bien. » Répond Kai en se retirant de la proximité qui venait de s’installer, reculant d’un pas, se regardant dans le miroir de la pièce. « On devrait conclure la danse sur un beau baiser. » Son visage reste fixé sur le miroir, cherchant la réaction de la jeune femme avant de se retourner face à elle. « Cela ferait un beau final tu ne trouves pas ? » Et de quoi faire parler d’eux pour un moment, un très long moment même. De quoi faire péter les rumeurs d’un enfant pour Kai, de prouver son célibat. De prouver qu’il ne s’est pas ramolli. Qu’il est toujours un homme à femmes, qu’il est toujours un Delta digne de ce nom. Son absence pour quelques mois à Hawaï a bien entendu eu des conséquences sur sa popularité et Norton voyais cette danse comme une opportunité pour lui aussi, de reconquérir sa place. Alice n’était pas la seule à avoir quelque chose à jouer.

Fourrant les mains dans les poches, le basketteur, satisfait de sa séance propose un dernier petit délice pour la journée. « Tu sais déjà quelle chorégraphie tu veux réaliser je suppose. » Commence-t-il. « Tu me montres ce que ça donne en totalité ? Que je sache ce que je dois être capable de réaliser. » Si un jour il y arrive. Etrangement. Au fond de lui. Il savait que le jour J, il allait réussir. Ce n’est pas son genre d’abandonner, de ne pas se donner à fond, ni encore d’échouer. Il se décale, s’adosse à un mur de la pièce, attrape sa serviette et observe la silhouette de la brune. « On devrait faire ça tous les jours. » Comme une révélation. Ou une motivation.

Je reste immobile quand lui recule d’un pas, accusant encore le coup du baiser, et réfléchissant à l’impact que devra avoir celui du jour J. Ce soir-laà, je lui ferai confiance pour tout donner, pour que les langues puissent se délier et que l’on parle de nous comme d’un couple à qui tout réussi. Amour gloire et beauté sans l’amour. L’équation reste belle, brillante, accrochante. C’est tout ce que j’espère obtenir et Kai n’a aucune raison de refuser ça puisque lui aussi sera gagnant dans l’histoire. Je ne suis pas n’importe qui, après tout. “Oh oui ça serait beau, puisqu’on est beaux.” Je souris à l’adresse de mon ami et par l’intermédiaire du miroir, haussant légèrement les épaules comme s’il s’agissait d’une évidence. “J’attendrai ton baiser. J’espère qu’il sera à la hauteur. C’est risqué de ne pas tester avant, mais je prends le risque.” Un petit clin d’oeil à l’apprenti danseur avant de me focaliser sur mon reflet dans le miroir. J’étire une jambe sur le côté, un bras suit instantanément le mouvement et je m’élance en douceur sur la musique, incapable de me contrôler, ou plutôt de rester inerte pendant trop longtemps.

Kai s’éloigne, je ne le regarde même pas mais je l’écoute, tout du moins je l’entends… Une chance qu’il ait prononcé le mot clé chorégraphie, sinon j’aurais sans doute fait fi de ses paroles. M’arrêtant vers le poste de musique pour sélectionner un titre particulier, je reviens ensuite au centre de la pièce et capture mon propre regard en face de moi, non sans esquisser un petit sourire. “Tu crois vraiment que j’ai envie de voir ta tronche tous les jours ?” Taquine même si franche, je craque un peu et le regarde, durant un très court laps de temps. Une fois la moquerie passée, je me positionne face à un cavalier imaginaire, tends les bras, et entreprends de lui démontrer cette chorégraphie à laquelle j’ai pensé il y a déjà plusieurs semaines. Une valse classique dont il a déjà compris les bases, une transition audacieuse amenant sur du contemporain qui là, posera peut-être plus de problème… Quoique, il est toujours permis de douter, de se donner un peu d’espoir… Ma silhouette suit ce que je lui impose, des cambrements parfois subtiles, parfois plus prononcés. Parfois sensuels, parfois plus rigides. Le message à faire passer est empreint de force, de caractère et de volupté, c’est tout ce que nous devons exprimer. Puis enfin, un retour à la traditionnelle danse des bals pour terminer en toute dignité. Je montre à Kai tout ce à quoi j’ai pensé, tous ces pas qui s’enchaînent harmonieusement. Résultat d’un talent dont je me vante souvent, mais dont il doit lui-même se satisfaire, à en voir ses deux yeux focalisés.

Une fois la démonstration passée, j’éteins la musique et reviens donc vers lui pour prendre la température. “Ton avis ? Une modification à suggérer, peut-être ?” Qu’il en ait une ou pas - bon entre nous ça m’étonnerait - j’attrape mes affaires et l’entraîne hors de la salle de danse. La nuit est tombée, nous ne croisons pas un seul étudiant dans le couloir qui mène aux vestiaires. A la porte de ces derniers, je m’arrête et me tourne vers le basketteur. “Pour les hommes c’est à côté. Tu veux bien m’attendre après et me ramener en voiture chez moi ? Ça sera ta façon de me rémunérer après chaque séance.” J’affiche un large sourire, déjà impatiente à l’idée de grimper dans son grand jouet à moteur. Il le sait que j’aime les belles choses, et surtout celles qui valent de l’argent. Il ne sera donc pas choqué… Et il a intérêt à dire oui, il le sait.

Kai sourit, baisse la tête une seconde, la taquinerie d’Alice venait d’être bien placée et cela le fit rire une seconde. « Je crois que tu ne peux plus te passer de moi. » Pas question de lui laisser le dernier mot. Mais il n’est pas sûr qu’elle ait entendu ses mots. Elle qui est déjà partie dans ses pas de danse, dans sa chorégraphie, sa démonstration. Il s’éponge le visage avec la serviette, sans jamais décrocher son attention de la silhouette féminine qui se move sous ses yeux. Avec cette grâce, cette force, ce truc que seule Alice détient. Kai comprend tout à fait pourquoi ses amis Delta bavent sur cette femme. Mais il reste à distance et observe. Il a conscience que sa réputation, son honneur reposent sur ce qu’elle est en train de lui montrer. L’alliance Alpha – Delta a toujours montré son importance et son efficacité. Aujourd’hui c’est sur ses épaules que repose cette réussite. Et il est prêt à se donner les moyens. Motivé et poussé par la belle gazelle sous ses yeux, rien ne devrait pouvoir les arrêter. Il en est convaincu. La chorégraphie tourne totalement à la démonstration du talent de la Collins, qui n’est plus à prouver.

La musique s’arrête quelques secondes à peine après ce spectacle. Le visage de Kai, totalement déconfit, démontre bien l’état dans lequel il se trouve. « Non, non … » Articule-t-il dans un début médiocre. Rien n’est à changer, tout est parfait. La pression vient juste de monter en flèche. Du genre à paralyser un apprenti danseur dans son genre. Okay, voilà donc le défi qu’il faut relever. Du gâteau … Ou pas. « Tu viens de me foutre la pression ! » Alors qu’ils sortent de la salle. Sans avoir réellement le choix à vrai dire. Il se sent seul devant cette complexité. Alice disparait dans les vestiaires et il ne répond même pas à sa proposition, ou son ordre, c’est quoi ça au juste qu’elle vient de lui balancer ? Encore trop sous le choc de ce qu’il vient de voir. On est d’accord que tout ça, il va devoir le faire ? Et bien il y a du boulot ! C’est moi qui vous le dis ! C’est finit la danse des canards on dirait bien. Pauvre Alice … Elle va en voir de toutes les couleurs avec Monsieur le boulet. Il devrait peut-être lui offrir des chaussures de sécurité, histoire de conserver ses pieds intacts. Un  tour dans les vestiaires, Norton est loin d’être rassuré. Il en ressort quelques minutes après, les clés de la Mustang en main, attendant la professeur, loin d’être rassuré. Commençant à douter de la réussite de ce défi, de ce marathon. Pire qu’une compétition de basket tout ça. Et merde alors, il venait vraiment de se foutre dans un truc qu’il ne maîtrise pas. Un moment de doute se fait sentir. Et la date qui se rapproche ne vient pas le rassurer. Il reviendrait demain et tous les jours, quitte à s’entraîner seul si la Collins ne souhaite pas voir sa tronche, comme elle le dit si bien … Il avait bien besoin de ça pour se donner une chance de réussite.


[FIN POUR KAI]