Appuyé contre l’embrasure de la porte, les bras croisés, il observe la scène, le sourire en coin, admirant le spectacle. Il ne souhaite pas interrompre cet enchainement de gestes, de pas. Il reste là, curieux, à observer d’un œil avisé la silhouette se tordre à un rythme donné. Il n’est pas professionnel en la matière, il n’y connait pas grand-chose, mais il ne pouvait pas nier que c’est agréable de regarder une belle femme exécuter tous ces pas devant ses yeux ébahis. Et l’Alpha se débrouille très bien en la matière. Il reste là une minute encore avant de se décider à révéler sa présence grâce à un raclement de gorge. « Pas mal Collins. » Il se redresse d’un mouvement pour pénétrer dans la salle, les mains dans les poches, jetant un regard autour de lui, vers les miroirs. Il semble avoir interrompu un moment important, mais il s’en fiche. « T’es plutôt canon quand tu danses tu sais. » Aucun ménagement ni détour. Il a ce sourire en coin, il fait son malin. Il a l’habitude de ce genre de situation, de rentre dedans. Les Alphas, il les côtoie au quotidien et il ne se prive plus d’utiliser son charme. Il entre dans leur jeu, le fait ressortir si nécessaire. Cela a toujours été ainsi et encore davantage maintenant que plus aucune femme n’a d’emprise sur lui. Avec Alice, c’est un jeu, rien de plus, comme avec beaucoup d’autres femmes, mais en bon chef de confrérie, il la voit plus souvent que d’autres et entretient une relation complètement différente. Rien d’amoureux ni de sexuel, je vous arrête tout de suite. Quelque chose de plus professionnel, quelque chose qui ressemble plus à une alliance de guerre, de compromis et d’entraide. Quelque chose qui pourrait faire croire à de la bonté, mais qui s’allie pour le meilleur et pour le pire. Ne vous y trompez pas.

Il jette son sac de cours près du mur et se retourne vers Alice en avançant doucement au centre de la pièce. Il est prêt. A souffrir. A apprendre. A danser. Oui, mais surtout à souffrir. « Tu te souviens qu’on a un public à appâter ! » En faisant référence à leur dernière discussion qui l’amena jusqu’ici. « J’ai cru comprendre que tu es un bon professeur de danse. » Il ne sait plus s’il doit s’arrêter sur le mot bon ou sur le mot professeur. Mais il est là pour ce sport. Le sport d’Alice. Pas le sien. Il n’est pas en terrain conquis et il le sait. Il prend des risques, se met à découvert. Pour le bien de leur alliance.  Il n’ajoute rien d’autre. Attendant la réaction de la meneuse du jour. Il appréhende, jamais il ne va l’avouer, mais il connait sa faculté pour la danse et … C’est assez … Chaotique.

Les pas s’enchaînent, les uns aux autres quand le cœur, lui, se déchaîne pour s’accorder à cette rythmique si entraînante, si grisante. La mélodie portée par la voix de Rihanna me galvanise, à tel point que j’en oublie toute notion du temps et même de l’espace. C’est comme s’ils m’appartenaient tout à coup, comme si je les maîtrisais entièrement et que j’étais la seule à pouvoir les contrôler, l’espace d’une chanson. C’est le pouvoir de la danse, elle seule m’apporte ce sentiment de bien-être total et exclusif, un que dans ces instants, je ne partagerais avec quiconque.

Malheureusement tout a une fin, on le sait tous. Mais en l’occurrence, la fin de cet épisode marque le début d’un nouveau, honoré par la présence du fameux Norton. Fameux, certainement pas pour sa capacité à danser comme un dieu, plutôt pour sa capacité à attirer l’attention sur lui d’un simple regard. Touchée par ses premiers mots, je le suis. Il marque un premier point et c’est une bonne idée de sa part de gratter, car je ne suis pas sûre qu’il en gagnera beaucoup d’autres dans l’heure qui va suivre. “Je le sais, oui. Tu n’es pas le premier à me le dire, tu sais.” Il doit savoir. Je ne me fais pas de souci pour lui, les réputations sont toujours bien reçues chez les chefs de confrérie. Souriant en coin, je le regarde à travers le miroir se débarrasser de son sac, tout en sélectionnant une playlist pour les minutes qui suivront. Beyonce, Rihanna, Chris Brown, Ariana Grande, Justin Bieber, Tinashe… ils y passeront tous, que Kai les apprécie ou non.

Puis, j’en viens à me rapprocher de lui. Le contournant comme s’il était l’attraction du soir ; peut-être que c’est un peu le cas, d’une certaine façon. Alors, comme ça, je suis paraît-il un bon professeur ? “Tu as bien compris. Qui t’a dit ça, d’ailleurs ?” Je lui adresse un clin d’oeil et, une fois derrière lui, viens murmurer pas loin de son oreille : “Tu comptes garder tes chaussures ? Ce n’est pas un terrain de basket ici, il faut être plus délicat.” Certes, je ne suis moi-même pas pieds nus, mais la différence, c’est que j’ai plusieurs années de pratique derrière moi. Lui, zéro, alors je dois bien penser au rapport au sol à sa place. “Et si tu me montrais comment on s’échauffe, quand on s’appelle Kai Norton ? N’oublie pas que la danse est un sport comme un autre.” Dois-je déjà rire ? Non, quand même… Loin de moi l’envie de le mettre mal à l’aise dès le début…

Quelle idée. Non, mais, quelle idée avait-il eu d'accepter ça ? Lui ? Kai Norton. Il regrette déjà amérement. Au nom de la confrérie et blabla blabla. Oui, il vaut mieux se rappeller la raison, la cause qu'il défend. Parler de devoir, de fraternité et d'image à faire transparaitre. Sinon, l'envie de fuir en prenant ses jambes à son cou peut vite prédominer. Il avait tenté de prendre son air sûr de lui en pénétrant dans la salle de danse, mais il est clair que cet endroit n'est pas SON terrain de jeu. Et qu'il vaut mieux pour lui de faire profil bas pour survivre. Survivre ... Va-t-il y arriver ? Il s'imagine déjà tomber sur le sol et se briser en mille morceaux. Non, il n'a réellement aucune hâte. Ayant pleinement conscience de son niveau lamentable. Collins va-t-elle avoir la patience de lui apprendre quelque chose ? Ou va-t-il se retrouver à la porte dans une dizaine de minutes. Finalement, tout est possible aujourd'hui. Une chose parrait pourtant clair. Kai, est un boulet en danse et peut importe la musique, le fait de bouger les deux pieds au même rythme, ce n'est pas possible pour lui. Le tempo. Il n'y connait rien. Alors le mélange de tout ... C'est bien trop pour lui.

" Les rumeurs, tu connais ça. " Dit-il sans vraiment y penser. Il ne se souvenait absolument pas de la personne qui était venu lui rapporter cette information. Il avait fait quelques recherches avant de se jeter dans la gueule du loup, voilà tout. C'était son habitude qui venait de prendre le dessus pour répondre à Alice. Ce n'est pas du rentre dedans. Cela peut y ressembler. Cela y ressemble d'ailleurs probablement. Mais tout deux connaissent la vérité, il ne s'agit en rien à de la drague. Juste leur manière de se parler. Toujours. Chefs de confrérie obligent. " Je me sens mieux avec mes baskets. " Il sort de ses pensées et décide de s'investir dans ce cours de danse. Pour une fois qu'il prend une bonne décision dans sa vie. " Je suis certain que c'est solide ce truc. " Et il tape du bout du pied le sol de la salle. Mais oui, ça va le faire, il n'est pas non plus énorme. Et il veut vraiment garder ses chaussures, il préfère. Comme si garder ses baskets signifiait être protégé en cas de chute. La cheville est maintenue. Chose très importante à noter. Okay, il faut bien se l'avouer, les arguments sont minables. Mais être pied nu pour danser, trop peu pour lui.

Rien de tel pour lui donner satisfaction. " Tu veux que je te montres ça ? " Provocateur. Il bombe le torse, pas pour impressionner, mais pour se préparer à ce qu'il s'apprête à faire. Vous connaissez tous Kai ? Non ? Comment ça ? Vous ignorez le pitre qu'il est ? Attention les yeux. " Etape 1, les fessiers. " Dit-il, fier. Et hop, monsieur vous fait un squat magnifique comme si ce mouvement était d'une simplicité ironique. Il enchaine avec un deuxième jusqu'à arriver à dix avant de prendre un air sérieux. Continuant sans demander la permission, échauffant principalement les articulations. Chevilles, poignets, nuque, quelques montées de genoux. " Ça vous va Madame ? Ou je dois enchaîner tout l'entraînement de basket avec un footing ? " Un brin insolant cet élève.

Il préfère garder ses chaussures de basketteurs ? Soit. Il aura l’air aussi délicat qu’un éléphant sur une piste de danse mais je n’ai pas envie de perdre mon temps à le forcer là-dessus. Et puis, s’il se sent mieux avec, c’est bon à prendre, non ? Je ne suis pas aussi sadique que vous le pensez ; je crois aussi que meilleures seront les conditions entre nous, meilleure sera notre performance en fin d’année. Alors je jette un dernier coup d’oeil à ses pieds et hausse les épaules de façon indifférente. “C’est solide, oui. On y fait quelques portés dangereux assez régulièrement.” Je lui adresse un petit regard qui veut tout dire mais qu’il interprétera peut-être comme une victoire puisque je lui laisse ses pompes, du coup je me précipite de changer de sujet.

L’échauffement. Une pratique qu’il doit très bien connaître, même si à son niveau il doit désormais passer dessus de façon expéditive. Enfin, c’est ce que j’aurais tendance à suspecter d’un type comme lui, en tout cas… Hochant la tête espièglement quand il me demande si je veux le voir à l’oeuvre, je m’écarte et croise mes bras sous ma poitrine en vue de jauger ce qu’il vaut. Evidemment, son genre c’est aussi d’en faire le plus possible. TOUJOURS PLUS, avec Norton, sinon ce n’est pas vraiment lui. Avec son étape une des fessiers et son squat impeccable, je lui concède un point, c’est plutôt drôle au point de me faire rire. Je regarde la suite en silence, tout en faisant quelques pas pour ne pas perdre la chaleur de mon corps. Quelques minutes à peine plus tard, il semble avoir terminé. “Je ne suis pas comme toutes ces nanas que tu aimes impressionner tous les jours. Ton basket pro il reste au placard ce soir.” Je réponds à son insolence de la même façon pour bien lui montrer que c’est Madame, là, la patronne. Qu’il ne s’y trompe. Que personne ne s’y trompe et surtout pas les étudiants en danse qui passent à côté de la salle en jetant des coups d’oeil curieux.

Voici le moment venu de lui exposer un peu plus clairement mes plans. Pour cela, je me rapproche à nouveau de lui et déclare, sans plus attendre : “Ils s’attendent à une valse digne des bals de prom, mais c’est mal me connaître que de croire que je me limiterai à ça.” Relevant mes yeux vers lui, je poursuis en maintenant mon sérieux. Après tout, on parle un peu business, là. “C’est comme si on te demandait de gagner avec un lancer franc de diff sur l’autre équipe. C’est médiocre et tu resterais sur ta faim. Moi je vais t’apprendre la valse et on débutera par une valse, mais on ne s’arrêtera pas à ça. On enchaînera sur une choré plus moderne pour les surprendre. A la toute fin, on reprendra la valse pour que l’ambiance plutôt classique de la soirée reprenne son cours normalement. Tu me suis ?” Que je finis par demander, tout en réajustant ma queue de cheval.

Ouh ! Elle ne blague pas Madame Collins ! Elle ferait peur au plus rebelle de tous les élèves avec ce ton direct et sec. Kai arrête spontanément ses remarques et ses pitreries très rapidement. Il n'allait pas oser se mettre à dos la belle Alpha. Ils avaient un but, un objectif à atteindre et ils se devaient de faire des efforts, l'un comme l'autre, pour y parvenir. Même si pour cela, Kai devait être sage. Oui. C'est possible. Avec un effort surhumain certes. Mais c'est un fait qui peut être réalisé. Avec beaucoup de patience. Alors il ne dit plus rien. Immobile. Tel un soldat qui obéit aveuglement à son supérieur, vous connaissez la hiérarchie militaire ? On pourrait la percevoir dans l'ambiance de cet instant. Allez Norton, écoutes donc le colonel Collins. Il remue la tête de haut en bas pour faire signe qu'il a compris et que, comme elle vient de l'indiquer, il allait ranger son basket pro au placard. Bien malheureusement. C'est une partie de lui qui l'aide au quotidien. Mais pour aujourd'hui. Pas pour la leçon du jour. Lui laissant ce sentiment d'être sans défense. Mal à l'aise.

Alice se rapproche de Kai. Il ne peut pas s'empêcher d'avoir un oeil intéressé une seconde avant de se reprendre. Le sérieux de la professeur lui remit les idées en place très rapidement. On n'est pas là pour la drague, ni pour le matage, on est là pour des choses importantes, essentielles à la survie des deux confréries. Kai écoute alors très attentivement les paroles d'Alice en agitant la tête de façon positive. Au début, c'était du chinois. Ou du japonais. Il ne sait pas trop. En tout cas, il n'a rien compris. Et Alice a l'idée de génie de démontrer son idée par des comparaisons avec le basket-ball. Kai sourit. Sans le vouloir. Comme pour la remercier de soigner sa stupidité. Il est alors beaucoup plus attentif. Comme si le fait d'avoir eu un lien avec son milieu a captivé toute son attention. Il cerne très bien la chose et la volonté d'Alice, mais il ne peut s'empêcher de faire une remarque. Après tout, n'était-elle pas en train de demander son avis ? Pas réellement en réalité. Voir pas du tout. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher. " Et tout ça là ? " En parlant de sa valse, sa choré moderne, tout ce qu'elle prévoit. " Tu crois que j'en suis capable ? " Non parce que niveau boulet, voici monsieur le roi dans la matière. " Tu vois la bête que je suis ? Fais gaffe, je suis nul en danse, je t'ai prévenu la dernière fois, tu vas avoir du boulot. " Et cette fois. Ce n'est pas ironique. Ce n'est pas une de ses mauvaises blagues. Pas d'ironie. Il est franc. Comme il ne l'a jamais été.

L'Hawaïen passe une main dans sa chevelure, se massant la nuque en redescendant. Signe d'un muscle tendu et d'un petit inconfort dans la situation. Il déglutit. " On commence par quoi ? " Tentative pour paraître sûr de lui. Mais c'est peine perdue. Il ne contrôle rien. Ce n'est pas son milieu. Ce n'est pas son sport. Il n'est pas chez lui. Bref, aucun des éléments n'est présent pour le mettre à l'aise. Ah si. Il a réussi à conserver ses baskets aux pieds. Seul point positif. Il baisse la tête pour les observer. * Bon, les amies, sauvez-moi et faites en sorte que je ne m'en sorte pas si mal. * Si elles pouvaient danser pour lui ... Ah le rêve.

Il m’est déjà arrivé de donner des cours dans le cadre de mon cursus universitaire, mais jamais à des spécimens comme Kai. Les gars comme lui, en général, se fichent bien de savoir danser ou non. Ils préfèrent marquer des paniers, impressionner la foule avec leur force et leur ambition plutôt qu’avec leur souplesse ou leur grâce, la plupart du temps inexistantes. Chacun son domaine, comme on dit. Ce soir et chaque soir durant lesquels nous nous entraînerons seront des challenges pour moi comme pour Kai. Je suis déjà agréablement surprise qu’il accepte de relever le défi, et rien que pour ça, il gagne une partie de mon respect à son égard.

Pas étonnant, cela dit, qu’il manque de confiance en lui. Je ne m’attendais pas à son assurance légendaire sur ce parquet, néanmoins je sais qu’il est capable d’en faire preuve et parfois dans les situations les plus ridicules, alors… “Tu n’as peut-être pas encore les compétences nécessaires en danse, mais le mental, tu l’as. Je le sais.” Parce que je le connais en dehors de cette salle. Je l’ai déjà vu sur un terrain de basket, et même ailleurs. Je lui connais cette niaque imparable quand il a des objectifs clairs en tête. Esquissant un mince sourire en coin, j’ajoute : “Et avec un bon mental, on fait de grandes choses.” Je dois lui concéder ça. Si nous sommes différents sur quelques aspects, à ce niveau-là on est faits dans le même moule. Quand on veut quelque chose, on ne baisse pas facilement les bras.

A la question “on commence par quoi ?” je me lance vers le poste de musique et en lance une modérément rythmée. Ensuite je viens m’installer à côté de lui, à quelques mètres du miroir. “Tu dois d’abord maîtriser la marche. Regarde, quand j’avance, j’attaque par le talon.” Je lui montre, avançant de quelques pas et posant chaque fois le talon en premier. Puis je m’arrête, regarde mon reflet. “Quand je recule, c’est avec la pointe du pied que j’attaque, tu vois ?” Il devrait voir, c’est plutôt simple. Mes yeux vont chercher les siens à travers le miroir. “C’est la règle à ne jamais oublier. Tout est basé sur la marche, dans la valse, et puisque l’homme et la femme se font face, leurs pas se complètent. Tu vas avancer ton pieds droit et moi pour te laisser la place, je vais reculer mon pied gauche.” Je viens me positionner face à lui. “C’est une danse plutôt équilibrée, au final. Tu entres dans mon espace, je me retire. J’entre dans ton espace, tu te retires. Ainsi de suite. C’est du rentre-dedans très courtois, si tu veux. On n’empiète jamais l’espace du partenaire.” Finis-je par dire, fière de cette comparaison plutôt réaliste. “Alors, à toi de me montrer ce que tu as compris.” J’attends, prête à le suivre dans ses pas.

La première étape semble être la marche. Ce simple mot permet à Kai de percevoir avec intensité que le cours vient de débuter. Et qu'ici. Tout ce qu'il a appris tout au long de sa vie ne sert strictement à rien. Au début, il écarquille les yeux. Pas certain de vouloir toujours participer à ce cours. Pourtant, l'enjeu le fait rester ici. Il ne bouge pas et observe. Avalant chacun des mots de la professeur avec avidité. Ils n'avaient pas toute la vie pour faire de Kai un danseur. Chacun doit faire des efforts. Et être attentif est le rôle du Delta. Pas le rôle le plus difficile, certes, mais un rôle essentiel. Fini les bêtises pour une soirée. Le moment est rare. Kai. Les mains jointes dans le dos, les pieds légèrement écartés de façon parallèle, regarde d'un air curieux et intéressé les pas qu'Alice opère devant lui. Il boit ses explications. Il est intéressé. Encore plus sérieux qu'un cours de management bien ficelé ou d'une leçon de tactique défensive pour l'équipe de basket. Il entend le mot valse, les pas qui se complètent, la danse équilibrée, l'espace du partenaire ... Hein ? Il vient à peine de comprendre tout ce que vient de lui balancer Alice qu'il entend ses derniers mots. C'est à son tour ? A lui ? Vraiment? Il hésite un moment pour avouer qu'il n'avait rien compris. Mais son orgueil, sa fierté et l'envie de ne pas la décevoir prit le dessus. " Okay. " Pas rassuré. Pas certain.

Alors c'est maintenant. Kai inspire profondément. " On est d'accord, il n'y a aucune caméra dans la salle ? " Histoire d'être certain que ce qui va se passer ici, reste ici. Il le sait déjà, sa capacité de danseur est totalement inexistante. Un regard dans le miroir, il se regarde, puis observe Alice. Cherchant un soutien dans ses yeux. Alors on y est. Le talon. Le talon, pense au talon. " On doit vraiment faire ça ? " Sa question n'attend pas de réponse. Il inspire. Encore une fois. De l'air. Voilà ce dont il a besoin. C'est le moment de se lancer. L'objectif est clair, il est hors de question de se défiler.

Un premier pas. Il pense au talon. Et il s'étonne de voir qu'il s'en sort pas si mal. Puis un second pas. Aussi bien exécuté. Il s'arrête. Regarde Alice et sourit. Comme un gamin qui découvre que ses jambes lui servent à marcher debout et non pas seulement à ramper sur le sol. Alors il se relance. Un premier pas, bien réalisé. Un second et c'est au troisième qu'il oublie le talon. Il s'en rend compte quasi immédiatement et rectifie le tir au pas suivant. Il n'écoute pas la musique.  Le perturbant davantage que l'aidant. Il s'arrête une nouvelle fois. Ne fait aucun commentaire, mais au fond de lui, sa fierté envahit son égo. Kai se lance une nouvelle fois ... Trop vite. Trop fort. Il n'a plus pensé au talon. Plus à l'histoire d'espace de son partenaire. Ni même à la danse équilibrée. Il a prit confiance en lui beaucoup trop vite et le choc n'attend pas. Il avait avancé beaucoup trop vite en se lançant dans un nouvel essai et son corps a percuté celui d'Alice sans qu'il ne le veuille. Lui assénant un bon coup de tête au passage. " Pardon, pardon. " Il oublie ce pour quoi il est là. " ça va ? " Demande-t-il complètement désolé de  sa faculté à ne pas savoir gérer son propre corps.

On dirait qu’il cherche la confiance, le petit Norton. Car oui, je l’ai connu plus grand, plus assuré que ce qu’il est dans ce studio de danse. Mais l’apprenti danseur n’a pas vraiment ça dans la peau, il faudrait être aveugle pour le penser. Quoi qu’il en soit, il n’est pas ici pour rien ; il a envie de faire des efforts et ça vaudrait presque, je dis bien presque, de l’or. A sa question au sujet des caméras, je lui réponds sur un ton d’abord amusé, puis pensif. “Tu aurais du me dire ça avant. J’aurais pu gagner un peu d’argent en envoyant tes performances à VideoGag.” Bien sûr, je tire ma langue pour accentuer ma moquerie, et les bras croisés, j’attends qu’il bouge enfin.

Ce qui ne tarde pas à arriver. Il avance, en suivant proprement les règles que je lui ai énoncées auparavant. D’abord le talon, puis le reste du pied. Un pas, un second, que je suis en reculant face à lui. Puis il échoue sur un pas. Mais rien que je ne veuille sanctionner, ce serait stupide de ma part et si peu pédagogue. Il se reprend très vite et évite les erreurs pendant un temps, se fichant de la musique dont je fais également fi, pour lui. Chaque chose en son temps, comme on dit. Je pensais que cela l’aiderait mais si ce n’est pas le cas, alors peu importe. Kai semble gagner en confiance et les pas se suivent sans bourdes… jusqu’à ce qu’il y ait mésentente entre nous.

Je pensais qu’il allait reculer car c’était le temps suivi depuis une petite minute mais au lieu de ça il avance quand j’avance également et de fait… c’est le choc ! Cela aurait pu être moins brusque, plus soft, mais nous parlons bien de Kai Norton, le basketman bâti comme un garde du corps ou presque, alors quand sa tête vient frapper contre la mienne, ça fait tout sauf du bien. “Outch” Je gémis, amenant ma main au niveau de mon front comme pour faire passer la douleur. Inconsciemment, mon autre main se pose sur mon ami, au niveau de son torse, et je l’invite ensuite à ne pas se rapprocher davantage en levant l’index. “Ne bouge plus.” Mes yeux vont à la recherche des siens et je lui adresse un regard irrité. C’est le moment où je dois lui rappeler qui est la patronne ici, ou la diva, selon le point de vue. “Tu vas te calmer tout de suite, hein, la valse c’est censé être doux. Une danse où les deux partenaires s’écoutent et se respectent. Toi tu penses trop solo, il va falloir que tu fasses en fonction de moi, aussi.” En vrai, les danseurs ne s’écoutent pas, ils exécutent seulement une mécanique parfaite, au centimètre près. Mais Kai et moi n’en sommes pas à ce degré de maîtrise, pas lui tout du moins, alors il va falloir qu’il se calque un tantinet à moi s’il veut progresser. Ca évitera les chocs de ce genre.

Prenant une bonne inspiration, je me rapproche de lui, pose ma main sur son épaule tandis que l’autre vient se glisser dans la sienne, sur le côté, suivant les règles de l’art. J’accentue la force de mes gestes pour qu’il les enregistre le mieux possible. Mon corps, quant à lui, s’avance vers le sien, sans pour autant venir se coller pour respecter l’espace de distance. Là, je relève mon regard vers le sien et fais un effort monstrueux pour garder mon sérieux. “Trois pas en avant, trois pas en arrière. Prêt ?” Un petit sourire en coin, avant d’ajouter… “Je sais que je t’attire et que t’as toujours eu envie de m’embrasser mais retiens-toi. On a vu ce que ça a donné.”

Hors jeu:

Un gamin. Voilà comment se sentait Kai à ce moment-là. Un vrai gamin.  Il se fait réprimander. Corriger. Pire qu’à l’école élémentaire. Mais il ne râle pas. Il ne dit rien. C’est le but de la manœuvre. Le but d’un cours de danse. Encore une fois il se demande ce qu’il fou là. Il est tellement doué qu’il arrive à faire mal à Alice, sans même le vouloir. Bravo l’artiste ! Une nouvelle réprimande. Une nouvelle volée d’amusement pour la Collins. Allez, profites, ce soir c’est pour toi. Mais la prochaine fois Kai sera en posture de répondre, il se le jure à lui-même. Il doit laisser le pouvoir et cela ne le satisfait pas tellement. Un hochement de tête positif pour dire qu’il a compris. Comprendre ne signifie pas forcément réussir. Mais il se laisse aller à l’idée que s’il écoute correctement, l’application pourrait être réalisable. Ah que c’est beau de rêver ! « Compris Madame. » Comme si le fait de lui donner du pouvoir lui donnerait envie de le laisser tranquille. Fou toi le doigt dans l’œil Kai ! Vas-y ! « Guides moi alors, tu connais mon niveau de danse ... » Il laisse sa phrase en suspens pour éviter de devoir révéler sa nullité. Même si elle est flagrante.

Il la laisse prendre les choses en main. Le placement des mains. Du corps. Du buste. Un pantin. Okay, et maintenant ? « Non. » Paniqué. « Non je ne suis pas prêt. » Il ne bouge pas, attend une seconde, le temps de bien mémoriser l’information. Donc, trois en avant, trois en arrière. C’est tout bête. Comme … Un panier à trois points. Reprenons le chiffre trois c’est bien. Non, mais, au basket, si on fait trois pas on fait une faute. Mauvaise comparaison. Il perd une seconde de plus et sort de ses pensées. Alice détend l’atmosphère. Merci. Il sourit. Lui aussi. « On a jamais essayé de s’embrasser, ça pourrait aider. » Il ne pouvait s’en empêcher. Gardant un regard insistant pour voir si sa réponse déclencherait une envie quelconque. Il décide de se lancer à ce moment-là. Où la pression se fait moins pressante. « Je suis prêt. » Dit-il comme pour annoncer le top départ. Il ne sait pas comment gérer la musique. Alors il ne fait pas attention. Tant pis s’il se ridiculise. Il n’est plus à ça près ce soir.

Est-ce à elle de donner la cadence ? De le guider ? Il s’en fiche. Il décide de se lancer. Elle suivra bien. D’abord les trois premiers pas en avant. Pensant à ses pieds. A ce talon. A ses bras. A cette posture. Il s’arrête et opère les trois pas en arrière. C’est la folie ! Il y arrive ! Putain de merde ! Un sourire ravi sur les lèvres, il prend confiance. Ce n’est plus seulement dans la réprimande qu’il se sent gamin. C’est dans cette découverte. Il arrive à gérer ses pieds en même temps. Ouah ! C’est ça la danse alors ? Il tente un nouvel enchaînement et s’en sort très bien. Comme quoi, tout arrive dans la vie. Quand le deuxième enchaînement est réussi avec brio, il s’arrête et lâche la main d’Alice comme pour récupérer d’un effort surhumain. Mais c’est plutôt pour ajouter, fier de lui. « Je crois que c’est bon, on continue ? » Il est chaud. Il se sent capable de tout. Même s’il n’a aucune idée de ce qui l’attend après et connaissant l’Alpha. Cela ne sera pas aussi facile que cette première étape. Alors pour se donner du courage, il enchérit. « Ça vaut bien un bisou ça pour me féliciter ? » Un sourire taquin.

C’est ce que tout le monde attend. Que les soupçons entre la chef Alpha et le chef Delta se transforment en une réalité observable, appréciable et critiquable. Qu’ils affichent enfin quelque chose de croustillant. Quelque chose à leur hauteur, en fin de compte.

Le moindre rapprochement, le moindre regard, tout est propice pour faire jaser et je dois dire que c’est ce qui me plaît dans le fait d’être populaire. Avoir les regards braqués sur moi, qu’on m’invente une vie bien plus grande et brillante qu’elle ne l’est en réalité. Car c’est toujours comme ça, au final… Mais dans ce studio de danse, nous n’avons pas un public assez grand. Pas assez d’yeux pour aller rapporter l’événement grandiose et inédit : Alice et Kai se sont embrassés, ils dévoilent enfin leur couple, jusqu'alors caché. Une rumeur qui me ferait jubiler pour de multiples raisons bien que les sentiments ne soient pas de la partie, mais surtout une rumeur qui ne peut pas prendre naissance ici. Je sais que deux ou trois étudiants sont en train de nous regarder à la porte, tout au plus, et ce n’est évidemment pas suffisant.  “Reste concentré.” Je me retiens de sourire et le fixe, intensément. Il devrait éviter de penser à cet éventuel baiser maintenant, tout comme moi. Oh pourtant, je me doute que ce serait agréable. Il ne doit pas être mauvais à ça, c’est même le contraire que j’ai entendu et je sais que je peux avoir une totale confiance en mes sources. Mais bref, la danse.

Les pas se succèdent, avec brio cette fois-ci. Il semblerait que la leçon soit apprise et je peux donc retirer mes paroles ; il n’est pas si cancre que ça. S’il laisse exploser sa joie aussitôt, je contiens la mienne un instant, juste un instant, cela devient vite difficile de résister. Kai est fier et je le suis aussi, alors je souris également, sans pour autant perdre de vue l’objectif final dont on est très loin. Et malin comme il est, sa question sur de potentielles félicitations ne me surprend qu’à moitié. Elle va bien avec sa personnalité et avec son engouement. Je réponds avec la même malice que la sienne. “Etant donné que je ne vois pas comment te féliciter autrement, pourquoi pas.” Lentement je me rapproche, abaisse mon regard sur ses lèvres, quand mes mains elles se posent sur son torse. Il ne doit pas y croire. Il doit penser que je me joue de lui et que je ne vais rien faire, mais c’est pourtant bien ce que je m’apprête à faire. Ma bouche va surprendre la sienne dans un bref baiser ou plutôt “bisou”, comme il l’a si bien demandé, et une fois cela fait, je rouvre mes yeux aussitôt avec toute l'espièglerie qui m'est propre. “J’en attendrai autant voire plus de ta part, le soir du spectacle. Si tu vois ce que je veux dire.” Je me pince les lèvres et craque un sourire, espérant qu’il comprendra le principe. Le soir du bal, on aura du monde à épater.