A la vie, comme au jeu, on perd ou on gagne. On lance les dés, et on laisse le hasard décider si on est assez chanceux pour l'emporter aujourd'hui. Mais Meghan, elle n'avait pas le luxe de laisser son destin reposer sur de la chance. Alors, elle faisait des calculs. Des statistiques. Des probabilités. Elle imaginait tous les problèmes possibles, et toutes les solutions qu'elle pouvait y trouver. Elle savait que les hommes n'étaient jamais que des énigmes. Des puzzle morcelés qu'il lui appartenait de reconstituer. Edward Lensie était l'un d'entre eux. Assise, dans sa voiture, elle se demandait si elle ne devait pas faire machine arrière. Elle savait qui il était. Avant d'enquêter sur sa femme, comme il le lui avait demandé, elle avait d'abord enquêté sur lui. C'était quelque chose qu'elle avait appris, avec le temps. Il fallait toujours se méfier du client.  Alors, elle avait épluché tous les dossiers qu'elle avait pu trouver. Elle  avait demandé à tous les officiers qu'elle connaissait. Elle s'était introduite dans sa boîte mail, puis dans son système informatique. Elle connaissait ses méthodes, à présent. Et elle savait qu'elle n'avait pas le droit à l'erreur. Mais elle savait aussi que, si elle choisissait le bon angle d'attaque, elle tirer son épingle du jeu. Elle ne pouvait pas se contenter d'être un simple pion dans un échiquier beaucoup trop grand pour elle. Elle devait gagner sa confiance. Lui devenir indispensable. Et pour cela, il fallait prendre un risque. Elle écrasa sa cigarette dans le cendrier de sa voiture. Son soupir se mêla à la fumée qui s'élevait encore du mégot. Elle jeta un coup d’œil aux photos qu'elle avait prise et aux emails qu’elle avait réussi à hacker. Ca serait suffisant pour cette fois.

Elle rangea son dossier dans son sac et claqua la portière de sa voiture derrière elle. Elle était en retard d'exactement 12 minutes. D'après ses calculs, elle serait accueillie par le majordome d'Edward. Elle devrait décliner son identité, et elle le ferait avec une voix confiante. Il lui indiquerait qu'elle était attendue. Elle prendrait un air désolé, puis il la guiderait jusqu'aux jardins, endroit où Edward aimait passer ses après-midi depuis quelques semaines. Là, il lui ferait probablement une remarque sur son retard. Edward détestait attendre. Ca aussi, elle l'avait appris en écoutant ses conversations téléphoniques. Puis, il lui offrirait à boire avant de parler affaire avec elle. A ce moment là, et seulement à ce moment là, elle pourrait reprendre les rennes.

« Ah Mademoiselle Watson, vous voilà enfin ! La ponctualité n’est décidément pas votre fort… Mais bon, vous êtes là c’est le principal. » Bingo. Elle s'excusa avec un sourire poli. Il lui lança un regard glacé pendant qu'elle baissait le sien, faisant mine d'être impressionnée. Mais peut-être qu'elle l'était. Après tout, son coeur tambourinait  si fort contre sa poitrine qu'elle se demandait comment il faisait pour ne pas l'entendre d'ici. Elle était nerveuse. Elle savait qu'elle pouvait perdre le peu d'avantage qu'elle avait en l'espace d'une seconde.  « J’espère que vous m’apportez quelque chose qui en vaille la peine ! » Encore une fois, elle lui offrit un sourire poli, attendant, tout comme lui, que le majordome termine son service. Une autre chose Edward Lensie appréciait : la discrétion. Elle se tenait droite, sur sa chaise. Elle observait ses moindres faits et gestes, à la recherche d'un indice. Edward Lensie était un homme qui avait une grande maîtrise des apparences. Sauf quand il s'agissait de sa femme. « Alors, qu’avez-vous pour moi ? » Là. C'était à ce moment là que le jeu commençait. Elle l'observa un moment avant de répondre. Elle savait qu'il crevait d'envie de savoir ce qu'elle avait trouvé. Et elle avait l'avantage sur lui, le seul dont elle disposait réellement. Elle détenait une information qu'il ignorait. Un sourire en coin fendit son visage. « Votre femme a une vie agitée, c’est le moins qu’on puisse dire. » C'était vrai. Harriet voyait du monde. Peut-être plus qu'il n'aurait voulu le savoir. Elle avait les photos pour le prouver, les messages électroniques pour l'étayer. Mais là, tout de suite, elle n'avait pas besoin de prouver quoi que ce soit. Elle avait simplement besoin de lui faire comprendre qu'elle n'était pas aussi stupide qu'elle en avait l'air, et que s'il voulait qu'elle travaille pour elle, il allait devoir lui dire la vérité. « Mais, vous savez, peut-être que je serai plus ponctuelle et plus encline à vous dire ce que vous voulez entendre si je savais ce que je cherchais, exactement. » Avant de le laisser répondre, elle reprit, immédiatement, d'un air malicieux. « Ah, et, ça serait possible d’avoir du jus d’orange, plutôt ? Pressé, pas en boîte. Je fais une cure de vitamines. » Et voilà quelque chose qu'elle savait qu'Edward Lensie détestait par dessus tout : la provocation.

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