25.07.2016. São Paulo. Brésil.

Les rayons chauds du soleil viennent caresser mes paupières et me tirer avec douceur d’un lourd sommeil. Dans ma bouche, encore ce goût d’alcool, ce goût d’excès.

Je me retourne et enveloppe ce corps que je me plais à posséder, chaque soir un peu plus fort, ce corps que je connais, par cœur.

Le nez enfouis dans ses cheveux. Les lèvres qui mordent sa peau, le lobe de son oreille en quête d’une réaction, d’un peu d’affection.

Mais le sommeil est profond.

Je me redresse et l’observe un instant. De ses longs cheveux blonds le soleil semble avoir dégorgé. « Joy ? » De ses poumons l’air semble s’être retiré. « Joy ? »

Les draps tâchés, l’odeur qui écœure.

Une seconde de plus pour réaliser, une autre pour s’effondrer.

25.07.1996. Beyrouth. Liban.

Mes yeux curieux s’aventurent sur le visage de l’enfant. Un simple sourire rendu en fait mon ami. Il ne parle pas ma langue, celle que je peine encore à comprendre.

Mais nous n’avons pas besoin de longs discours. Nos mains qui s’agitent dans la peinture pour venir sur la peau de l’autre dessiner vaut mieux que milles mots.

Et les rires sont sincères.

L’échange sans contrepartie.

30.07.2016. São Paulo. Brésil.

A quelle heure êtes-vous rentrées, précisément ? Etes-vous rentrées ensemble ou séparément ? Avez-vous gardé un justificatif du taxi ? Depuis combien de temps étiez-vous ensemble ? Avez –vous eu une dispute lors de votre soirée ? Avez-vous des témoins qui peuvent en attester ? Qui a fourni la drogue ? Vous parlez de cocaïne mais êtes-vous sûre qu’il n’y avait rien d’autre ?  Avez-vous consommé ? L’avez-vous incité à consommer ? Vous dites qu’il s’agissait d’une consommation personnelle ? Ça vous arrivait souvent de revenir dans cet état ? Vous ne vous êtes aperçu de rien lorsqu’elle a convulsé ? Et lorsqu’elle a vomi ? Vous ne l’avez pas senti bouger ? Vous dites que vous êtes restée auprès d’elle toute la nuit ?

Plusieurs heures déjà que je suis assise là et les questions pleuvent mais je ne les entends pas. Je n’arrive qu’à fixer le bas de mon pyjama, parce qu’ils ne m’ont pas laissé le temps. Pas le temps d’enfiler quelque chose de plus décent.

Ça fait des jours que je ne dors pas.

C’est le troisième interrogatoire. Le troisième depuis qu’elle n’est plus là.

Encore et toujours les mêmes questions. Encore et toujours cette nausée qui me serre l’estomac.

Je sais que ses parents ont porté plainte contre moi, qu’ils m’attribuent tous les maux parce que c’est plus simple comme ça.

Plus simple que ce soit ma faute à moi, plutôt que d’admettre qu’elle flirtait avec la mort depuis des mois déjà.

30.04.2003. Région du Soudan.

Un silence d’or envahi l’espace. Tout d’un coup, la ville se tait, même les oiseaux retiennent leur souffle dans l’attente. Je trépigne, je trésaille à mesure que les secondes passent sous ce soleil écrasant.

Quand enfin, la délivrance. Une goutte puis un jet faiblard. Mais l’eau est là. Elle jaillie de la terre par le biais d’un dédale de tuyaux installé par mon propre père.

Un marchand d’eau, un marchand de vie et d’espoir.

Et sur leurs visages j’observe la joie, le plaisir d’obtenir ce qui semble si banale de l’autre côté de l’océan. Et du haut de mes douze ans, je comprends ce qui est réellement important.

01.09.2016. Los Angeles. Etats-Unis.

Encore un nouvel hôtel. Une nouvelle chambre à usage unique. J’en ai pris l’habitude, de ces déplacements incessants pour raison professionnelle. D’abord avec mes parents puis avec Joy. Même si je n’ai pas peur de ne pas me sentir chez moi, j’ai peur de ne pas y trouver de la chaleur.

Les chambres sont impersonnelles, standardisées. Je ne sais que je n’y resterai pas. Pas longtemps. Juste le temps de trouver mieux. Cette annonce peut-être ? Une colocation au cœur de la ville des anges, au cœur de la ville où s’est installée la famille Paulson, la famille de ma mère il y’a plus d’un siècle.

Et pourquoi pas la chaleur d’une famille ? Non. La peine, la pitié dans leurs yeux peut-être même, le doute, serait insupportable.

Recommencer à zéro. Cacher, effacer ce qui doit l’être pour espérer vivre … normalement. Pour espérer vivre.