« Les jours passent mais ça ne compte pas. »

On dit souvent que lorsqu’on part mal dans la vie, on ne se relève jamais. C’était bercé de cette douce ironie que la pauvre petite fille tomba du ciel. Née d’une mère trop jeune et d’un père trop lâche, elle était le fruit d’un amour à sens unique, d’une relation vouée à l’échec dès le début malgré les envies, malgré les sentiments d’une pauvre adolescente pour la star de son lycée. C’était un beau bébé, né en plein hiver, avec un sourire d’ange et des joues délicieusement gonflées. Winter. C’était sorti comme un souffle, une brise remplie d’un espoir qui jamais ne s’éteindrait. Winter… Elle serait le sourire de l’adolescente, le sourire et le courage, pour toujours et à jamais. Mais la vie était loin d’être une route tranquille. Trop loin pour cette pauvre fille tout juste sortie de l’adolescence. La réalité la frappa en plein visage. Les biberons, les pleurs, les doutes et pour finir l’abandon. L’abandon le plus total. Bien lovée dans une couverture, logée dans un cosy hors d’âge, la petite fille à la peau d’ivoire et aux cheveux d’ébène attendait sagement qu’on vienne la câliner, lui accorder un peu d’attention. Sur le tissu qui emmaillotait le bébé, une lettre était accrochée. Quelques mots jetés à la hâte sur un papier usé, montrant des tâches de cafés et de confiture, mouillé par les larmes qui jamais ne se tariront de la pauvre mère-enfant contrainte d’abandonner la chair de sa chair, l’espoir d’un avenir meilleur.

Lorsque la porte s’ouvrit, il y eut un cri de surprise, de stupeur puis un sourire tendre, aimant envers cette pauvre chose qui se tortillait à peine dans le coussin. Des mains douces attrapèrent l’enfant qui commençait tout juste à se manifester. Un sourire doux et rieur s’afficha sur les lèvres fines du poupon alors que ses yeux clairs, débordant d’une envie de vivre farouche et déjà puissante. Un petit gazouillis accompagna le tableau pourtant loin d’être idyllique au début, pourtant, les bras fermes qui tenaient le couffin étaient tout ce qu’il suffisait à l’enfant pour se sentir en sécurité, pour se sentir important.

« Et moi, je t’observe la regarder. Tu t’en fous de ce que ça me fait. »

Personne ne savait d’où venait ce petit être inconnu dont la seule certitude était le prénom. Winter. L’hiver était rude l’année où elle était née, quelques mois à peine avant son abandon devant la porte d’un orphelinat de bonne réputation. On lui donna donc un nom choisit aléatoirement dans l’annuaire de la ville. Lorwood. Nom passe-partout, classique et qui ne dénoterait pas lors de la vie du petit être à peine né. On l’installa dans la chambre des enfants de moins d’un an avant de lui offrir une peluche pour compenser le si mauvais départ dans la vie du nouveau-né.

Les années passèrent lentement, comme des gouttes de pluies dans l’océan du temps. Le bébé grandissait bien, s’éveillant à merveille, un sourire toujours accroché à ses lèvres malgré le manque d’une mère, d’un père, d’une vraie famille aimante et douce. Les yeux clairs de la fillette étaient sans cesse en mouvement, se braquant sur la moindre chose inconnue, sur le plus petit mouvement insignifiant pour la plupart des adultes. L’enfant riait souvent de bon cœur, créant une atmosphère sereine et presque joyeuse, une bouffée d’air frais dans un univers triste comme les pierres. Une bouffée d’espoir. Un son rempli de promesses plus folles les unes que les autres.

Puis vint le jour de l’envol. Celui que tous les orphelins attendaient depuis leurs arrivées à l’orphelinat. Une famille débarqua lors de la porte ouverte annuelle. Sur un tapis de jeu, Winter était tranquillement installée, ne se préoccupant pas du monde qui l’entourait malgré l’effervescence qui régnait autour d’elle. On la prit à bras, on l’admira, on embrassa ses joues potelées avant de la faire rire un peu, chatouillant son ventre légèrement rebondit. Les papiers furent signés presque aussitôt, la fillette partit quelques jours plus tard, chargée de sa seule lettre et de son couffin pour sa nouvelle maison, sa nouvelle ville. Los Angeles.

« Je n’en vois plus la fin… »

Ce fut le bonheur pendant de nombreuses années. Jusqu’aux questions. Jusqu’à la découverte. Jusqu’à ce que ce brise ce lien si parfait. Elle n’avait que seize ans lorsqu’elle tomba sur un morceau de papier tâché de café, ondulé par les larmes taries d’une mère déchirée. Ce simple mot sonna comme une bombe dans l’esprit de l’adolescente à peine moins âgée de sa mère biologique à l’époque. Pourquoi tant de mensonge… Pourquoi cette trahison ? Cette douleur insupportable qui transperçait son cœur qui peu à peu, se changeait en pierre. De cette lettre, elle se rappelait chaque mot, chaque virgule et ce point final si déchirant.

« Chère Winter…

Ma fille, mon rayon de soleil, ma douce mélodie d’hiver… Comme cela me brise le cœur de t’écrire ces quelques mots sur un vieux papier qui traînait sur la table. Mon bébé, comme j’aimerais te serrer dans mes bras et te dire que tout ira bien, que je t’attendrais des centaines d’années s’il le faut. Mais… La vérité, Winter, c’est que je ne peux pas m’occuper de toi. Je ne peux pas prendre soin de toi, t’offrir ce dont tu mérites. Je n’ai que dix-sept ans… Comment est-ce que je pourrais savoir ce qui est bon pour toi ? Alors, je te dépose dans ta couverture préférée devant cette porte… Oh mon Dieu, comme ça me brise le cœur… Jamais je ne pourrais oublier tes yeux magnifiques et ce sourire que tu m’offres alors même que je m’apprête à faire l’impardonnable… Tu es ma mélodie d’hiver… Je ne cesserais jamais de penser à toi, ma fille, ma fierté. Ta maman… Athéna. »

Cette lettre… Jamais Winter n’avait autant pleuré qu’en cet instant précis. Serrant le papier entre ses doigts tremblants de désespoir, elle s’était laissé glisser le long du mur, déversant sur ses joues le mal-être qu’elle ressentait au plus profond de son âme ébranlée. Combien de temps était-elle restée prostrée dans la chambre parentale ? Une heure ? Deux ? Trois ? Toujours était-il que lorsque ses parents rentrèrent, elle n’avait pas bougé d’un millimètre, la tête cachée dans ses bras, tenant encore fermement le morceau de papier. Reconnaissant le mot entre miles, la mère de famille blêmit en prévenant son époux qui resta inerte devant l’encadrement de la porte. Puis, la rage, les cris, le désespoir et finalement, le silence. En un clin d’œil, sa vie parfaite avait volée en éclat.

« Pour moi, tes yeux n’ont jamais autant brillés.»

Puis, la descente commença. Lentement mais sûrement. Une rébellion pour se prouver son existence, pour montrer la chance qu’elle avait eu d’avoir été adoptée par une famille aimante. Mais cela ne suffisait pas, cela ne suffisait jamais. Elle avait envie de vibrer, de se montrer qu’elle était en vie. Qu’elle était bien elle. Alors, l’alcool coula à flot, les mauvaises fréquentations l’accompagnant, le flirt avec la loi. Puis, vint le point de non-retour. La drogue. Voler pour pouvoir se payer sa dose. Elle en était réduite à ça. Devant l’impuissance de ses parents, elle ne faisait que leur rire au nez. Mensonge. Voilà ce qu’elle leur crachait au visage dès que l’occasion se présentait à elle.

Mais, la vie se rappela bien vite à elle. On trouva Winter en train de cambrioler. Au vue de son casier judiciaire juvénile, on décida de l’enfermer dans un centre pour jeune délinquant. Ce fut là qu’elle le rencontra. Le premier amour de sa vie. Le plus destructeur mais le plus puissant. Il était gardien là où elle avait été assignée. Quelque chose se passa entre eux. Un lien indescriptible se tissa entre les deux âmes blessées. Elle n’avait que vingt ans, lui dix de plus mais, l’amour n’a pas d’âge comme disait l’adage. Pourtant, elle n’aurait pas dû croire à cela. Si elle avait su… Aussitôt sa peine terminée, elle s’enfuit avec celui qu’elle voyait comme l’homme de sa vie. Rapidement, ils se marièrent pour le meilleur et pour le pire. Surtout pour le pire. Encore accro à la drogue, elle partit à la dérive totale. La seule chose qui la maintenait dans un état stable était le dessin. C’était un exutoire tellement appréciable et facile pour la pauvre femme à peine sortie de l’adolescence.

Sa déchéance dura deux ans. Deux années où elle tomba plus bas que terre, entrainée par un mari violent et aussi accro qu’elle. S’il avait pu, il aurait vendu le corps de sa femme pour se payer sa dose. Mais jamais Winter n’alla jusque-là. Lorsque finalement, la belle brune eut un déclic qui la fit tout arrêter du jour au lendemain. Un espoir à peine chuchoté par un médecin inquiet et visiblement très peu content de cette nouvelle. Winter était enceinte de trois mois et demi.

« Je t’aime et je te hais. Je déteste t’aimer. »

Du jour au lendemain, malgré la douleur, la souffrance du manque, Winter ne toucha plus à la drogue. Plus une seule foi. Même lorsqu’elle sentit la douleur dans son ventre, même lorsqu’elle vit le sang entre ses cuisses tremblantes. Même lorsque l’annonce tomba. Le bébé était mort. Cinq mois de grossesse interrompue comme un fétu de paille, brûlé comme si cela n’avait jamais existé. De ce moment, elle ne garda qu’une cicatrice sur son ventre. Et un rêve brisé, tué dans l’œuf. Son époux, lui, ne sembla pas se soucier de cela le moins du monde. Les choses restèrent tels qu’elles pendant un long moment. Trop long sans doute. Lorsqu’enfin, Winter se décida à quitter cet homme qui était devenu l’épave de celui qu’elle avait aimé éperdument, le mal avait été fait. Rendue stérile par l’accouchement de son enfant mort-né, elle prit ses affaires et quitta l’appartement qu’ils partageaient avant de demander le divorce.

Bien décidée à reprendre sa vie en main, elle dénicha une formation en rapport avec le dessin et elle trouva un travail d’apprentissage. Cela faisait maintenant trois ans qu’elle avait trouvé cet endroit, qu’elle était maintenant une restauratrice des vestiges d’un passé bien trop ancien à son goût avec une envie, un désir de rendre hommage aux ancêtres du monde moderne. Décidée à reprendre contact avec ses parents adoptifs, elle voulait donner le meilleur d’elle-même avant de se présenter à eux. Il fallait qu’elle se fasse pardonner. Elle avait été si injuste avec eux. Avec ceux qui lui avaient donnés une vie qu’elle ne méritait pas, qu’elle avait gâché pendant tellement d’années…