A peine revenu à Los Angeles, qu’il fallait déjà s’occuper de toute cette histoire de paperasse. Et c’est dire la quantité qui attend sagement dans la boite aux lettres. Le jeune Kai avait chargé son père de passer chez lui quelque fois dans la semaine pour empêcher l’accumulation de courrier non désiré, mais vous savez, il y a toujours des factures, des papiers à renvoyer, des trucs qu’on préfèrerait oublier quand on revient d’un voyage de plusieurs mois sur ses terres pour l’enterrement de sa sœur. A dire vrai, on n’a pas la tête dans les papiers quand on revient. Mais cela faisait déjà une bonne semaine que Kai repoussait le moment fatidique et il venait de se résoudre à tout régler pour pouvoir s’occuper à des tâches plus intéressantes. Il avait alors passé plusieurs appels pour connaître les démarches à réaliser et surtout, savoir ce qu’on attendait de lui par rapport à l’affaire du vol de sa moto au début de l’année. Tout avait été trop vite. Avec cette histoire de meurtre et de garde à vue, la déclaration de vol n’a jamais été réalisée et par conséquent … Aucun remboursement de la part de l’assurance n’a été réalisé. Petit point que Kai aimerait clarifier afin de pouvoir tourner la page.  Après plusieurs transferts d’appels et de longues minutes de patience, il devait se rendre au tribunal afin de rédiger une déclaration et des paperasses administratives. Il n’avait pas tout comprit, tout ce qu’il savait, c’est qu’il devait se présenter à un mec et qu’à partir de ce moment-là, son dossier allait être pris en charge.

Assis dans une salle d’attente, le dossier sur les genoux, il observe ses pieds, puis le sol et finit par contempler le mur en face de lui. Cela devait faire une bonne demi-heure que son cul était vissé sur cette chaise. Il perdait patience. Enfin, il entendit son nom. Une jeune femme se planta devant lui, un sourire sur les lèvres, il doit s’agir d’une stagiaire, elle ne semble pas assez en confiance pour être professionnelle. « Allons-y, je suis prêt. » Dit-il en se levant et en se lançant à la suite de sa guide à travers les couloirs de la demeure. Il vaut mieux ne pas se perdre ici. On dirait un labyrinthe. Il croise plusieurs personnes dont une qui lui rappela quelqu’un. Sans certitude, il ne s’attarda pas. Ne tenta aucune approche, mais conserva dans un coin de sa conscience la possibilité que cette chevelure blonde ne lui soit pas inconnue. « Un café Monsieur Norton ? » « Avec plaisir. » Indiqua-t-il à cette stagiaire. Oui, il a la certitude qu’elle n’est pas juriste dans ces lieux. Instinct masculin, ça existe ? Ils s’arrêtent à la machine pour se servir. « Je vous laisse patienter ici, je vais voir si votre interlocuteur est disponible. » Kai acquiesce d’un coup de tête positif comme pour la remercier et porte le gobelet jusqu’à ses lèvres en attendant sagement. Quand cette chevelure réapparait. Bon sang. Il a son estomac qui se tord doucement. Il en est certain. Sa curiosité est bien trop mise à l’épreuve et il décide d’aller vérifier. Après tout, la seule chose qui peut lui arriver, c’est de se prendre un vent. Rien d’extraordinaire. Il pose son gobelet de café sur la table et se dirige vers le bureau où la jeune femme énigmatique venait de pénétrer au moment même où elle prenait place sur une chaise. Son visage. Il la reconnue immédiatement. « Théa ? » Quelle coïncidence ! Il en est tout estomaqué. Il est là. Sur le pas de la porte. Et n’ose même pas bouger. Cela fait si longtemps qu’il ne l’avait pas vue.

Le choc. Kai venait de se prendre une porte en pleine tête. Il ne s’attendait pas à la voir ici. Pas tant dans le fait de la voir elle, non. Mais surtout de l’avoir en face de lui. Pour de vrai, après tout ce temps, la vie venait de lui rappeler que ce monde se trouvait être encore plus petit que ce que l’on pourrait bien penser. Et que finalement, même dans une ville comme Los Angeles, les coïncidences se réalisent bien vite et avec une facilité déconcertante. Lui qui ne pensait ne jamais la revoir. Surtout au vu des circonstances dans lesquelles ils s’étaient quittés. Les voilà, l’un en face de l’autre, ne sachant pas quoi dire, et encore moins par où commencer. Le jeune homme resta dans l’embrasure de la porte, ne bougeant plus. Même lorsqu’il entendit son prénom, il resta planté là. Un peu comme un pissenlit en train de fleurir, sauf que, ce n’est pas la saison des pissenlits. Et qu’il se trouve que Kai n’est pas une fleur, ni une mauvaise herbe.

Elle l’invite à entrer et c’est ce déclic qui le fit revenir sur terre. Arrêtant de se jeter dans des pensées et des souvenirs encore à vif. Malgré le temps. Malgré les cicatrices qui se sont formées. « Merci » Dit-il simplement par politesse quand la porte se ferma derrière lui et que son pas non certain foula la moquette du bureau. Jolie pièce en passant. Digne d’une femme comme Théa. Cela lui ressemblait assez. Simple, sobre et classe. Très classe d’ailleurs. Un moment de contemplation et d’observation lui suffit avant de reporter toute son attention sur la belle femme. Car oui, elle est toujours aussi belle. « Non ça va » Répondit-il simplement quand elle sembla s’inquiéter pour elle. Ce moment est gênant. Car il ne sait pas comment agir avec Théa. Comment est-il considéré pour elle ? Serait-elle capable de parler avec lui d’une manière positive ? Il eut un moment de recul, voulant lui souhaiter une bonne journée et repartir. Mais il n’en fit rien. Troublé et souhaitant entrer dans les détails de sa venue ici. Après tout, c’est bien ce qu’elle vient de lui demander. « J’ai été mêlé dans une histoire de meurtre après le vol de ma moto, on m’a demandé de venir pour prouver qu’il s’agit bien d’un vol et que je n’y suis pour rien dans l’histoire. » Il marque un temps de pause pour focaliser son regard sur les mains de Théa, qu’elle semble triturer. « Même si la police semble un peu moins d’accord sur ce point. » Aux dernières nouvelles, ils n’étaient pas prêts de le lâcher, persuadés que Kai n’est rien d’autre qu’un menteur et que le fait que l’enquête soit close rapidement encense le tout dans une affaire louche. Il finit par ajouter. « Beaucoup de choses se sont passées depuis … » Il n’ose pas finir sa phrase. Pas parler de leur rupture. Car, même sans vouloir se l’admettre, il y aura toujours des sentiments pour la belle blonde. Alors il tente un changement de sujet. « T’es mariée maintenant ? » Demande-t-il en montrant d’un signe de tête la bague avec laquelle la jeune femme ne cesse de jouer. Effectivement. Beaucoup de choses ont changées.

Et pourtant … « La police croit le contraire semble-t-il » Décroche Kai avec un air dépité. Oui, comme si, lui, Kai Norton, pouvait tuer quelqu’un. Jamais il ne pourrait retirer la vie d’un être humain. Mais comment expliquer cela à une bande d’agents entraînés pour te faire croire ce qu’ils désirent. S’ils veulent te faire passer pour un tueur, à force de te retourner le cerveau, ils y arriveront. Chose pour laquelle Kai se bat. Non, il n’est pas coupable. Et il le sait. Au fond de lui, il remercie Théa de croire en son innocence sans même connaître l’affaire, sans même connaître un seul détail de la journée concernée. Elle pense que la situation est ridicule, malheureusement, rien de tout ça ne semble l’être. Tout est vrai. Tout est réel. Il s’est retrouvé dans un cercle vicieux qu’il ne pouvait pas arrêter, pas contrôler ou même pas s’échapper. Kai croise les bras quand la question est posée. « Oui et non. » Répondit-il dans un premier temps au sujet de l’alibi. C’est bien là où le bât blesse. Cela serait trop facile pour pouvoir s’en sortir si tel n’était pas le cas. « D’après mes calculs, je rentrais de l’université pour rentrer chez moi et je me suis rendu compte de la disparition de ma moto que trois ou quatre jours après. Sauf que la polie a calculé je ne sais pas de quelle façon, qu’il était possible que je fasse une déviation sur mon chemin pour commettre ce fameux meurtre. » Il soupire profondément. Ne sachant pas lui-même comment régler cette histoire. « J’ai l’impression que je ne pourrai jamais m’en sortir. » Dit-il avec une moue non assurée.

Le sujet du mariage semble tout de même plus intéressant comme transition. La possibilité d’avoir un Kai derrière les barreaux ne l’enchantait pas tellement. Et puis, il est curieux comme garçon, ne l’oublions pas. Qu’a-t-elle fait depuis leur séparation ? Combien d’hommes a-t-elle côtoyée ? L’a-t-elle oublié ? Facilement ? Durement ? A-t-elle son cœur qui se serre comme lui en ce moment même ? « Ah … » Pourquoi ? Comment ? Depuis quand ? C’est qui ? Il n’ose pas demander. Il n’ose pas poser une seule question. Mais qu’est-ce qu’il s’en pose ! Il se trouve curieux. « Si ce n’est pas indiscret, depuis combien de temps ? » Il aimerait demander beaucoup plus de détails, mais il se retint. Alors il pose ses paumes sur le bureau et prend appui dessus. Le regard fixé sur le doux visage de son ancienne petite amie. La situation est étrange. « Et sinon tu vas bien ? » Car finalement, il aimerait en savoir plus. Sa vie, son état de santé, son état moral.

« Ouais » Murmure-t-il de son air maussade et pas super ravi de cette énième conclusion. Parce qu’au final, c’est lui la victime. Et il en a marre. Il n’a rien fait. Il souhaite juste être tranquille. Pouvoir refaire sa vie sans avoir toute cette histoire sur le dos. Faire table rase et remettre de nouvelles cartes sur la table. « S’ils pouvaient trouver le coupable, ça m’arrangerait. » Presque comme s’il parlait à sa conscience. Il le dit si bas. La tête vers la moquette à ses pieds. Il n’est pas revenu à Los Angeles pour avoir à traiter ce genre de problèmes. Lui qui pensait pouvoir y échapper. Le voilà à peine arrivé qu’il se voit déjà assailli par tout ça. Il relève la tête vers la blonde avec une rapidité qui aurait pu le faire chavirer un instant. Théa, son avocate. Oula. « C’est gentil de ta part, mais je ne veux pas te mêler à mes problèmes. » Ils viennent à peine de se revoir et elle lui propose déjà son aide. Il ne s’y attendait pas. La voir avec cette envie de l’aider lui fait chaud au cœur, mais elle ne mérite pas de se retrouver dans une affaire qui ne la concerne pas. Devoir défendre son ex petit-ami, cela serait bien trop gênant. Il préfère refuser son aide, la préserver loin des emmerdes.

Il se mord la lèvre inférieure doucement, pour masquer son sentiment qu’il ne saurait décrire. L’imaginer mariée, il a du mal. A accepter. A savoir qu’elle a refait sa vie, si vite, si loin de lui. Il en a fait autant. Mais dans le sens inverse, la pilule met plus de temps à passer. Il détend la mâchoire pour répondre, en paraissant le plus calme possible. Tentant de faire comme si cela ne l’atteignait pas. « Ah oui c’est récent. » Affirme-t-il, ravi de pouvoir changer de sujet par la suite malgré sa curiosité qui le titille toujours. Au fond de lui, il sait que c’est mal de vouloir tout savoir et que rien de ce qu’elle pourrait dire aller le concerner. Non. Pas lui. Surtout pas lui. Il plisse les yeux, voyant que Théa met du temps à répondre. Sentant bien qu’elle ne souhaite pas déballer sa vie. Un simple tout va bien. Comme si elle pouvait lui faire croire ça. Un haussement de sourcil tout en demandant. « Tu es sûre ? » On ne peut pas dire que la réponse ai été très convaincante. Voir, pas du tout en réalité. Il l’observe de haut en bas. Et décide de jouer au chantage et au mystère pour déceler ce qui pourrait lui manquer. « Rien de beau, que du moche … Je raconte que si tu racontes. » Un sourire en coin, tentant de faire descendre l’atmosphère pesante. Oseras-tu Théa ? Oseras-tu te livrer pour en savoir davantage ? Ou ne veux-tu rien savoir en réalité et laisser Kai s’en aller maintenant ?

Il acquiesce pour la remercier et préfère ne pas donner d’autre réponse. Acceptant de prendre la carte de son collègue. Pour lui faire plaisir, plus que par besoin. Kai n’est pas le type de mecs à appeler n’importe qui simplement pour se sortir d’une situation dans laquelle il venait de se fourrer seul. Alors c’était plus pour éviter de rester trop longtemps sur ce sujet qu’il accepte de peut-être faire appel à un professionnel. Mais vraiment, peut-être. Ce qui signifie, en langage Nortonien, qu’il n’allait sûrement pas le faire, à moins d’y être contraint par la force, sous la torture, se vidant de son sang … Ou par folie sexuelle. C’est tout ou rien avec lui.

« Hum, mouais » Pas franchement convaincu, il fourre les mains dans ses poches et n’en dit pas plus. Faisant mine de la croire, alors qu’au fond de lui, un énorme doute venait d’émerger. Mais après tout, ce n’était pas à lui de la juger. Ce n’était pas à lui de chercher à comprendre quoi que ce soit. Il n’avait aucun droit de revenir dans sa vie et de la forcer à se confier. Même s’il sentait que quelque chose n’allait pas. Il préféra passer outre. Si elle voulait en parler. Elle le ferait. Un jour. Ou pas. Cette possibilité est aussi conséquente dans le panier, il faut bien se l’admettre. Et maintenant, c’était à son tour de parler. La question le fit sourire, presque rire. Il baisse la tête d’amusement et ne peut empêcher son soupire amusé s’échapper d’entre ses lèvres. « C’est vraiment tout ce qui t’intéresse. » Dit-il du tac au tac tout souriant. Amusé, oui. Mais surtout fier de voir que cela l’intéressait donc. Ah la fierté d’homme. Alors il joue le jeu. « Pas de copine, déçue Stonehevean ? » Il croise les bras et se redresse, en ajoutant. « Tu aurais préféré entendre autre chose peut être ? » Fit-il de son petit air joueur qui le caractérise bien. Il pourrait bien jouer de son charme, de leur passé commun. Oui. Il pourrait le faire à ce moment précis. Mais il ne voulait pas tout gâcher, pas lorsque l’on revoit son ex un an après un couple brisé en plusieurs morceaux. Mais qui sait, tout peut dépendre de sa réponse après tout.