« Pourquoi tu l'as tué ? » La question devrait être logique, je veux dire, bien-sûr qu'ils voudront savoir, certains d'entre eux auront même un réel droit de le savoir, mais en ce qui me concerne, la question est tellement tellement étrange. Pourquoi serait-ce à moi d'y répondre au final ? Je suis loin d'être la seule personne sur cette foutue planète à avoir eu un jour le culot de la franchir, cette ligne. Les gens devraient arrêter de se mentir à eux-même pour commencer puis aux autres pour finir. Ça débute dès l'enfance. La différence entre le bien le mal, les parents s'évertuent d'apprendre à leur gosse que mentir c'est mal, que voler c'est mal, mais quand le gosse surprend ses parents à mentir et voler sans la moindre honte, ni le moindre scrupule, comment interprète t-il sa leçon à votre avis ? Mentir c'est mal, mais je le fais. Pourquoi ? Parce que j'en ai putain d'envie, voilà tout. Les gens se refusent à faire toutes ces choses dont ils meurent d'envie pour des raison aussi stupides que la bienséance ou la doctrine religieuse. Je ne suis pas comme ça. Moi je décide de vivre, de ne rien m'interdire. Aucune limite, si ce n'était celle que j'ai franchi en serrant sa gorge.

« Pourquoi tu l'as tué ? » Quand j'y pense, j'aurais pu mettre un terme à son existence de tellement de manières différentes. J'aurais pu saisir le couteau et lui trancher la jugulaire, lui éclater le crâne à l'aide de ma batte de baseball avant remercier mon père pour ce cadeau auquel j'aurais enfin pu trouver une véritable utilité, j'aurais pu lui foutre la tête dans la cuvette puis attendre patiemment et j'aurais pu lui rouler dessus aussi. Les possibilités furent nombreuses, mais je n'ai rien pu expérimenter d'aussi beau que de voir cette lueur s'éteindre dans son regard, son souffle s'évaporer et les battements de son cœur s'estomper. Magnifique. Tu avais toute la vie devant toi, quoique tu fumais donc pas tant d'années restantes finalement, mais j'y ai simplement mis fin et tu avais enfin l'air paisible, tu étais sublime. Magnifique.

S'il y a une chose que je tiens à clarifier, c'est que je ne suis pas une sorte de pseudo Norman Bates, j'ai eu une enfance merveilleuse, idyllique ou du moins elle avait de quoi l'être. Tu ne m'avais rien fait qui justifiait réellement un tel acte, je veux dire, j'en avais simplement envie. Ta simple existence justifiait que tu meures de mes propres mains cette nuit-là, ta simple existence m'a poussé à franchir cette ligne qu'ils rêvent tous d'avoir le cran de franchir. Tu m'as emmené sur un chemin dont on ne revient pas et je crois que, d'une manière étrange, je dois t'en être reconnaissant.

Ne cherchez pas à savoir ce qui se trame dans ma tête, ne dressez pas mon profil. Je suis un menteur, un manipulateur, un acteur. Appelez-moi comme vous voulez, mais constatez juste que jamais réellement vous ne me connaîtrez. Je ne suis plus tout à fait sûr de moi-même savoir qui je suis à force. Je ne suis plus qu'un mélange de prétention et d'audace qui s’évertue à vous montrer ce que vous voulez bien voir, simplement pour mieux dissimuler ce qui se cache derrière le miroir. Puis j'ai peur, peur de ma propre personne tout comme vous apprendrez à avoir peur de moi quand vous réaliserez que le moindre de mes gestes, la moindre de mes paroles et même jusqu'à la couleur de ma cravate font partie de la manipulation que j'exerce.

« Pourquoi tu l'as tué ? » Je les imagine déjà, tous, prêts à faire tomber le verdict, les regards emplis de haine. D'un sourire et d'un ton synonymes de provocation, je ne répondrais que l'évidence. « Pourquoi pas ? »