Elle se fiche du froid, elle se fiche de sentir le vent venir fouetter sa peau délicate. Elle se fout des regards un peu trop longs qui se posent sur elle dans la rue. Sacha, elle se fout de tout. Maitresse de son propre monde. Reine de glace que rien ni personne ne peut atteindre. Elle marche d'un pas déterminé, son air de sale gosse accroché au visage. Petite insolente à qui on aimerait bien foutre des claques. Elle vous méprise, vous regarde de haut comme si vous ne valiez rien. Ses yeux moqueurs prennent plaisir à vous dévisager, à vous juger. Diablesse irrésistible qu'on aime détester. Elle se la joue rebelle, inaccessible.
Parce que c'est plus simple comme ça. Parce qu'elle ne veut plus s'attacher, elle ne veut plus aimer. Elle a le cœur trop meurtri, trop brisé. Jolie princesse au tragique destin. Elle n'a plus la force, plus l'envie. Plus depuis qu'il est parti...
Isaac. Ce nom résonne en boucle dans sa tête. Il est dans chacune dans ses pensées. Où qu’elle soit, quoi qu’elle fasse, il est là. Pas un jour ne passe sans que l'image de son frère ne s'impose à elle, sans que le manque ne vienne l'étouffer. Elle se mord violemment la lèvre pour se forcer à ne pas y penser, pour éviter de sombrer un peu plus.
Pas maintenant... Ce n'est pas le moment pour se faire du mal, pour s'infliger cette torture quotidienne puisqu'elle aperçoit déjà au loin le casino se dessiner sous yeux.
Elle passe sans même prêter attention aux personnes qui s’affairent à l’entrée. Sans même
le regarder. Trop concentrée dans la tâche qui l’attend lorsqu’elle aura passé les portes de ce lieu. Elle a déjà la nausée en pensant à ces heures qu’elle va passer à danser, à sentir ces regards pervers détailler son corps sans le moindre scrupule. Ils la répugnent. La dégoûtent.
Et pourtant… Pourtant elle revient. Chaque soir. Chaque semaine. Pourtant elle ne quitte pas ce job, cet endroit malfamé. Pourtant elle continue de se faire du mal, de salir un peu plus l’image qu’elle a de sa propre personne. Oh comme il est plus simple de se détester ! Elle se punie d’être là. D’être vivante. D’avoir été épargnée. La culpabilité qui n’en finit plus de la ronger.
Pourquoi moi ? Pourquoi lui ? Pourquoi nous ? Ces questions, elles se les posent sans cesse, incapable de trouver les réponses qui pourraient l’apaiser. Incapable d’oublier, d’avancer. Elle stagne Sacha. 6 ans qu’elle est bloquée, figée sur place. Parce qu’elle n’a pas le courage de vivre sans lui.
C’est si difficile depuis que tu as disparu Isaac…La musique résonne dans le club du casino. Des filles se déhanchent au rythme du son, devant le regard d’hommes transpirants le désir et l’envie. Dans quelques minutes ce sera à son tour d’exposer son corps à ces prédateurs, à ces vautours dont elle parvient à peine à supporter la vue. Elle monte sur scène, la tête haute, la démarche sensuelle et alléchante. Sacha sait comment attirer l’œil, comment faire tourner les têtes. La jeune femme n’a pas le moindre mal à être au centre de l’attention, parfois presque malgré elle. Elle est l’image même de la femme fatale. Cette demoiselle inaccessible que les hommes sont prêts à s’arracher. Elle en joue, toujours un peu plus, fière du pouvoir qu’elle possède sur les mâles. Diablesse envoûtante. Alors que son corps se meut lentement elle sent un bras qui l’attrape et l’attire. Ses yeux se posent alors sur cet homme venu la déranger.
Sur lui. Le regard céruléen de l’homme la laisse bouche bée le temps d’un instant. Beauté captivante qu’elle ne peut ignorer. «
Cet homme attend beaucoup plus de toi. À la suite de cette conversation, tu l'entraîneras dans l'une des chambres. Garde tout l'argent qu'il te donnera. » Elle arque un sourcil à cette remarque, bien mécontente d’être dérangée pour entendre des choses pareilles, tout en prenant soin d'ignorer la clé qu'il lui tend. «
Je crois que vous vous adressez à la mauvaise personne. » dit-elle avec aplomb, un air de défi dans le regard. «
Je suis là pour danser, non pas pour satisfaire les fantasmes d’un vieil homme en manque ! » Ses poings viennent se poser sur ses hanches. Elle s’affirme, tient tête à cet homme qui pourtant la domine. «
Allez donc voir une autre nana, vous devriez trouver votre bonheur parmi toutes les traînées qui sont dans le coin. » Elle lui adresse un clin d’œil sarcastique, presque moqueur. Le retour de l’insolente.
Elle devrait pourtant savoir qu'à trop jouer avec le feu on finit par se brûler.