«Les présentations n’ont jamais été mon fort. J’ai toujours trouvé plus intéressant que l’on cherche à se renseigner sur moi plutôt que de venir me demander qui j’étais, ce que je faisais, d’où je venais. Après tout, aujourd’hui vous n’avez qu’à vous connecter sur internet pour tout savoir d’une personne. Plus personne ne réfléchit, toutes vos données sont en libre-circulation. Il y aura toujours une faille pour tout savoir de vous, comme vous saurez tout de moi d’ici quelques minutes. J’ai pendant longtemps exercé la profession de directeur informatique dans plusieurs sociétés dont je dois taire les noms afin que le mien n’y soit pas associé. Mon nom n’est d’ailleurs plus celui qu’il a été. Il y a encore quelques années on m’appelait Edward Bowman et j’étais britannique, mais les choses ont changé et je suis devenu Milo Shelton, un citoyen américain dont l’accent est devenu presque excellent. Je remercierai jamais assez cette justice américaine pour cette nouvelle identité, elle est à la hauteur de sa réputation, ringarde au possible. Malgré tout, je suis tenu en laisse et je n’ai plus le droit de quitter le pays. Je suis un criminel paraît-il. Pourtant je n’ai tué personne, fait de tort à personne et j’ai même sauvé des milliers de vie. Je ne cherche plus à comprendre la logique des choses, je me contente simplement de traîner ce boulet qu’ils m’ont posé à la cheville, me surveillant tout en faisant de moi un indicateur précieux pour leur fournir des informations sur ce que je vois, ce que j’entends ou ce que je récupère comme informations sur la toile du vingt-et-une ième siècle. Après tout, la dernière citée est mon élément, je ne suis pas passé par des études en informatique au MIT pour surveiller les données de votre compagnie de téléphone. Non, j’ai toujours eu un but, de fouiller. Fouiller là où c’est interdit, chercher les données que le FBI est incapable de se procurer. Mener une vie en jouant sur deux tableaux. Et ma vie privée dans tout ça? Je n’en ai pas, en fait je n’en ai jamais voulue jusqu’à aujourd’hui. Je pense que le fait d’avoir été souvent célibataire m’a permis de ne jamais perdre mes objectifs. Je n’aime pas être dérangé par des choses futiles et une relation l’est, c’est quelque chose de secondaire, quelque chose qui n’est pas primordiale dans une vie. Tout comme le sexe, tout comme cette pulsion que l’on peut apparemment ressentir face à un homme ou une femme. A en voir des couples, c’est quelque chose qui vous abrutit encore plus que les sentiments que vous pouvez éprouver pour une personne. Si l’amour rend bête, le sexe vous rend faible. N’allez pas comprendre, je suis juste asexuel, je n’aime que par les sentiments. Du sexe? Je n’en ai pas besoin, il ne m’offre rien, me rend indifférent et n’en ai pas la moindre envie. A tout juste trente-six ans, je sais exactement ce dont j’ai impérativement besoin dans mon quotidien. Car si j’ai perdu une partie de ma liberté, j’ai su négocier pour pouvoir circuler librement dans les Etats-Unis par la voie des airs. Je peux circuler dans les airs tant que je reste sur le territoire américain, mais mes pieds ne doivent pas frôler un autre sol que celui de Los Angeles. Emprisonné dans cette immense ville où je surveille et suis surveillé, où mes informations me font vivre en dehors de quelques activités illégales sur lesquelles on ferme les yeux, des activités qui selon les périodes me permettent de vivre de manière presque aisée… modestement aisée.»