Est-ce que tu te souviens encore ? Quand t'm'as transpercé le cœur le soir où tes yeux étaient inondés de larmes. La nuit de l'ouragan qui a démantelé le peu de raison qu'il nous restait. Et puis l’vide. D'un extrême à l'autre. J'sais pas si je l’aime cette solitude mais elle me tient compagnie. Elle est fidèle, constante, parfois je l'ai en horreur, d'autres fois elle est mon seul réconfort. Elle est comme toi. Avant que mon mépris pour tes beaux yeux ne prennent le dessus. T’as rien compris Reagan. T’as toujours été trop stupide pour comprendre.
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Le loquet bouge jusqu'à ce qu'un tintement métallique se fasse entendre, signifiant que l’intrus vient de faire tomber une forteresse. Un simple regard vers l'arrière et son périple délictuel démarre, pénétrant dans une demeure ostentatoire, le bas de son visage est masqué par un un haut col, son ouïe aux aguets. D'après les ordres qu'il a reçu au matin, la maison devrait être déserte, les domestiques rentrés depuis une bonne heure. Une dizaine de minutes plus tard, les lieux formellement identifiés comme vides il se met en chemin vers sa quête. De mémoire, il se souvient qu'il doit tourner à droite une fois dans le vestibule, puis à gauche pour prendre la dernière porte au fond d'un couloir démesurément long. La décoration lui arrache un sourire moqueur, ces riches et leur goût pour le minimalisme, ces objets qui ne payent pas de mine mais qui coûtent un bras. Cette hypocrisie de l'art contemporain qui montre sans montrer, qui semble sans être. Le plus compliqué dans sa tâche est de pénétrer dans les propriétés, dans un musé le plus compliqué est d'atteindre l'oeuvre. Une fois dans la maison il n'y plus qu'à aller récupérer son butin et repartir comme on est venu. La vraie difficulté s'impose avant le vol, lorsque du repérage. Ce travail en amont demande une énergie et une organisation dont il n'a heureusement pas la charge. Il n'est qu'un exécutant de têtes pensantes qui se font des millions sur son dos.
Accroché sur le mur du fond d'un grand bureau, le naufrage du Minotaur l'attendant dans son écrin boisé prêt à être cueilli. Descendant le tissu qui cache sa bouche en signe de respect Nev étudie la peinture. Toujours ému en découvrant comme à son premier braquage, ses pensées vagabondes. Qui est-il ici bas, à part ce longiligne jeune homme aux épaules affaissées par le poid de ses responsabilités ? Un affame scélérat amoureux de l'art qui trahit sa maîtresse en la souillant quand il commet ses délits ? Musée, maison, marché noir. Au fond qu'importe, l'art n'appartient à personne. Lui il fait circuler l'art, lui il la fait vivre.
La toile rangée dans une grande house il revient sur ses pas. L'adrénaline fait palpiter les ventricules de son organe vital. Ce que c'est bon, cette sensation de se ravitailler d'un sang neuf, d'un sang propre procréé dans le sale. Le déferlement d'émotions nouvelles qui lui barbouille l'échine, Nev est déjà sur le chemin du retour. Devenu un autre, l'enfant gentil, chéri de sa mère laisse sortir le démon lorsqu'il termine ses missions. En ces instants il oublie son foyer lapidé, sa vie sentimentale inexistence, la béance qui lui bousille le ventre de vivre une vie qu'il subit. En pillant les fortunées il a pris la mesure de l'injustice, de ces êtres dont les richesses sont à vomir quand les malheureux comme lui sont réduits à l'état de hors la loi pour garder les finances à flot. La culpabilité n'a pas sa place, coupable tout le monde l'est, ses victimes sont les bourreaux d'autres.
Ainsi va la vie.Comme le fleuve qui suit son lit sans jamais en dévier, Nev fait ce qu'on lui demande de faire sans remettre en cause les ordres. Il se fiche de connaitre les véritables intentions du réseau pour lequel il office. Si sa paye tombe alors tergiverser n'est qu'une perte de temps. La répétition des nuits qui se ressemblent sans être similaires lui firent développer une certaine assiduité, un protocole : Rester le moins de temps possible, photographier toutes les œuvres qu'il dérobe, ne jamais voler autre chose que ce qu'on lui a demandé de prendre, et surtout ne pas fouiller dans l'intimité des malchanceux qui croisent sa route. Son histoire est a jamais maculé par ses mauvaises actions, mais il n'en a pas la notion. Lui, l'homme ennemi de la dichotomie entre le bien et le mal, empêtré dans cette perpétuelle zone grise.
Cela fait plusieurs heures que Nev est synonyme d’errance. Il se traîne dans les couloirs de l’université, la musique de Radiohead produisant des explosions musicales à son passage, signifiant qu’il ne souhaite pas être approché aujourd’hui. Il baille plusieurs fois de suite, des cernes interminables sous les yeux, ses habits de la veille qu’il porte encore, froissés. La nuit a été compliqué. Il passa près de 6 heures à espérer que le domicile qu’il devait dépouiller d’art finisse par se vider. Mais les occupants n’ont jamais dénié quitter le nid laissant le jeune homme tapis dans le noir à faire le pied de grue. 90 malheureuses livres c’est tout ce que son invasion lui a rapporté. ‘Pour le déplacement’ son supérieur lui avait-il expliqué en lui donnant sa paye. Exténué, il fait glisser les bouts cornés des billets avec son pouce, les comptant pour vérifier que la somme miséreuse n’était pas plus affamée que lui. Il n’avait pas pris le temps de manger au matin, réveillé trop tard, il n’eut le temps que de préparer le petit déjeuner pour sa mère. Sa sœur, filée dans les bras de la nuit, n’avait pas donné de nouvelles depuis la veille.
Le compte étant là, il range la maigre liasse dans le fond de la poche de son jean. Il traverse en quelques grandes enjambées lentes la cour de l’université pour rejoindre l'autre rive d'herbe. Il ne voit personne sur son chemin, et il va attendre au pied d’un arbre sans savoir si sa patience sera récompensée. Nev a cette force de pouvoir ignorer son environnement extérieur, il maîtrise son sens de la vue mieux que personne, au point de pouvoir feindre la cécité à l’encontre des éléments visuels qui le dérange. Stratégiquement l’endroit est idéal, il peut voir les flots d’étudiants arriver de toutes parts, mais dans la pratique, il se mange les rayons du soleil en plein visage et celle qu'il cherche à voir n'est peut-être même pas dans l’enceinte de l'établissement. Sa sœur l’inconstante, aussi irrégulière que les vagues qui s’écrasent contre les dunes ensablées de LA, pouvait être enfant de la brise comme monstre des tempêtes. Jamais il ne peut savoir comment le monde s’est occupé de sa moitié et ainsi comment il va la récupérer. Elle peut-être d’humeur à faire des merveilles, à rendre son monde plus beau rien qu’avec la force de son sourire, ou destructrice à l’entraîner plus bas qu’il ne l'est déjà. Nev a besoin de sa sœur comme la vie a besoin d’un souffle. Si lui était la nuit sa sœur était les astres qui peignent son univers. Sans elle, chaque lueur s’éteint et l’espoir n’ose plus se manifester par peur de se prendre une raclée.
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Pourquoi j’déraille comme ça ? Pourquoi il n’y a que moi qui suffoque parmi vous ? Qu’est-ce que tu vois quand tu me regardes maintenant ? Est-ce que ça te tue comme ç’me tue ? T’peux pas dire non, j’peux plus prendre pour tout le monde, j’peux plus être le seul à souffrir comme un chien.
Il se réveille comme s’il n’avait pas dormi, les mêmes cernes qu’après une nuit blanche, la même impression d’être passé de la lumière à la lumière sans connaitre l’obscurité. Il quitte le lit comme un voleur, et cherche à calmer la panique qui le prend au corps. Dos au miroir il la regarde, étendue dans son lit, son lit à lui. Il se sermonne dans son fort intérieur. Qu’est-ce qu’elle fout là Nev, qu’est-ce que t’as foutu espèce de con. Lentement il collecte ses vêtements éparpillés dans les quatre coins de sa chambre. Sa torture se prolonge quand Reagan se réveille, les joues encore marquées par les traces de son maquillage coulant. Il ne lui laisse pas l'occasion de parler, peu sur d'être capable d'endurer le son de sa voix.
« Sorry. I dind’t mean to use you. »
Il rentre le soir, implosé de l’intérieur, sa peine inaudible, imperceptible. La main reposant sur sa cage thoracique pour stopper la lacération que subit sa chaire. L’aigreur qui lui monte jusqu'au visage, passant par sa jugulaire, ses dents, ses gencives, le mal l’immerge, sa respiration qui ne se manifeste plus. Elle est partout, elle s'imprègne dans tous les pores de sa peau, allant se glisser sous son épiderme, faisant de son corps un tombeau dont il ne peut s’échapper. Il pourrait s’évanouir tant l’exercice est un supplice. Chaque soir il s’enfonce dans ses habitudes, détester Reagan de toutes ses forces, trouver un moyen pour calmer ses nerfs sans alerter sa famille. La moitié du temps être rejoint par l'objet de ses délires. Oublier. Oublier la colère. Oublier la rancœur. La dévêtir, finir à deux, peu importe où, peu importe quand. Combler leur vacuité commune. Recommencer, soir après soir, erreur après après. Leur cercle vicieux est une spirale qui déploie les tornades, le cercle grossi de plus en plus subissant l’ouvrage du temps. Les éloignant comme deux apoastres.
L'autre moitié du temps elle le condamne à sortir de lui-même, quand elle lui insuffle le pire des reproches « tu aurais pu faire un effort. » Il sait qu’elle est juste morte de peur, qu'elle ne souhaite pas que leur liaison se sache. Et elle connait trop bien Nev, elle connait sa discrétion mais elle voit les changements sur son visage, sa carapace est sur le point de de se fendre, et elle ne veut pas imaginer ce que les brèches pourraient révéler. Si l’amour peut rarement être lu sur le visage de Nev, la tristesse la haine et la désolation siègent sur sa peau. Ce qu’il entend c’est « tu souffres mais tu ne souffres pas assez ». Les mots et leur double sens qu'il ne maîtrise pas, peut-être n'a t-elle jamais voulu dire ça et peut-être qu’il n’aurait jamais pu la comprendre parce qu’ils ne parlaient pas le même langage.
Les veines qui doublent de volume à cause de l’afflux sanguin, le cœur alimenté trop vite, le cœur alimenté trop fort. Le visage qui se transforme, qui perd son aspect humain pour laisser la place à une rage démoniaque. Il explose en présence de Reagan, braillant, hurlant, s’égosillant. Les décibels grimpent suivant l'allure de son incohérence, et plus les mots lui manque plus ceux qu’il arrive à extorquer de sa bouche se font brutaux, violents, assassins. Il a besoin de lui dire à quel point il a la haine, à quel point il pourrait lui balafrer le visage si il était un de ces cinglés qui perpétuent la folie et le chaos. Nev a toujours gardé le chaos en lui, peu importait le degré de ses émotions négatives. Il les préservait en lui pour mettre à l'abri ses proches attendant qu’elles le consument. Jeune homme fait de centre, jeune homme qui se dissout. Personne ne sait, personne ne voit que s’il n’a jamais eu de couleur dans le cœur c'est parce qu’il est fait de charbon. Nev et Reagan pyromanes amateurs avaient brûlé toutes leurs chances d'avenir avant même qu'il débute.
But the gun still rattles.