Il commence à se faire tard, pour tout travailleur de Los Angeles. La plupart d’entre eux ont déjà terminé leur journée depuis une ou deux heures, tandis que d’autres ont du mal à quitter leur lieu de travail, assommés par une charge de travail conséquente ou bien simplement désireux de ne pas bouger de là où ils sont, pris d’une façon ou d’une autre par leur profession. Parfois, il s’agit d’une passion. Et quand les deux se mêlent, c’est une sorte d’idéal que l’on peut à très juste titre envier. Aaron fait partie de ces privilégiés qui n’ont aucun mal à rester tard le soir au boulot, bien au contraire. C’est un peu comme un second chez lui, un qu’il a aménagé selon ses propres goûts, un dans lequel il a passé beaucoup, beaucoup d’heures. Trop, vous dirait son ancienne partenaire et aussi mère de sa fille Valentina. Mais Aaron ne compte pas, il n'a jamais compté et ne le fera jamais. Sa profession de photographe, bien qu'il aspire désormais à plus encore, est intimement liée à l'une de ses plus grandes passions et cela, tous ses clients sont en capacité de le voir, de le sentir. C'est indéniable.

Ce jour-là a été plein de rendez-vous enchaînés en studio, sans pour autant que cela se bouscule. Une ambiance calme a régné et c’est dans un environnement encore plus apaisé que le trentenaire termine sa journée une fois que le dernier client, un avocat reconnu de la ville, a quitté les lieux avec une plaquette de clichés d’identité sous le bras. Après avoir passé une vingtaine de minutes seul dans son bureau, Aaron entend la sonnette l’avertissant d’une entrée. Sans prendre le temps de se faire désirer, il se dirige vers l’accueil, puis vers la salle d’exposition où une silhouette semble l’attendre. A moins qu’elle ne soit juste là pour observer… “Bonsoir. Puis-je vous renseigner ?” Demande-t-il d’abord, avant même d’avoir pu voir le visage de la jeune femme. Il s’approche, étudie son profil un instant… très court, car il la reconnait rapidement. Ce faciès déjà venu le rencontrer, toujours pour la même raison. Un sourire apparaît sur les lèvres d’Aaron, touché par la présence de cette journaliste dans son studio, encore une fois. C’est un sentiment positif qui l’envahit, une fierté assurément, mais il y a aussi une certaine facétie en lui, facilement reconnaissable. “Mademoiselle Roden.” Ajoute-t-il alors, sur un ton tout ce qu’il y a de plus tranquille. “Dois-je bloquer ma soirée pour votre argumentation ?” Il ne dit pas ça méchamment, plus sur le ton de la plaisanterie. Cette jeune femme ne lui inspire rien de négatif. A vrai dire, par nature il a toujours aimé les gens ambitieux et tenaces...