Je dormais. Tranquillement. Sereinement. Pourtant, je fus réveillé en sursaut par la sonnerie de mon téléphone couplée au vibreur. Je tentai de lire le nom de l’enfoiré qui m’avait tiré des bras de Morphée. Mes yeux, embués par le sommeil, étaient dans l’incapacité de déchiffrer l’identité de la personne appelant. Maladroitement, j’arrivai à décrocher le téléphone. Une voix tonitruante m’invectiva. Damian Carstairs. J’eus du mal à tout saisir de ses propos, complètement à l’ouest. Je crus comprendre que j’étais responsable d’une faute grave. Il m’ordonna de le rejoindre au bureau d’ici vingt minutes. Je zieutai ma montre avant de confirmer mon arrivée. Il raccrocha. Tout en me préparant en quatrième vitesse, je me triturai l’esprit afin de comprendre ce qu’il se passait. Quelle faute, gravissime, pousserait Damian à vouloir m’occire ? Je boutonnai ma chemise, ajustai ma cravate, glissai dans mon pantalon, enfilai la veste de mon costard avant de sauter dans mes mocassins et sortir.

Arrivé devant le bâtiment, je saluai le gardien avant de pénétrer dans le hall d’entrée. Je le traversai d’un pas pressé. La pression montait. Mon cœur battait de plus en plus fort. Devant l’ascenseur, je l’appelai. L’attente fut interminable. Je vis défiler, un à un, les numéros d’étage. Petite musique. La porte s’ouvrit. J’entrai à l’intérieur. J’indiquai mon étage. Le trente-septième. Une bouffée de chaleur se propagea à l’ensemble de mon corps tandis que je grimpai dans les étages. Je fermai les yeux quelques secondes et tentai de rester calme. Je n’avais rien à me reprocher. J’avais beau tenter de me remémorer l’ensemble de mon travail ces derniers jours, rien ne me vint spontanément en tête. J’avais tout fait en suivant scrupuleusement les règles édictées. Bâcler mon travail n’était pas mon crédo. La porte de l’ascenseur s’ouvrit. J’entamai calmement ma marche vers le bureau de Damian.

Sensation étrange de voir les bureaux complètement déserts. Pourtant, malgré l’absence de collègues, la tension était palpable. Tout droit, je vis que le bureau du président était allumé. Damian semblait être déjà arrivé. J’avançais. Toujours, vers mon destin. Qui sait, peut-être serais-je renvoyé pour faute professionnelle. Honte sur moi. J’enlevai de suite cette idée-là de ma tête. Raide comme un piquet devant la porte, je repris un instant ma respiration avant de toquer un coup. Pas de réponse. Je pris l’initiative de pénétrer dans le bureau. J’ouvris. Personne. Je fis quelques pas tandis que Damian sortais de la salle d’eau accolée à la pièce. Il avait encore sa chevelure mouillée. Il s’approcha de moi, récupéra des papiers sur le fax et au sol avant de me les présenter violemment. Le dossier que j’avais constitué pour déposer le brevet du nouveau processeur avait été retoqué pour vice de procédure. Je restai impassible. Ne comprenant où il y avait vice de procédure. Je me penchai sur les feuilles faxées par l’avocat. Les balayant du regard, je ne sus quoi dire. Puis, levant les yeux vers Damian je lui avouai en toute franchise : « Je ne comprends pas ! Tout m’a l’air en ordre ! ». Evidemment, je me doutai bien que cette réponse ne satisferait pas le jeune homme… Et pourtant, il s’agissait de la stricte vérité. J’avais suivi scrupuleusement les étapes. Rien ne manquait !

Il se passa une main dans ses cheveux. Ce geste n’était pas anodin. Il cachait un énervement larvé par son silence. Puis, sans ménagement, il ouvrit sèchement le dossier afin de me montrer le sommaire. Sommaire que je connaissais très bien. Trop bien. Il me parla de la déclaration, du plan. Il commença à feuiller le dossier. Sa patience avait des limites. Il abandonna m’invitant à retrouver ces deux éléments. Je savais pertinemment que la déclaration était parfaitement rédigée. J’avais suivi scrupuleusement la règle de rédaction. Et le plan ? J’ai simplement intégré au document celui que le service technique m’avait fourni. Dans un silence glaçant, je passai en revue la demande de brevet. Damian reste de marbre, les bras croisés. Quand la déclaration se présenta devant mes yeux, je tombai de haut… Ce n’était pas ce que j’avais écrit au départ. « C’est quoi ce bordel ? Il en manque un pan ! » La fin n’apparaissait tout simplement au dossier. Et le plan ? Qu’avait-il lui ? Je m’attendais à tout ! Et je ne fus pas au bout de mes surprises. Il était complétement illisible. Je n’étais pas étonné que la demande n’ait pas été validée. Les pièces les plus importantes étaient tronquées. Le silence de Damian devenait vraiment lourd. « Que veux-tu que je te dise ? Il y a une un problème d’impression ! Il n’y a pas mort d’homme ! Il suffit juste de tout réimprimer et veiller qu’il n’y ait pas de pénurie d’encre ! » Il m’a fait venir pour ça ? Il n’est pas assez grand pour le faire de lui-même ? Il faut que je l’assiste en plus ? Je le regardais avec insistance. Il semblait bouillir, toujours. Pourtant, je n’étais pas incompétent, je n’étais pas fautif. Il était deux heures et demi du matin, j’étais fatigué, et je décidai de le provoquer, un peu : « C’est bon ? Je peux rentrer ? Ou dois-je te montrer comment fonctionne l’imprimante ? » Je fermai le dossier annoté et le rendis à Damian en attendant sa réaction. Peut-être allait-il me virer ? Tant pis, je paierais à cause de la défaillance d’une machine.

Il me reprocha de chouiner comme une pucelle. Je préférais ne rien dire, le laisser persévérer dans l’erreur et continuer à l’observer avec dédain. Il m’énervait. Il se croyait tout permis parce qu’il était le fils à papa. Je le vois se frotter nerveusement les yeux, le nez… Signe d’une nervosité exacerbée. J’eus un petit rictus à la commissure des lèvres mais je ne me laissais pas démonter. J’attendis. Fier comme Artaban. Il me demanda de rectifier le tire. Il était assez grand pour le faire de lui-même. Lorsque je le questionnai sur ce que je gagnerais à faire son larbin, il posa alors sa main sur mon torse. Mon cœur s’accéléra inconsciemment. Le contact de sa main sur mon torse m’électrisa. Pour autant, je n’allais pas m’abaisser à ses menaces. Qu’il me vire si cela pouvait lui procurer du plaisir. Je lui tendis une perche d’ailleurs : « Vas-y ! Ne t’en prive pas ! J’ai fait une erreur ! Fais-le ! Même si tu sais très bien que tu ne trouveras pas d’autres stagiaires plus compétents que moi ! C’est un fait ! Je suis le meilleur ! Je suis humain, l’erreur est humaine ! » Dis-je en posant ma main sur la sienne pour la retirer. Nos yeux se défiaient, avec toujours autant d’intensité. Aucun de nous ne voulait lâcher prise, face à l’autre. La joute verbale pourrait durer ainsi jusqu’au petit matin, sans qu’aucun de nous deux n’est lâché les armes.