30 décembre 1981
Je suppose qu'il faut bien commencer quelque part dans le récit. Très bien. Si on doit parler de la vie de Georgiane Hopper, laissez-moi vous dire une chose : elle a commencé à bouleverser l'univers familial dès son arrivée. Naitre la veille de la soirée la plus attendue de l'année, naitre en plein hiver, naitre juste avant une nouvelle année. Tant de raisons qui font que Georgiane aurait pu attendre un peu avant de venir au monde. Mais soit, elle a vite fait partie de la famille, la première de la fratrie. Fille d'Andrew et Maisie Hopper, c'était quelque chose, elle allait en vivre des péripéties, la petite.

2 juin 1987
Là on commence à avoir des dates descentes, de quoi remonter le moral d'Andrew et Maisie. Ca allait déjà pas fort dans le couple. Maisie avait sombré quelques mois dans la boisson, Andrew essayait de garder la tête hors de l'eau. Leurs problèmes financiers étaient la cause de beaucoup de souci, mais entre quelques engueulades, il y avait encore de l'amour, encore un peu, dans ce couple qui allait si mal. Georgiane était alors âgée de 5 ans. Elle n'allait jamais au parc. Elle ne jouait jamais à la poupée. Elle restait devant la télé la plupart du temps quand elle n'était pas à l'école. Dans la cour de récréation, elle avait commencé à jouer avec d'autres filles, corde à sauter et tout le blabla. Elle était tombée une fois, le genou écorché. Pas de chance, Georgiane continuait dans son mauvais timing, elle avait fait sa chute un jour où son père était parti pour le travail quelques jours, où sa mère en avait un coup dans le nez. Maisie avait hurlé sur la petite fille, avait refusé de la nettoyer, l'avait envoyée au lit sans plus de procès. Non, la vie n'était pas rose chez les Hopper, mais on faisait face. Matthew leur apporta un peu de gaieté. Ce gosse était merveilleux, à peine né, le 2 juin 1987, qu'il respirait déjà la joie de vivre. Un bonheur qui ne durerait pas, mais qui avait le mérite de donner une pause au volcan Hopper. Ses parents ne s'occupaient de lui que par intermittence, c'était Georgiane qui prenait soin de Matthew. Le petit, lorsqu'il fut en âge de parler, prononça pour la première fois "Georgie", son premier mot.

2008
Huit ans d'étude, elle n'en pouvait plus Georgie. Elle était fière d'elle, fière de ce qu'elle avait accompli. Elle espérait avoir une meilleure vie que ses deux parents réunis, aller plus loin que chauffeur de bus comme sa mère. Pour son père, elle n'avait jamais vraiment su ce qu'il faisait, il vadrouillait toujours à droite, à gauche, elle le soupçonnait de pratiques illégales. Lesquelles ? Elle l'ignorait toujours à cette époque-là. Son diplôme en poche, elle allait enfin pouvoir partir, s'éloigner de ce poison de famille. Son frère avait 21 ans, il avait déjà pris son indépendance depuis longtemps, n'avait pas désiré continuer les études. Il prenait des boulots de caissier la plupart du temps, ça lui allait bien apparemment, il ne s'en plaignait pas tout du moins. Georgie ne le croisait plus tellement de toute façon.

Elle commençait déjà à chercher un emploi, mais dans la petite campagne anglaise, c'était pas facile de se faire une place, elle aurait préféré être en ville directement. Mais sans bourse pour l'aider cette fois-ci, tout était bien plus compliqué. Alors elle se baladait dans les patelins plus ou moins proches Georgie, mais elle ne trouvait rien. Jusqu'au jour où en rentrait chez elle, elle passa par un chemin qu'elle connaissait bien, qu'elle n'avait pas emprunté sûrement depuis le primaire. Dans une ruelle un peu enfoncée, elle reconnut la voix de Matthew, elle ralentit le pas, se cacha, écouta sans un bruit. Il discutait avec un autre homme dont la voix ressemblait étrangement à la sienne, un peu plus grave cependant. Son père. Georgie risqua un oeil dans la ruelle, juste assez pour voir ce dernier donner d'étranges sachets à Matthew. Vérifiant que personne d'autres que ces deux là ne se cachaient dans la ruelle, Georgie s'avança jusqu'à eux. Cela lui valut un regard paniqué de papa Hopper qui se précipita pour tout ranger. "On avait prévu une réunion de famille ?" lança Georgie à la rigolade. Son frère se retourna précipitamment, il avait les yeux d'une biche apeurée. Depuis quand Georgie lui faisait-elle cet effet là ? De ses mains s'échappa l'un des sachets. Avant qu'il n'ait eu le réflexe de le rattraper, elle s'en empara. Des petits pilules bleues coloraient le paquet, certaines cassées en deux par la chute. Elle regarda alternativement son frère, son père. Elle arracha les autres sachets des mains de Matthew. D'autres pilules, des herbes aussi. Toute sa vie, elle se doutait que son père gagnait un peu d'argent illégalement, mais un trafic de drogue ? C'était au dessus de tout ce qu'elle avait imaginé, et elle le haïssait pour avoir entrainer son frère là-dedans. Elle leur jeta tout ce qu'elle avait amassé dans ses mains à la figure. Elle courut pour rentrer avant eux. Impossible que ses parents soient fauchés. Les disputes, les coups durs, n'était-ce que du vent, du théâtre ? Georgie se dit que peut-être, peut-être sa mère était-elle au courant elle aussi, sûrement même, peut-être que ce trafic était la cause même des disputes mais qu'ils parlaient argent pour sauver les apparences. C'était l'hypothèse la plus plausible. Georgie rentra dans la maison comme une furie. Elle remua ciel et terre, dévastant la chambre de ses parents sur son passage. Elle finit par trouver, bien cachée, une trappe dissimulant des tonnes de billet. Elle n'en avait jamais vu autant, c'était insensé. Elle en prit quelques uns qu'elle fourra dans un sac de voyage attrapé au passage. Elle entassa quelques unes de ses affaires par dessus, prit le nécessaire pour quelques jours. Elle claqua la porte en partant, se retrouvant nez à nez avec son frangin. "J'ai pas vraiment eu le choix Georgie, tu sais. C'est pour la famille." Elle sourit Georgie, un sale rictus qu'elle avait quand elle était énervée. "Il est drôle ton sens de la famille." Elle le bouscula un peu et continua son chemin. Elle entendit son prénom plusieurs fois, de moins en moins fort à mesure qu'elle avançait. "Tu vas où comme ça ?" Ca, elle en savait rien du tout. Mais elle n'avait plus rien qui la retenait ici, pas même son frère. Son boulot ? Ce n'était pas ici qu'elle le trouverait. Elle n'avait qu'une famille fausse, indigne. Il était temps qu'elle vole de ses propres ailes. Georgie répondit comme pour elle-même, elle ne cria pas pour que Matthew entende, elle s'en fichait bien. "New York"

2009 - 2012
New York, un rêve qui avait pu devenir réalité. Ca avait été long. Mais la traversée de l'Atlantique en avait valu la chandelle. Puisant dans les vivres de papa Hopper, Georgie se trouva un logement un peu miteux, mais qui ferait l'affaire le temps de. Elle se mit en quête de trouver un travail : les places étaient chères, mais à force de motivation, de quelques contacts qu'elle arriva à se faire au détour d'une bière ou deux, elle finit par se trouver un job de bureau. Pas très bien payé, mais il lui restait encore quelques billets de côté. Très vite, la boite dans laquelle elle bossait prit un peu plus d'ampleur, créant pas mal d'autres emplois. Georgie contribuait tous les jours à l'expansion, et on lui proposa de l'aide pour obtenir sa green card, tant convoitée. La procédure fut plutôt longue, mais un an plus tard, âgée de 27 ans, Georgie pouvait désormais résider sur le sol américain comme bon lui semblait. Elle finit par envoyer une lettre à son frère pour le tenir au courant de son avancé. Dans sa réponse, elle apprit que tout avait empiré depuis son départ. Sa mère avait replongé dans l'alcool, son père en demandait toujours plus à Matthew, parce que lui était trop occupé chez d'autres femmes.

Georgie rencontra des gens, beaucoup de gens, des amis, des connaissances. Elle rencontra un homme en particulier. Pour la première fois, Georgie ne se sentait plus comme un poids, elle l'aimait. Elle découvrit la vie à travers ses yeux, et elle aurait envie de rester là, à New York, toute sa vie, avec lui. Mais il avait d'autres rêves, d'autres projets. Il rêvait de rejoindre l'armée. Et là encore, Georgie le suivit. Elle servit trois ans. Elle l'avait suivi pour rien, ils avaient été très vite séparés : Georgie avait du mal à se faire une place dans l'armée, à cause de ses origines, elle n'était pas pleinement américaine. On finit tout de même par l'envoyer sur le terrain. Elle vit l'horreur Georgie, elle vit la haine, la mort. Elle se demanda souvent pourquoi elle avait fait ce choix, pourquoi elle était là. Quand on lui annonça la mort du seul qui l'avait amené ici, le seul qui, dans sa tête, lui disait de continuer, Georgie se retira dès qu'elle le put. L'armée, ce n'était pas pour elle, mais en trois ans elle avait appris une autre facette encore de la vie.

2013 - 2016
Elle avait servi l'armée américaine, Georgie. Alors elle demanda la nationalité américaine. Un moyen encore plus profond de couper les ponts avec l'Angleterre et ce qu'elle avait laissé là-bas. Elle abandonna aussi New York, la ville qui ne dort jamais. Elle avait besoin de calme. Elle avait 31 ans Georgie, pas véritablement de famille, pas d'attaches, pas un travail qu'elle appréciait. Elle voulait redémarrer encore, trouver un endroit où elle se sentirait bien, où elle pourrait prendre pied. Los Angeles s'imposa comme une évidence, après tout, c'est bien là-bas que tous vos rêves peuvent se réaliser. Il ne lui restait plus que ses économies de l'armée et du travail qu'elle avait quitté. Elle se reconstruisit là-bas. C'était beau LA, ça donnait envie. La nouvelle routine commença : logement pourri, un travail en attendant, et l'amour, toujours. Le même schéma se répétait inlassablement. Elle se maria plutôt rapidement. Elle se sentait déjà vieille, elle voulait une famille plus que tout. Torrance Booth lui redonna confiance, il lui redonna un peu de dignité et d'espoir. Il l'encouragea à enfin utiliser son diplôme a bon escient et Georgie eut enfin un métier qui lui convenait après des mois de recherche. Elle devint enfin plus calme, plus posée. Elle oublia petit à petit ce qu'elle avait vécu à l'armée. Georgie Booth. Cette femme ne vécut que peu de temps. Deux ans, avant qu'encore l'amour ne se dissipe. Ils ne s'aimaient plus les tourtereaux. Ils étaient devenus des étrangers, des amis tout au plus. Alors Georgie reprit une nouvelle identité encore. Georgie Hopper était un mélange d'avant et d'après, un mélange d'Andrew, Maisie, Matthew, d'armée et de Torrance. C'était dur, d'être seule. Ne plus savoir à qui parler de ses misères, ne plus savoir sur qui crier quand la vaisselle n'était pas faite. Torrance le vit, il tenait à Georgie, plus comme à une amie proche que comme une ex-femme peut-être. Ils continuèrent à se voir, à passer des nuits ensembles "pour se rappeler le bon temps". Au fond, Georgie, elle voulait juste de la compagnie. Elle devient stable sa vie, à Georgie. Elle redevient un peu plus banal. Pour combien de temps ? C'est au tour de Matthew de débarquer à LA. Elle aurait aimé qu'il ne vienne pas, mais au fond, est-ce qu'elle avait encore le choix ?