« Sometimes I’m dreaming about saving the world »

Je suis née en Virginie, un 17 Mars. Je n’étais pas une enfant aimable et je pense être devenue une adulte profondément mal aimable. Un regard trop insistant, une curiosité indélicate, un franc parlé insolent,  froide, calme, impassible … insensible. Je vous vois déjà venir, vous vous imaginez sans doutes que j’ai grandi avec d’horribles personnages et aussi étrange que cela puisse vous paraitre, je n’ai pas de souvenirs précis de mon enfance. Mon enfance est ponctuée de flash et de trou noir, j’imagine qu’elle a été assez heureuse et j’évite d’aller chercher ce monstre sous mon lit. Je ne cherche pas à en savoir plus, le passé m’angoisse, alors je ne cherche pas plus loin que ces souvenirs de portes qui grincent doucement et de ces nuits ou alors que mes joues étaient humides je regardais par la fenêtre de ma chambre, en me disant que ça n’avait pas d’importance, parce qu’un jour je sauverais le monde.
Je me souviens du sourire bête de ma mère, des histoires drôles de mon père et des larmes capricieuses de ma sœur. Quand je suis arrivée à un âge suffisant pour penser, j’ai très vite trouvé ma mère ignorante, elle était touchante mais m’a marqué par sa bêtise et son manque d’ambition. Les années ne l’ont pas arrangé, son sourire n’a pas changé, ni ses caresses sur ma joue et encore moins sa façon de me dire que j’ai pris le mauvais chemin, que je ne lui donnerais sans doute jamais de petits enfants. Et elle plaisante, espérant certainement m’arracher un sourire et je me force, je suis certaine qu’elle le sent, que je me force à lui sourire. Nous sommes sa raison de vivre après tout, elle qui n’a connu rien d’autres que les quatre murs de notre maison, elle qui a consacré sa vie à nous marteler l’esprit de son amour étouffant.

Ma mère est stressante, angoissante, elle nous a appris à avoir peur de grand méchant loup et sursauter à chaque coin de rue. Je sais très bien qu’au fond, elle souhaite que nous ayons le même chemin qu’elle, elle souhaite nous épargner le monde alors que  moi, je ne rêve que de le dévorer. Mon père faisait partie de ces hommes, un peu trop naïfs, un peu trop émotifs et surtout un peu trop patriotes. La nation l’avait engloutit si bien qu’à la longue il préférait les Seals à ses deux filles et les Seals l’ont tué. Il n’est pas mort en héro comme vous vous l’imaginez, l’horreur des guerres l’a rendu ivre et il a percuté un camion en rentrant chez nous … un certain 13 Janvier 2009. Il ne me manque pas, je veux dire … je ne le connaissais pas … pas tant que ça. Ma sœur a été anéantie et alors que les canons résonnaient à l’enterrement de notre père, je ne pouvais m’empêcher de la fixer, me demandant pourquoi elle se forçait à pleurer la mort d’un étranger. Elle est une épouse aimante, une gamine de 24 ans qui joue à la maman et elle est fière d’aller visiter ma mère chaque semaine pour afficher son bonheur superficiel. Ma sœur, Leah, a toujours cherché l’approbation de ma mère et elle l’a toujours eu. Elle m’insupporte au fond, même si je suis dans le déni et que je te tente de me rassurer, je sais qu’elle me file de l’urticaire.

« The face you give the world tells the world how to treat you »  

Je ne sais pas comment j’en suis arrivée là … à fixer ce plafond, ni comment mes pensées ont dévié sur ma famille et mon passé. Je regarde le plafond immaculé et je ne peux m’empêcher de penser que si on m’enfermait dans une pièce de ce genre assez longtemps, je deviendrais sans doute dingue en très peu de temps. A vrai dire, j’ai du mal à me dire que cet endroit est censé être rassurant, que les personnes présentes sont là pour accompagner les gens comme moi dans une décision réputée pour être difficile. Une infirmière me tient la main, alors que le médecin est assis en face de moi, moi et mes jambes écartées au possible, lui servant le peu d’amour propre qu’il me reste. Je suis comme anesthésiée, dans l’impossibilité de ressentir la moindre émotion présentement, une distance par apport à moi-même qui serait effrayante si elle n’était pas aussi apaisante et salvatrice. Il m’enlève une partie de moi, un bout de moi, qui dans quelques mois aurait vécu, crié, bavé et aurait certainement, pour une raison que j’ignore encore, comblé le vide qu’il y a en moi. Il l’aspire, membre par membre, comme s’il n’avait jamais été qu’une poupée de chiffon inanimée. Le destin ne s’est pas abattu sur moi, il n’a pas frappé ce petit bout d’une maladie incurable qui aurait empoisonnée son existence et la mienne, non … ici, il n’est question que de moi et de ma lâcheté. Je peux assumer bien des choses, endosser bien des rôles mais mener une existence innocente jusqu’à son apogée, ça, je m’en sens incapable.
Dieu fait les choses étrangement, il a rappelé la mauvaise personne, celle qui sans mal aurait pu s’investir dans ce genre de mission, qui était faite pour encourager, aimer, dorloter et rassurer, comme si nous n’avions pas besoin de ce genre de personne sur terre. La faucheuse avait fait son office et avait emporté avec elle, mon équipier et fiancé. Je savais combien la difficulté de notre métier était peu propice à la sécurité mais j’étais loin de pensé que la simplicité de la vie et la banalité de la mort aurait pu frapper chez moi sans prévenir. J’ignorais que la faucheuse, dans un excès de perversité se serait introduit dans mon lit et aurait frappé celui qui m’entourait de sa force et de son optimisme.

Avoir survécu à une fusillade pour crever dans son pieu d’une rupture d’anévrisme … merde elle l’avait bien eu cette garce de faucheuse et elle c’était aussi bien joué de moi, me faisant apercevoir un semblant de bonheur. La voix douce de l’infirmière me sort de ma torpeur, je tourne la tête vers elle, alors qu’elle pose sa main sur mon dos pour m’aider à me redresser. Ils me ramènent dans ma chambre et sortent me laissant avec moi-même, alors que j’aurais aimé être avec n’importe qui pour m’éviter de me retrouver seule face à moi-même. La journée passe, le doc se ramène et me parle, je vois ses lèvres bouger mais n’entends rien, si ce n’est que je peux partir maintenant. Je m’habille méthodiquement, sans penser, comme un robot sans âme, une personne que le vide a envahie et quitte la clinique.

J’ouvre la porte de cette Ford noire qui m’a accompagné pendant tant d’années, au moins une qui ne me laisse pas tomber. Le chemin de la maison semble long, beaucoup plus que d’habitude, mais cela ne me dérange pas, je n’ai pas envie de rentrer chez moi et de prétendre à la normalité, à me forcer à regarder ces émissions débiles à la télé pour m’empêcher de penser. Je bifurque violemment, sans délicatesse et prend le chemin du bureau, faut que je bosse, j’ai besoin de bosser. Je peux voir les gens vivre, la Nouvelle Orléans semble ne jamais s’endormir et pourtant, je suis morte à l’intérieur. En me garant, je me prépare aux regards de mes collègues, aux reproches de mon patron et à ce qu’on me renvoi chez moi, comme si le deuil était une malade contagieuse. Je claque la porte de la voiture et mes chaussures résonnent sur le sol de l’office.

« Qu’est-ce que vous foutez là Holt ! »

Denis Rightman, responsable de l’agence et mon abruti de boss.

« Bonsoir, je viens bosser »

Un ton froid et détaché qui en dit long sur mon état d’esprit et sur le fait que je ne compte pas sortir d’ici sans avoir un dossier dans les mains.

« Merde Holt, rentrez chez vous, personne ne vous en voudra de prendre quelques jours pour vous »

Je tourne la tête vers lui, mes yeux verts se plongeant dans son regard d’acier, je le frapperais bien, je lui ferais avaler sa cravate jusqu’à ce qui la chie mais juste un soupire exaspéré s’échappe de mes lèvres.

« Faut que je bosse patron, filez moi quelque chose … n’importe quoi. »

« Ils ont besoin de monde à L.A, mais Holt  …»

Je n'écoute déjà plus, je ne suis plus intéressée par le reste de sa phrase, je souris légèrement … ce sera L.A alors ….