Je suis un double de moi-même, spectre errant dans les douceurs exquises du vent sur l'écume, de la pluie sur le bitume. Marcher comme respirer, par un réflexe désuet dont le sens échappe à la tête, dont le but échappe au coeur. Marcher pour oublier qu'il n'y a pas d'autres peurs que les souvenirs qui brûlent les vieilles cicatrices, qu'une plage ici ou ailleurs rappelle sans cesse les routes désertes de la mort, celle de la vaine plénitude avant l'impasse des derniers souffles.
Au-delà de la brise j'entends ton nom me sourire et chuchoter parfois la conscience qui pèse sur mes choix. Jacob — Michael — Jude — Brooklyn — Beth — Martin, répète, après tout ils sont ton sang ils partagent cet ADN, ce code qui devrait te définir, ce poison qui coule dans tes veines ; encore! dans l'ordre, Jacob, Michael, Jude, Brooklyn... Brooklyn, Beth et Martin. Brooklyn et Martin... Beth disparue dans la grande flopée des images et pensées qui livrent nos exécrables désirs à ceux qui jugent dans l'après-monde. Beth 1 4 7—
Beth disparue, à jamais...
Ah! J'ai crié, j'étais la Phèdre de ces lieux peu sûrs, j'avais la tragédie de cette trace indélébile—Beth, des griffes contre les murs, des rires sur les briques, des fruits mûrs puis vains, du verre sur le bout des doigts, des gouttes d'amour qui s'échappent — BETH! BETH! Un mystère plein d'amertume, misère, misère, misère!
Prier Dieu, exutoire inutile, nécessaire à la rancoeur insatisfaite par les cris de minuit et les crises de larmes— BETH! Des fois la nuit souvent un souffle rappelle ton nom dans la pénombre des plages connectées par ton fantôme... Los Angeles ou Otaki, même sable, même pluie qui sans cesse parle ton langage et 147 trous dans ma main pour compter tes absences ; 147 lorsque tout se brise ; 147 façons de ne jamais plus se retrouver ensemble et de disparaître.
Michael et Brooklyn en Amérique, le reste enfermés dans un délire onirique de la sacralisation de la mémoire. Comme s'il fallait l'entretenir pour ne pas la perdre. Eriger la tombe vide, pleurer la mort de notre savoir, enterrer nos doutes à défaut de tes yeux. Putain mais c'est un souvenir qui toujours persiste, signe d'un fer rouge les artères qui inondent mon coeur. L'as-tu jamais compris dans ta paranoïa du péché, l'as-tu jamais ressenti une fois sa silhouette disparue de ton champ de vision— l'as-tu jamais pleuré la nuit en te débarrassant de toute croyance, en envoyant tout chier?
147 B E T H
Tu planes comme un nuage noir— non, ta gueule. J'écris, je rature, seize ans après l'impossible disparition d'une âme en perdition. Rien de noir uniquement la lumière sage de ton souffle sur mes cheveux. Mais t'étais trop petite toi mais t'étais trop petite! T'étais trop belle, t'étais trop pleine d'une innocence, ta pureté éclairait les pleurs des clochards, tu rendais le monde meilleur en y respirant chaque soir, moi j'étais... Moi j'étais qu'une idiote j'avais pas compris, pourquoi t'es parti elle t'avait... Elle t'avait dit... Elle...
Elle était la raison de la mort encore à l'époque, de la mienne, de la famille— elle l'est toujours. Chaque Noël coincée avec mon venin sous la langue, le couteau entre les dents. Elle t'avait dit jamais de ne profiter d'avoir l'âge d'être jeune et encore toi, dans le défi et la naïveté de l'amour tu pensais pouvoir lui prouver le contraire. Disparue! BETH!!
Beth... 147 fois j'entends ton nom sans pouvoir jamais le dire à voix haute. Encore aujourd'hui il reste coincé dans ma gorge il embrume mes yeux de tes traits flous, de ce souvenir erroné que j'ai de ton visage. 147 fois encore je compte chacune de mes pensées à ton égard avant mes sommeils
et je te retrouve coincée dans mes rêves.