SOUS-TITRES SI NÉCESSAIRE

There is freedom within... ♪

« Riley ! Non, ne monte pas sur ce tronc ! » La fillette aux cheveux châtains éclate d'un rire cristallin, qui résonne dans le bois. A seulement cinq ans, elle a un désir féroce de découvrir tout ce qui l'entoure. Peu importe si cela comporte des risques pour elle, elle est boostée par ce besoin de s'emparer de toutes les sensations que peut lui offrir ce monde. Dans la voix de son père, elle entend un petit rire, qui la conforte dans l'idée qu'il lui dit probablement ça pour faire bonne figure devant sa mère. Oui, déjà à ce si jeune âge, elle réussit à percevoir ce genre de comportements adultes. Alors elle monte quand même sur le tronc, jusqu'en haut, jusqu'au moment où il manque de vaciller. Au loin, elle entend sa mère rouspéter. Mais si elle devait s'arrêter à ça, elle ne ferait plus rien. Dans l'innocence et l'insouciance, elle prend son élan et saute du plus haut qu'elle puisse. La chute est mauvaise et la fillette se tort légèrement le genou. Mais elle se relève, grimace un peu et continue d'avancer sans se plaindre. Derrière, sa mère a perçu sa grimace et lance un piquant « je te l'avais bien dit. » que la petite fille ignore éhontément.

Try to catch a deluge in a paper cup... ♪

« Tu ne vas quand même pas pleurer pendant cent ans, Riley ! » La gamine est assise au bord de son lit, les pieds dans le vide. Elle fixe ses mains nouées sur ses cuisses. Avec fureur, elle relève ses yeux remplis de larmes pour venir fixer sa mère. Comme pour la prévenir, de ne pas prononcer un mot de plus. Elle se retient de lui cracher qu'elle s'appelle Noah. Son père a toujours préféré Noah. Dans la confidence, c'était de cette façon qu'il l'appelait, quand ils n'étaient que tous les deux. Oui, appelait, étaient. Parce qu'il est mort depuis une semaine. Elle ne sait pas de quoi, ni comment. Personne n'a rien voulu lui dire. Tout ce qu'elle sait, c'est qu'elle est désormais coincée avec cette atroce personne qui lui a donné la vie dix ans plus tôt. Elle sait qu'il s'agit d'une pensée horrible, mais souvent elle aimerait qu'on prenne sa mère et qu'on lui rende son père.  

There's a battle ahead... ♪

Au détour d'une ruelle de la banlieue londonienne, je serre mon sac contre moi et jette un coup d’œil par-dessus mon épaule, terrorisée. Mon corps tout entier est douloureux. Cette sensation, j'en ai l'habitude. Un peu trop. Depuis que mon père est parti, ma mère a pris la fâcheuse tendance de me taper dessus dès que ça lui chante et autant dire que l'envie lui prend souvent. N'importe quel prétexte est bon. Ces derniers mois, je me suis évertuée à lui en donner des centaines puisque ce monstre n'en avait au final pas besoin. Donc j'ai vécu ma vie comme je l'entendais. Enfin non, pas exactement. J'ai vécu ma vie de sorte à l'emmerder le plus possible, la couvrir de honte un maximum. Le premier poing qu'elle a levé sur moi, c'était pour me punir d'avoir encore versé des larmes pour mon père, deux semaines après sa mort. Cette folle m'a laissée sur le carrelage, juste... assommée. Et elle y a vite pris goût, la raclure. Ma vie n'est devenue qu'une série de coups successifs, d'excuses bidons auxquelles personne ne croit et pourtant personne ne réagit. J'ai fait connerie sur connerie. Mais ce soir, je lui ai donné le coup de grâce. A peine 15 ans, et déjà enceinte. J'avais déjà fait mon sac avant d'aller lui annoncer. Elle m'a foutu une raclée et elle a même innové cette fois, en me menaçant de mort. Charmante personne. J'ai chopé mon sac et je me suis barrée, la folle sur les talons. Bon... Du coup je ne sais pas du tout comment je vais faire pour m'en sortir. J'ai quinze ans, je suis dans la rue, j'ai un mouflet dont je ne veux absolument pas dans le bide, pas d'argent, une mère complètement tarée à mes trousses, plus de père, pas de famille que je connaisse, pas d'amis de confiance, la lèvre et l'arcade en sang. Et putain... j'ai froid.

On me bouscule et je me réveille en sursaut, le front collé contre une vitre de bus. Je peine à trouver mes repères, comme à chaque fois que je fais ce rêve à la con. « Pardon, » me lance une voix qui me paraît très lointaine. Mon visage est couvert par une capuche et j'ai mes écouteurs enfoncés dans les oreilles. J'appuie sur le bouton de mon téléphone, qui me révèle qu'il est 07h28. J'ai eu le temps de faire ce rêve merdique en moins de dix minutes. Je suis actuellement en train de faire le fameux walk of shame pour rentrer chez moi après une nuit trop arrosée et où j'ai pris mon pied. Je suis tellement crevée en ce moment. Entre mon job au Times de Los Angeles et les soirées à répétition, je ne dors plus. Pas le temps. Mon iPhone joue inlassablement Don't dream, it's over et comme je ne tiens pas éveillée, je me rendors contre la vitre au rythme de cette mélodie.  

In the paper today, tales of war and of waste... ♪

Je souffle ma dix-huitième bougie sans grande conviction. Pourtant, ma vie peut enfin démarrer. Je vais quitter le foyer d'accueil dans lequel j'ai été placée après avoir enfin osé porter plainte contre ma mère. Pas de famille d'accueil pour moi. Une adolescente de quinze ans, personne n'en veut. Je n'ai pas fait que des bonnes rencontres ici, mais certaines l'ont été. En tout cas, la plupart m'ont soutenue lorsqu'il a fallu prendre la lourde décision d'abandonner mon enfant. Car après plus de neuf mois passé dans mon ventre, j'en étais venue à m'y attacher. Mais non. Je ne voulais pas risquer de reproduire le personnage atroce qu'était ma propre mère. Et puis j'avais seize ans. Qu'est-ce que j'allais foutre de lui ? Je n'savais même pas ce que j'allais foutre de moi.

Now I'm walking again to the beat of a drum... ♪

Le mec à côté de moi se lève et me réveille en sursaut encore une fois. Tant mieux, de toutes façons il fallait que je descende là aussi. Les pensées s'embrouillent dans ma tête. Une nouvelle fois, je repense à l'enfant que j'ai abandonné et j'essaie de me convaincre que j'ai fait le bon choix. J'ai pu intégrer Yale grâce à une bourse, j'ai étudié le journalisme pendant quatre ans, puis j'ai fait des petits boulots à New York pour grimper les échelons. Il y a un an, j'ai été contactée par le Times de Los Angeles pour venir bosser chez eux. Alors j'ai emménagé ici, cette ville un peu louche sur les bords, mais aux attraits indéniables malgré tout. Personne ne me connaît réellement et ça me va. Tout ce qu'ils ont à savoir sur moi, c'est comment me faire prendre mon pied. Le reste est confidentiel.