OHIO, 1995
Cela fait trois semaines que mon père est partie de la maison et qu'il n'est plus jamais revenu. Ma mère ne fait que pleurer et s'enferme dans sa chambre toute la journée. C'est une voisine qui me conduit à l'école et qui me ramène. J'entends les parents d'élèves murmurer à mon passage quand je vais à l'école, me regardant avec des yeux remplis de compassion que je déteste plus que tout. Pourquoi me regardent-ils comme ça ? Pourquoi maman pleure tout le temps ? Quand j'ai posé ces questions à la voisine, celle-ci m'a murmuré que je devais les poser à sa mère et que ça n'était pas à elle de m'en parler. Je n'ai pas eu besoin de reposer la question puisqu'un soir, en revenant de l'école, maman n'était pas cachée dans sa chambre pour pleurer: elle avait emballé toutes nos affaires, la maison me paraissait tellement vide. "Maman, pourquoi tu as tout mis dans des cartons ?" Ma mère me regarde avec un sourire triste et se met à genoux devant moi, posant ses mains sur mes petites épaules. "Papa nous a abandonné.. alors on va aller à Los Angeles tu sais, là où Papi et Mamie habitent.."

LOS ANGELES, 1995
Je me souvenais plus où moins de cette ville où mes grands parents habitaient car nous y allions de temps en temps en vacances. Ce dont je me souvenais le plus, c'était de l'océan qu'on voyait à travers la fenêtre du salon de papi et mamie. Nous sommes arrivées à Los Angeles juste elle et moi, mais sans que je ne comprenne pourquoi, ma mère m'a déposé chez mes grands parents et m'a expliqué que je devais rester là quelque temps mais qu'elle reviendrait me chercher très vite. J'ai pleuré pendant plusieurs jours, me sentant totalement abandonnée. Abandonnée par mon père et maintenant, par ma mère. Et je suis restée chez mes grands parents pendant près de deux ans. Pendant ces deux ans, j'ai du voir ma mère environ quatre fois. Une fois à Noël chaque année et une fois à mon anniversaire aussi. J'ai développé une rage assez importante contre ma mère et plus le temps passait, moins je voulais la voir, ne comprenant pas les raisons de cet abandon. J'entendais mes grands parents parler le soir, parler de comment ma mère buvait trop, de comment ils voulaient demander ma garde officielle car ils avaient peur du jour où elle reviendrait me chercher.

LOS ANGELES, 1997
Et ce jour arriva. Elle était là, et elle était différente. Elle n'avait pas les cheveux tout gras comme ces deux dernières années. Son haleine ne sentait pas l'alcool et elle était avec lui. Un nouveau petit ami, un nouveau fiancé qui, apparemment, lui avait sortie la tête de l'eau.Il s'appelait Matthew et il m'a tout de suite adopté comme sa propre fille. Autant dire que ça m'a fait du bien d'avoir enfin une figure paternelle. Un an après, en 1998, ils se marièrent et ma mère tomba enceinte. Ma petite soeur vit le jour en 1999 et malgré nos dix ans d'écart, j'étais ravie d'avoir une petite soeur avec qui jouer. J'étais ravie de ne plus me sentir seule. Je ne le savais pas, mais Matthew n'était pas le beau père parfait. Il était agent immobilier mais ce que ma mère ignorait, c'était qu'il organisait des combats de chien illégaux dans le sous sol des maisons invendues et qu'il se faisait beaucoup d'argent au noir de cette manière. Il trainait avec des personnes pas très fréquentables.

L'ADOLESCENCE
L'adolescence fut un moment de rébellion pour moi. J'étais têtue et très irritable et les rancoeurs que j'avais envers ma mère parce qu'elle m'avait abandonné pendant deux ans chez mes grands parents à notre arrivée à Los Angeles étaient encore présentes dans mon esprit. Les "t'es pas mon père" adressés à Matthew fusaient quand il essayait de me remettre à ma place et ma mère, complètement à côté de la plaque n'arrivait pas à me contrôler. J'avais seize ans et je participais à tous les excès que la vie me proposait. Je sortais avec des garçons plus vieux pour faire pleurer ma mère, je les faisais dormir à la maison sans l'autorisation de mes parents, je fumais, je buvais alors que je n'avais même pas l'âge. C'est vers dix huit ans quand je compris que je me brûlais les ailes que j'ai arrêté mes conneries. Je voulais être acceptée à l'UCLA pour faire des études de journalisme et ça n'était pas avec ce comportement que j'allais réussir à entrer à l'université. Ma mère fut soulagée de me voir me calmer mais les rancoeurs étaient toujours là et je n'avais qu'une hâte; me casser de chez moi pour vivre ma vie.

L'UNIVERSITE
C'est à l'université que je me suis sentie plus épanouie que jamais. Ne plus être chez moi, avoir mon indépendance et étudier quelque chose que j'aimais m'a aidé à me calmer. J'ai fait des rencontres intéressantes et c'est dans mon groupe d'amis que j'ai appris à rentrer par effraction chez les gens. Nous allions dans les coins les plus huppés de Los Angeles pour faire des fêtes dans les villa vides. J'aimais le goût du risque et l'adrénaline que ça apportait de faire des choses illégales. En cours, je restais studieuse et très attentive, finissant même major de ma promo avec mon diplôme de journaliste en poche. J'ai travaillé d'abord comme assistante au Los Angeles Times avant d'avoir enfin un poste de journaliste pour la section web du journal. La vie me souriait, mais du côté de la famille, tout dégénéra à nouveau.

LOS ANGELES, 2015
"Tu ne peux pas recommencer maman, il faut que tu arrêtes ça !", que je crie à ma mère alors que celle-ci, à moitié avachie sur la table de la cuisine pleure comme une enfant de dix ans. "Matthew est mort Thea ! Il est mort et je me retrouve encore toute seule !" Je claque mon poing contre la table et ma mère se redresse d'un coup, les yeux encore rougies par les larmes. "Mais ça fait un an maintenant ! Il faut que tu réagisses, ta fille a besoin de toi tu ne peux pas lui faire vivre le même enfer qu'à moi d'accord ?! Tu bois toute la journée, elle a peur de rentrer du lycée tu te rends compte de l'enfer que tu lui fais vivre ?!" Ma soeur entre alors dans la pièce, hésitante et fond en larmes à son tour. "Maman s'il te plait.." Je lève le bras pour empêcher ma petite soeur de s'avancer et je la regarde, "Va faire ton sac, tu viens chez moi." Elle hoche la tête et court pour monter dans sa chambre. Ma mère me fusille du regard et se lève, "N'ose pas me prendre ma fille, elle ne viendra pas avec toi !" Je secoue la tête et me recule, "Non.. non je ne la laisserai pas dans cet enfer. Tant que tu ne seras pas sobre, tant que tu ne sauras pas d'occuper d'elle elle reste avec moi, c'est non négociable."

LOS ANGELES, 2016
"Vous n'avez pas le droit de l'avoir chez vous mademoiselle Roden.." La dame des services sociaux soupire alors qu'elle ferme le dossier face à elle. Un léger sourire se dessine sur mon visage. "Ecoutez moi bien. Je suis sa soeur, elle a le droit de dormir chez moi non ? Ma mère est saoule du matin au soir et puisque les services sociaux ne sont pas foutus de reconnaitre que ma mère est un danger pour ma soeur, disons qu'elle ne fait que.. me rendre visite tous les soirs. Il n'y a rien d'illégal là-dedans à ce que je sache ?" Je sors du bureau de l'assistante sociale et je souris à ma soeur, passant mon bras sur ses épaules, "Pizza ce soir ?" Un sourire se dessina sur ses lèvres et hoche la tête, "Je peux rester alors ?" J'hoche la tête à mon tour, "Peu importe ce qu'ils disent, tu peux rester aussi longtemps qu'il le faudra, j'te le promets"