Depuis que t'es gosse, tu partages ta vie avec des terreurs nocturnes qui ont, au fil du temps, donné naissance à un problème d'insomnie chronique. T'hurlais à plein poumon au beau milieu de la nuit et ta mère accourait jusqu'à ta chambre pour tenter de te calmer. Elle posait l'une de ses mains sur toi et fredonnait la même chanson qui parvenait doucement à t'extirper de ta léthargie. Lorsque t'ouvrais les yeux, tu ne possédais aucun souvenir de ce qui venait tout juste de se passer. Graduellement, tes terreurs nocturnes se sont transformés en cauchemar récurrents. Encore une fois, ta pauvre mère se précipitait vers toi pour rassurer le petit bout de vie que tu étais. À l'adolescence, t'as développé un trouble du sommeil. T'avais de la difficulté à t'endormir le soir et, lorsque t'arrivais à le faire, tu te réveillais souvent en sursaut. Les nuits étaient courtes et très peu reposantes, tes résultats scolaires en souffrait. Ta mère a donc décidé de consulter un médecin en voyant que le problème ne se réglait pas au fil des années, même qu'il empirait. On t'a prescrit une tonne de cachets que tu devais prendre avant de te mettre au lit; des relaxants musculaires allant jusqu'aux somnifères, carrément. Néanmoins, rien ne semblait fonctionner puisque t'étais toujours incapable de fermer l'oeil. Tu t'es vite rendu à l'évidence et t'as appris à vivre avec la fatigue constante jusqu'au jour où t'as franchis le cap des soixante-douzes heures sans dormir. T'as vécu ta toute première crise de mico-sommeil. C'est particulièrement étrange comme sensation, lorsque ton cerveau décide de prendre une pause alors que t'étais parfaitement réveillé il y a vingt secondes à peine. Tu ne t'es jamais habitué à ça et, même encore aujourd'hui, tu n'arrives pas à t'y faire. Ni à cette nuit-là, d'ailleurs. Celle où ta mère s'est fait brutalement assassiné. Tu t'es levé un matin après avoir passé plus de trois jours sans fermer l'oeil et t'es sorti pour aller chercher un café. T'en as pris un deuxième pour ta mère malgré ton retard, un peu comme si tu ressentais le besoin de passer la voir avant d'aller au boulot. Les gobelets encore chauds entre les mains, t'es rentré chez elle comme si tu n'avais jamais quitté la maison familiale. Tu l'as interpellé à quelques reprises pour signaler ta présence avant de faire quelques pas devant toi. Sans réponse de sa part, tu t'es dit qu'elle était déjà partie, mais tu te souviens d'avoir fait la réflexion que ce n'était pas dans ses habitudes de laisser la porte d'entrer déverrouillé. T'es donc monté à l'étage en supposant qu'elle devait se reposer et qu'elle ne t'a tout simplement pas entendu. Lorsque t'as ouvert la porte de sa chambre, t'as lâché les deux gobelets de café que tu tenais dans tes mains et ils se sont écrasés au sol, répendant le liquide opaque sur la moquette blanche. Cette moquette, ta mère en était folle dingue. Quand t'étais petit, il était hors de question que tu pénètres dans sa chambre sans son consentemment pour ne pas risquer de tacher ce fameux tissu qui recouvrait le sol. Cette scène, elle restera gravé dans ta mémoire jusqu'à ta mort. Tout ce rouge éclatant qui dominait la pièce qui, autrefois,  était lumineuse et pleine de vie. À ce moment-là, il n'y avait que cette odeur âcre du sang fraîchement versé qui planait dans l'air et le corps de ta mère qui baignait dans son propre liquide vitale. Elle semblait presque paisible, les yeux fermés, allongé dans son lit, comme ça. Si ce n'était pas de ses plaies ouvertes, t'aurais pu croire qu'elle était endormie. Ironique, non? Tes terreurs nocturnes semblaient bien banales, tout d'un coup. La police n'a révélé aucune trace de lutte, laissant supposer que ta mère connaissait son agresseur ou qu'elle est morte alors qu'elle dormait. Les soupçons se sont rapidement tournés vers toi puisque t'es son fils unique et, ainsi, la seule famille proche qui lui restait. Néanmoins, faute de preuves, ils t'ont laissé filé malgré ton dossier médical qui spécifie ton problème d'insomnie chronique. La vérité c'est que tu ne te souviens pas de cette nuit-là. En fait, tu ne te rappelles pas de t'avoir couché dans ton lit. Tout ce que tu sais, c'est que tu t'es réveillé dans ta chambre, nue comme un vers sans avoir le moindre souvenir d'avoir retiré tes vêtements. T'ignores s'il s'agit d'une énième crise de micro-sommeil, mais, depuis le meurtre de ta mère, il y a une question qui tourne en boucle dans ta tête. Cette même foutue question qui t'hante chaque nuit et qui te brûle les lèvres, mais que tu n'oses pas prononcer à voix haute. Celle dont la réponse te terrifie juste à y penser... Et si c'est toi qui l'a tué?