Je me souviens encore de moi, pleurant dans ses bras après une rupture difficile. Il était là, quoiqu'il en coûte. La fatigue, les contre-temps, rien n'avait jamais réussi à nous séparer. Et cette nuit, en deux-mil quatorze, je nous revois encore chanter cette chanson dans ma chambre, nous deux et seulement nous. Les yeux fermés, je m'esquintais la voix à forcer dessus, les larmes chaudes coulant de chaque côté de mes yeux. Keeping tonight as light as can be but you're my kryptonite and its wearing on me. Starring at me like I've got a hero to be. Comment avais-je fait encore pour me retrouver ainsi, dans cet état, à nue devant mon meilleur ami alors que personne ne devrait s'infliger ça et surtout pas devant quelqu'un, quel qu'il soit. Watch your eyes slowly turning from blue into green. And I'm no superman but even with all of my mind, hard as i wanna try, I cant fight against kryptonite. Et ma kryptonite à ce moment précis était ce garçon pour qui j'aurai tout donné. Nous n'étions pas amants, juste connectés d'une manière différente et rien ne m'aurait séparé de lui si le destin ne nous avait pas joué un de ses mauvais tours.

Une psychologue me suit régulièrement depuis la disparition de mon meilleur ami. Cette dernière fit planer tout autour de nous, telles des cendres qui finissent par toucher quelqu'un et le brûler. Mort ou vif. Le feu brûla son père, emporté par la culpabilité et le chagrin d'avoir perdu son fils. Sa peine ne fut que plus dur, puni en ratant sa chute pour sombrer dans les ténèbres et dont seule la mort pourra le délivrerait, selon lui. Sa veuve fut dévastée, noyée de chagrin, et voulut se repentir afin de faire amande honorable envers Dieu. Elle pensait s'en être détournée en ayant fauté. Dans sa folie religieuse, sa bouche noircit les alentours, tel un démon noir s'échappant d'elle avant qu'elle ne devienne pure. Et devant elle, je fus spectatrice de son ascension vers la rédemption. Le pardon, je pus le donner mais l'incompréhension vint m'assaillir. Que devais-je faire de ce qu'elle m'avait confessée ? Une dizaine d'idées fusèrent jusqu'à ce que je ne décide d'ignorer, tout simplement. Puis vinrent les sueurs, puis la peur et enfin d'atroces cauchemars où je me réveillais par des douleurs dans tout le corps, où le sordide s'était emparé de mon être, me violant et aspirant mon énergie, à l'image d'un parasite. J'avais l'impression de perdre mes repères, ceux entre la réalité et la fiction. L'illusion prenait le pas et cela en devenait insupportable.

Ma psychologue se stoppa d'écrire lorsque je me revenais sur ces derniers détails. Puis, elle finit par me poser la question que j'attendais. Celle de savoir si j'avais eu une discussion avec mes parents. La réponse était simple et pourtant, un millier de choses m'empêchaient de le faire. Quelque chose de plus profond, de plus ancien semble s'être greffé à moi. Ou plutôt, il semble que je venais juste de m'en rendre compte.

Je ne fais plus de cauchemars mais je ne fais pas de rêves non plus. Dans mon sommeil, je ne fais qu'explorer des endroits étranges, différents les uns des autres. Je suis une aventurière qui se risque à l'extérieur de ma grande ville, populaire mais pas si sublime qu'elle est vendue dans les médias. Il me faut un air frais, un air nouveau. J'ai besoin de m'évader, j'ai besoin de m'évader par moments.

La nouvelle tombée, je m'étais enfuie. J'avais couru quelques mètres, le temps de digérer la nouvelle. Je me souviens encore, c'était il y a deux ans. Mon meilleur ami était absent et n'avait donné aucunes nouvelles. Et je ne m'étais pas tant inquiétée que cela. En quelques mois, nous avions grandi et nous nous étions éloignés. Juste après cette nuit où il m'avait réconforté. Il y a deux ans, il fut porté disparu et aucun signe de vie, aucune trace de son passage après une nuit banale. Une partie de moi s'est perdue à ce moment, et je me suis remise en question. J'étais passionnée par mes études mais faisais-je véritablement la différence dans le monde. Dans mon monde. De ce besoin de changement, je me suis retrouvé à travailler à l'hôpital. Aider devient un plaisir. Je crois en l'aura, je crois que les bonnes actions sont récompensées parfois mais qu'il faut y croire. Ma naïveté peut survenir à des instants que je ne soupçonne pas. Tout comme mes angoisses sur lesquelles je travaille depuis deux ans également. Ou un an et demi, le temps que je prenne un coup de maturité et que je décide de m'en sortir. Je ne veux pas souffrir mais je ne désire surtout pas dépérir ou encore mourir. Je veux revoir le monde en couleurs et sourire quand le soleil se lève et réchauffe ma peau sur le bord de mes épaules en été. Je veux retrouver la richesse dans le goût des aliments que je mange, dans les plats que je prépare. Je veux me rappeler ce que c'est que d'aimer ou plutôt de pouvoir aimer. Je me sens bloqué. Trois mois que j'ai eu l'impression de respirer comme jamais. J'ai repris des couleurs, je suis moins dans la lune et je m'isole beaucoup moins. J'ai trouvé le parfait équilibre et il est solide jusque là. Il ne faut pas tenter de le briser alors je fais attention, je me méfie. Quiconque peut prétendre à une place dans ma vie et je suis prête mais je ne dois jamais me laisser dévorer par la peur et encore moins par l'aveuglement. Je fais face à mes peurs maintenant, je fais face à qui je suis et ce que je ressens. Maintenant que je guéris, je me retrouve et me reconstruis comme si j'avais été partiellement démolie. Je revois le bout du soleil mais il est encore à moitié lune, froid comme la pierre par une nuit humide et venteuse d'hiver. Pierre jetée aux pêcheurs, pierre que je m'apprête à ramasser afin de réclamer justice et comprendre qui je suis, retrouver une totale identité. Je peux vivre mais plus dans le mensonge, plus dans ce mensonge.

Le temps est passé vite mais a semblé si long. Je me revois encore m’allonger, face contre sol, le regard vide et envoyé trop loin pour que je puisse me relever. C’est hideux et pathétique mais j’avais appris à assumer la défaite en moi, la misère et le sale. En un an, j’étais devenu l’ombre de moi-même, le sombre côté de qui j’étais. Il fallut une seconde année pour remonter la pente et sauver les apparences. Mais cette histoire, elle la connaît déjà.

Cette psychologue n’est pas mauvaise puisqu’elle sait quand elle doit parler et surtout quand elle doit se taire. Elle a compris que j’étais féline. Elle me lance d’ailleurs sur ce sujet. Mon regard captivant, ma posture de combat, mon attitude changeante. Je le confesse, je ne suis pas un ange, et je ne suis pas parfaite. Je suis simplement une jeune femme qui essaie d’avancer tant bien que mal. Est-ce qu’elle le comprend ? Je n’en suis même pas sure. En tout cas, elle essaie. Elle a déjà vu pire et doit penser que je ne suis pas un cas désespéré. Pourtant, il lui arrive de parler de cette période où j’étais au fond du gouffre et certains épisodes me manquent, comme si je les avais déjà refoulé. Qu’est-ce qui me préoccupe maintenant ? Je ne m’attendais pas à une telle question et je finis par me la poser sincèrement. Difficile de dire ce qui me préoccupe actuellement, j’essaie de ne pas trop y penser. Mais je veux y faire face alors je réfléchis, je pousse ma mémoire à rembobiner aussi loin qu’elle le peut. Puis je le sais, c’est évident.

Il ne me manque qu’une chose pour que je sois heureuse et ce serait que ceux autour d’elle expient leurs péchés, qu’ils lui confessent ceux qu’ils ont sur le coeur. Car le mensonge nous détruit, parce qu’il m’a détruit et continue encore. La douleur s’intensifie à chaque découverte mais finit par être domptée de plus en plus également. Tout est lié dans ma vie car je crée mon destin. Nous sommes responsable de notre destin malgré les tornades contre lesquelles nous ne pouvons lutter. Le seul moyen d’arriver à guérir, c’est la vérité. Mais le prix, suis-je prête à le payer ?