Il est déjà vingt heures lorsque Charlie quitte son bureau. La journée fut longue, éreintante. Routine quotidienne qu’elle ne semble vouloir quitter. Les minutes ont défilé sans même qu’elle ne les voit, trop absorbée par son article pour se soucier du temps qui passe. Elle aurait aisément pu passer la nuit ici si son supérieur ne l’avait pas forcé à partir. Parce qu’elle est comme ça Charlie, elle ne compte pas ses heures, trop passionnée par ce qu’elle fait pour s’arrêter sur ce genre de choses, trop appliquée pour respecter des horaires qui à ses yeux ne veulent rien dire. Elle sait au fond qu’elle ne devrait pas sacrifier sa vie personnelle au profit de son travail, peu importe à quel point elle aime être journaliste, peu importe à quel point elle se sent bien entre ces murs. Elle sait que les regrets pourraient finir par venir l’étouffer un jour. Et je ne pourrais le supporter… Elle n’a pas tenu tête à son père il y a des années pour vivre une vie qui ne lui conviendrait pas, une vie où elle aurait fini par se demander ce qu’elle aurait pu faire pour être heureuse. Ce n’est pas moi… Elle s’est battue pour faire ce qu’elle veut, pour vivre son existence comme elle l’entend. Jolie courageuse qui n’a pas eu peur d’imposer ses choix, d’affirmer sa volonté. Sa réussite, elle ne la doit à personne d’autre qu’elle-même. Jeune femme tenace et téméraire, déterminée à prouver qu’elle est la seule à pouvoir dicter sa vie, la seule à pouvoir choisir ce qui est le mieux pour elle. Elle peut paraître douce Charlie, douce et délicate. Mais elle est comme ces roses que l’on admire, que l’on regarde avec émerveillement mais qui nous pique si l’on ose s’approcher de trop près. Ne vous fiez pas à son air innocent, c’est une véritable lionne, prête à se battre jusqu’au bout pour défendre ce en quoi elle croit.

L’air frais du soir vient caresser son visage avec une douceur agréable. Plaisir simple qu’elle savoure encore après toutes ces années. Dans ces moments, elle ne regrette en rien l’Angleterre qu’elle a fini par laisser tomber pour retrouver la chaleur de ce soleil brûlant. Home sweet home… 3 ans qu’elle est de retour et pourtant l’impression que c’était hier. Le temps passe vite. Trop vite… La nostalgie l’enveloppe doucement. Ce léger coup de blues s’accentue lorsqu’elle se rappelle que Wendy n’est pas là ce soir et l’idée de retrouver le calme froid de son appartement ne l’enchante guère. Parce qu’il y a des soirs où je n’aime pas le silence… Alors elle se réfugie dans ce bar sur la route,  entre dans cette salle chaude où règne une forte odeur d’alcool. Cela aurait pu être dérangeant et désagréable, mais pas ce soir, pas maintenant. Parce qu’il y a des gens. Parce qu’il y a de la vie et c’est tout ce qu’elle cherche Charlie. Un peu de compagnie, un peu de réconfort. Elle s’approche du comptoir, prête à commander un verre lorsque son regard se pose sur un visage connu. Tient tient tient… Elle songe un instant à l’ignorer mais sait qu’elle ne pourra l’éviter longtemps. Et puis Charlie est le genre de femme à ne reculer devant rien, alors elle s’approche, sourire aux lèvres, l’air détendu. « Bonsoir Monsieur Davies, je suis surprise de vous trouver ici. J’ai quand même le droit de rester boire un verre hein ? Je ne voudrais pas à nouveau marcher sur vos plates-bandes… »

Charlie exaspère un bon nombre de personnes, elle en est parfaitement consciente. Elle prend son rôle de journaliste très à cœur et n’hésite pas à piquer là où ça fait mal. Tenace. Cinglante. Elle a la répartie qu’il faut pour réussir dans ce métier. Elle se fiche bien d’être appréciée ou non du moment qu’elle parvient à gagner les informations qu’elle recherche. C’est parfois désagréable de se sentir rejetée, détestée même, mais elle passe rapidement au-dessus de tout ça, trop appliquée dans son travail pour laisser les remarques acerbes l’atteindre. Elle se rassure en se disant que si elle gêne autant c’est qu’elle est efficace et cela lui suffit. C’est un peu plus dérangeant dans sa vie personnelle, lorsqu’elle n’est que Charlie et non plus la journaliste Laurens. Mais comme beaucoup de choses dans la vie, elle s’y est habituée… Elle est parfois impressionnée par cette capacité qu’à l’Homme à s’adapter. La douleur. Le manque. L’absence. On se fait à ces émotions douloureuses, on apprend à les gérer pour mieux continuer. On les ancre dans notre routine comme si de rien n’était. Et on ne cesse d’avancer… Elle se perd quelques fois dans ses pensées, fascinée par notre habilité à encaisser ce que le destin met sur notre chemin. Elle aime réfléchir à ce genre de choses, elle qui a dû traverser de nombreux obstacles. Certes, ce n’est rien comparé à d’autres mais ces épreuves ont fait d’elle la femme qu’elle est aujourd’hui. Sans le rejet de son père, sans la perte de sa mère, elle ne serait probablement pas aussi forte qu’elle puisse l'être actuellement.

« Mademoiselle Laurens, la surprise est partagée. Et oui, ne vous en faites pas. J’ai l’habitude… » Elle sent l’agacement dans sa voix. Visiblement, il est tout aussi ravi qu’elle de la revoir. Elle est amusée de voir qu’elle peut déclencher ce genre de réaction par sa simple présence. Mais elle comprend pourquoi il réagit ainsi. Il faut dire qu’entre eux deux ce n’est pas vraiment le grand amour. Ils ne se détestent pas, loin de là, mais disons qu’elle aime lui tenir tête et que lui n’hésite pas à la remettre à sa place. Charlie n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds, qu’il soit agent du FBI ou non ! Quand elle a quelque chose à dire elle ne se prive pas de le faire. Mais malgré leurs chamailleries, elle éprouve un profond respect pour l’agent Davies. Elle n’imagine pas à quel point son travail est dur, à quel point cela doit être épuisant, éreintant. Elle lui est même reconnaissante de faire ce qu’il fait, de mettre sa vie en danger pour protéger les autres. « Bon je ne suis pas là en tant qu’agent spécial et j’imagine que vous n’être pas là en tant que journaliste. Peut-être qu’on pourrait laisser tout ça de côté pour tâcher de pas faire d’étincelles... » Elle lâche un léger rire face à cette remarque. Il est vrai que leurs rencontres sont généralement plutôt tendues, presque malgré eux d’ailleurs. « En effet, je souhaite seulement me détendre après une longue journée de boulot. Tout comme vous je présume… Nous devrions pouvoir rester courtois l’un envers l’autre. Au moins le temps d’un verre. » Elle lui adresse un sourire et un clin d’œil avant de prendre place à ses côtés tandis qu’il tente d’apaiser l’ambiance en lui proposant un verre. L’intention la touche. Au fond, elle ne doute pas que l’agent Davies est un homme bon. Ils ne sont juste pas d’accord sur certaines choses mais ça s’arrête là. « C’est très gentil à vous. Je vous offre le prochain alors ! Je vais prendre une vodka tonic s’il vous plaît. » Alors que  le serveur s’affaire à préparer leur commande, elle pose son regard sur Kenyon. Au final, elle ne connaît de cet homme que son nom et son métier. Mis à part se crêper le chignon ils n’ont jamais pris le temps de faire réellement connaissance. Il faut dire qu’ils n’en ont jamais vraiment eu l’occasion… Mais peut-être était-il temps de rectifier le tir et de profiter de cette soirée pour le découvrir davantage ? « Alors Monsieur Davies, journée compliquée ou simple rituel d’après travail ? »  Elle ne cherche en rien à lui soutirer des informations mais simplement à faire connaissance. Elle espère néanmoins que le beau brun le comprendra et ne sera pas sur la défensive. Mais connaissant quelque peu le bonhomme, elle ne pourrait le garantir…