1987 — Nipilon, Ontario

J'ai toujours pensé que nous étions une belle petite famille parfaite... Il faut croire que je me suis trompé. Même si je n'avais que neuf ans à l'époque, j'avais toujours vu mon père comme un modèle. Je voulais tellement devenir comme il était... Puis, les policiers sont venus nous annoncer une terrible nouvelle, ma mère avait été retrouvé sans vie sur les berges du Lagoon.  Aujourd'hui, lorsque je repense à toute cette histoire, je me rends compte que mon père avait été un très bon acteur. Il avait réussi à passer pour la pauvre petite victime, le pauvre mari dont sa femme avait été assassinée. Tout le monde y avait cru, même moi. Je m'en voulais et m'en veux toujours d'avoir cru à son petit jeu... Mais que voulez-vous, je n'étais qu'un pauvre gamin qui ne voyait que les beaux côtés de son paternel.

Malgré les mois qui passaient, mon père continuait tant bien que mal de jouer aux pauvres petites victimes, surtout lorsque les policiers ont fait la découverte de quatre autres femmes, tuées de la même façon et surtout pas le même homme. J'étais trop jeune pour comprendre ce qui se passait réellement, même si j'avais l'impression que quelque chose clochait. Avec les nouveaux décès, je commençais à voir que mon père ne voulait plus s'occuper de ma soeur et moi. Il était beaucoup trop occupé à jouer les policiers et à essayer de se rendre justice lui-même. Je crois même que c'est à ce même moment qu'il a commencé à se faire prendre à son propre jeu.

Après plusieurs mois, les policiers ont enfin trouvé le coupable... Je n'arrive toujours pas à croire que l'homme, auquel je voulais tant ressembler en vieillissant, était le meurtrier. Mon père avait tué ma mère d'une façon brutale et quatre autres femmes. Ils nous avaient bien eus. Il avait réussi à jouer la victime, tout ce temps... Mais c'était maintenant terminé. Il pouvait bien pourrir en prison pour le restant de sa vie. À compter de ce jour, il n'existait plus pour moi. Je me souviendrai toute ma vie de ce moment où les policiers lui ont mis les menottes, de ce moment où ils l'ont traîné jusqu'à la voiture de patrouille, de ce moment où je suis devenu un orphelin et que j'ai perdu tout ce que j'avais...

1988 — Nipilon, Ontario

Après la mort de ma mère et de l'arrestation de mon père, je n'ai jamais cru que ma petite soeur et moi allions être séparés. Il fallait que nous restions ensemble, si nous voulions survivre à cette épreuve. Par contre, ce n'était pas ce que tout le monde pensait. Selon eux, il était mieux pour nous d'être séparé. Ce fameux matin, deux agents des services sont arrivés et ils ont essayé de nous séparer. Je vois encore aujourd'hui, ma soeur être tiré d'un côté et moi de l'autre. Je criais son nom et pleurait. Je ne voulais pas la perdre, mais ces stupides agents ne comprenaient pas. Je me débattais très fort, j'ai même réussi à frapper l'agent qui essayait de me retenir pour serrer une fois de plus, une dernière fois, ma petite sœur contre moi. Riva est partie de son côté, alors qu'ils m'ont amené du côté opposé. Ce matin-là a été le dernier que j'ai passé avec ma petite soeur.

1999 — San Francisco, Californie

Onze années s'étaient écoulées depuis l'arrestation de mon père, mais surtout depuis que les services sociaux m'avaient enlevé ma petite sœur. Je n'ai jamais su où ils l'avaient amené et c'était probablement le pire dans cette histoire. Après son départ vers l'inconnu, je suis resté à Nipilon. Eh oui, j'étais celui que l'on surnommait « le fils du meurtrier ». Je pouvais entendre leurs commentaires à des kilomètres à la ronde. J'ai passé les sept années suivantes dans diverses familles d'accueil. La majorité d'entre elles ne voulant pas me garder, à cause de ma turbulence et de mes problèmes avec la justice, j'ai terminé par sortir de ce système merdique à la fin de l'année 1995. J'avais 18 ans et rien ne pouvait m'atteindre maintenant. Je suis tout de même resté à Nipilon. Je me suis trouvé un petit boulot de plongeur dans un restaurant non loin de l'ancienne résidence familiale et un petit appartement miteux.

Puis en 1999, j'ai décidé qu'il était temps pour moi de tout quitter et de recommencer à nouveau, ailleurs. Quoi de mieux que le soleil radieux de la Californie et la magnifique ville de San Francisco? Là-bas, personne ne me connaissait et surtout personne ne connaissait mon passé, qui me hantait toujours à l'époque et qui me hante encore aujourd'hui. Je me suis trouvé un boulot en temps que doorman dans l'une des boîtes de nuit du centre-ville. Les premiers temps n'ont pas été faciles, puisque je devais réussir à un contrôle lorsqu'il y avait une petite bande de clowns qui essayaient d'entrer à l'intérieur, sans en avoir le droit. Il m'est arrivé à plusieurs reprises de les bousculer sans aucune gêne et même d'en frapper quelques-uns.

2009 — Los Angeles, Californie

Après avoir passé un peu plus de dix ans à San Francisco, il était temps pour moi de plier bagage et de quitter mon emploi de doorman pour quelque chose de meilleur. Je venais d'accepter un emploi en tant qu'ouvrir sur les chantiers de construction. Ce n'était pas le meilleur emploi que la Terre ait porté, mais c'était déjà beaucoup mieux que mon ancien emploi. Je pouvais maintenant avoir des horaires stables et surtout, me tenir loin de tous ces petits crétins, qui se croyaient tout permis parce qu'ils sortaient dans les boîtes de nuit.

Nous sommes au mois de mars, et me voilà à Los Angeles où ma nouvelle vie allait commencer. J'avais un nouveau job, un nouvel appartement. Tout allait pour le mieux. J'ai réussi à me démarquer sur les chantiers et j'étais apprécié de tous mes collègues. Je ne pouvais demander mieux. Par contre, j'ai appris qu'un seul geste pouvait tout changer. Un soir de novembre, alors que j'étais sorti avec des amis dans un bar, un jeune homme a décidé de s'en prendre à moi, pour aucune raison valable... Ou du moins, pour aucune raison que je ne connais à ce soir. Je n'avais aucunement envie de me battre. Cette partie de moi faisait partie de mon passé. Mais le jeune homme continuait à me pousser et voulait à tout prix se battre. Lorsque je repense à cette soirée, je me rends compte que j'ai été très patient. Le jeune homme revenait toujours à la charge et je n'en pouvais tout simplement plus. Je me suis levée de mon emplacement et il n'a suffi que d'une droite pour qu'il tombe sur le sol. Dans les premières secondes, je n'avais aucune idée qu'il était mort. Alors que je me suis précité sur lui pour voir s'il était correct, je me suis rendu compte qu'il n'avait plus de pouls. J'ai essayé de le réanimer, pendant que la barmaid appelait les secours. Au bout de quelques minutes, les secours sont arrivés, ainsi que la police. Sachant très bien ce que j'avais fait, je n'ai aucunement cherché à fuir. Au contraire, je me suis dirigé vers les forces de l'ordre pour avouer que j'avais commis ce geste irréparable.

Les policiers m'ont amené au poste de police où j'ai été interrogé. Je ne savais aucunement ce qui allait se produire, mais je savais une chose : j’avais de graves ennuis. J'avais un dossier criminel depuis l'adolescence, alors il savait très bien quel genre de personne j'étais. Vol de voiture, vol à l'étalage, batailleur... J'avais le profil du gars qui avait de graves problèmes de comportements. Après avoir passé une nuit en cellule, j'ai eu droit à une arrestation en bonne et due forme. J'ai été accusé d'homicide involontaire et je devais faire cinq ans de prison...

2014 — Los Angeles, Californie

Après cinq ans sous les barreaux, me voilà enfin libre. Même si ma sentence était complète, il y avait certaines règles que je devais suivre. Je devais me tenir loin des batailles. Je devais continuer à suivre une thérapie pour mes sautes d'humeur et apprendre à me contrôler lorsque j'étais en colère et je devais me retrouver un emploi stable où toute violence était bannie. J'ai eu de la chance, mon patron du chantier de construction m'avait gardé une place. Il me croyait lorsque je disais que je m'étais défendu et qu'il n'y avait rien de prémédité dans mon geste. Il n'était pas le seul à me croire. Lors de ma première journée de retour au travail, j'ai été accueilli à bras ouverts par mes confrères. Je pouvais enfin respirer. J'étais libre à nouveau...

2015 — Los Angeles, Californie

La seule chose qui m'aidait à me calmer lors de mes crises était la boxe. Il m'arrivait souvent de m'y rendre avant et même après ma journée de travail. Ce jour-là, j'ai remarqué cette jeune femme. Ce n'était pas la première fois que je la voyais et pour être franc avec vous, je croyais fermement qu'il s'agissait de ma petite soeur, Riva. Ne sachant pas comment l'aborder, je faisais mon entraînement alors qu'elle faisait. Puis, ce jour-là, c'était différent. Elle frappa sur le sac sans gant, et elle semblait ébranlé par quelque chose. Je suis approchée d'elle et je l'ai forcé d'arrêter. Elle avait les mains en sang et semblait être très épuisée. Lorsque nos regards se sont croisés, j'ai immédiatement su qu'elle était Riva, il n'y avait aucun doute. Celle-ci s'est alors écroulée dans mes bras et j'ai essayé de la consoler du mieux que je le pouvais, comme lorsque nous étions enfants.

2016 — Los Angeles, Californie

Un peu plus d'un an maintenant que j'ai retrouvé ma Riva. Je n'ai jamais vraiment osé lui mentionner qui j'étais, mais si elle était comme moi, elle le savait probablement déjà à l'heure qu'il était. Un jour, elle m'a confronté sur le fait qu'elle savait qui j'étais. Je lui ai répondu que si elle le savait, donc elle savait pourquoi j'étais là. La discussion s'est arrêtée là. Je continue à veiller sur elle et essaie de me ternir loin des problèmes. J'essayais avant de la retrouver, mais maintenant qu'elle est de retour pour de bon, j'essaie de me tenir loin de tout problème.