Modèle Être dans un cursus artistique entraîne souvent de devoir aider les autres filières. Ça ne m'a jamais posé problème. Il n'est pas rare qu'on - les compositeurs - aille chercher de jolies voix chez les danseurs ou les acteurs, mais c'est plus rare que les dessinateurs viennent chercher les musiciens. Essentiellement, on est incompatibles.
Impossible de contempler un tableau de Van Gogh sans un silence relatif. Impossible d'apprécier une symphonie sans fermer les yeux pour se couper du réel.
Avec Adélaïde, essentiellement, on était incompatibles aussi. On ne se serait même probablement jamais croisés si sa classe n'avait pas eut besoin de modèles en urgence. Ils avaient cherché partout, pour me trouver, seul, à la bibliothèque de l'université. Les autres modèles jouaient au basket dehors. J'étais mal luné, tant pis pour eux. Mon logiciel de composition ne marchait pas. Bon. Après tout, rester assis pendant trois heures ne devait pas être si dur que ça, si ?
Nom de dieu que j'étais à côté de la plaque. Leur prof avait décidé que me mettre dans des positions ubuesques était absolument judicieux, en plus d'être sublime. "C'est une magnifique torsion de bassin ça, Jack ! Merci, on vous fera revenir !" Ok, j'étais un bon modèle dans le sens où je ne bougeais pas. Ou pas beaucoup. Je m'étais même endormi pendant certaines poses. Mais bordel qu'est-ce que j'avais mal au dos.
On était une demi-douzaine de modèles, avec chacun son petit groupe d'admirateurs. Quatre, avec chacun un angle différent. C'était donc ça, être une star ?
Tomber sur moi lorsque les autres muses étaient soit des athlètes, soit des bombes nucléaires, devait être absolument anticlimatique. Je n'avais pas de musculature saillante à représenter ou de volume à  signifier. Mes cheveux étaient un bazar sans nom pendant que les valises sous mes yeux commençaient à faire sentir leur poids. Sous leurs regards, je me découvrais des complexes qui m'étaient jusqu'alors inconnus.
Et si j'avais une tête disproportionnée ? Mes oreilles étaient-elles assorties au reste de mon corps ? Mes fringues étaient-elles assez bien pour eux ? Trois heures d'introspection, qui s'achevaient sur une douleur lancinante au dos. C'était là qu'Adélaïde était intervenue. À la fin du cours, quand j'étais déjà persuadé d'être le sosie d'Elephant Man. Elle me proposait de poser un peu plus après le cours, pour ceux qui désiraient s'entraîner davantage. Prof enthousiaste, élèves pour la plupart exténués. J'avais accepté. Quelle connerie sérieux.
D'abord une heure, puis deux. Les artistes partaient au compte-goutte. Puis finalement, j'avais posé pour elle seule, avant de devoir rentrer chez moi à mon tour.
C'était une connerie de lui avoir laissé mon numéro. Elle avait insisté pour que je vienne de nouveau poser pour ce cours. Et pour elle, aussi. C'était une connerie d'avoir accepté alors que je me savais pertinemment incapable de dire non. En particulier lorsqu'il s'agit de coups de main aussi faciles à donner que ceux-ci. En quelques semaines, la jeune blonde avait prit l'habitude de m'envoyer un sms lorsqu'elle voulait pratiquer le modèle vivant. Parfois, je devais m'asseoir très naturellement sur un banc de l'Uni sans jamais la regarder directement, parfois je devais marcher en rond devant elle pendant de longues minutes. On avait ainsi apprit à se connaître, et pas qu'en surface. Sa compagnie n'était pas désagréable, j'avais pourtant gardé la plupart de ms petits secrets pour moi.
En plus, j'avais le plus souvent droit à un remontant après qu'elle m'ait dessiné. Tout bénef'.

Squatteuse & cliente Helena c'est une rencontre qu'on ne peut inventer. J'habite au dernier étage de mon immeuble, le douzième. Le concierge est un putain de camé, qui en plus de n'être jamais là, trouve que le toit de l'immeuble est un très bon endroit pour consommer tout un herbier de drogues du monde entier. Que je lui fournis en grande partie. Aussi, il a jugé bon de me laisser un double des clés de l'escalier vers le toit pour que, moi aussi, j'aille m'y défoncer. En soi, c'est pas déconnant, et ça m'évite d'enfumer l'appartement. Le toit dégueulasse, poussiéreux mais étonnamment silencieux, est donc devenu mon petit coin de solitude. De plénitude.
Jusqu'à ce qu'une jeune femme tombe du ciel, directement sur ma garçonnière. Littéralement.
Avec des flics au cul tant qu'à faire. On peut dire que je le lui ai sauvé cette nuit-là, son petit cul.
Un joint entre les lèvres, l'air perdu, je l'avais cachée dans la cage d'escalier. Comme des gamins, chacun l'oreille collée contre la porte, nous avions entendus ses poursuivants pestiférer d'avoir perdu une proie si facile. Une fois sûr qu'ils étaient partis, un fou rire m'avait prit. Plus improbable? Impossible. Helena avait suivi de près. Cette nuit, on l'avait passé à se rencontrer, à se trouver des points communs. Force était d'avouer qu'il y en avait beaucoup. Squatter des toits, par exemple.
Depuis, elle revient assez régulièrement. Que ce soit pour m'acheter un peu d'herbe, ou pour la consommer ensemble. Parfois dans le silence le plus total, parfois en refaisant le monde. Mais toujours sur le toit.

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L'écrivain  Avec Oswald, ça finit toujours pareil : chez lui, la plupart du temps avec une gueule de bois.
Je sais qu'il est écrivain, j'ai vu des bouquins avec son nom dessus chez lui. C'est la seule chose dont je suis sûr à vrai dire, si ce n'est qu'il est britannique. Ça, faudrait être sourd pour ne pas le deviner. Il m'a avoué que je lui servais de modèle, de référence pour l'un de ses personnages, mais je n'y crois pas une seconde. C'est le fait que je deale qui l'intéresse, pas moi. D'ailleurs, on est trop différents pour que l'attention qu'il me porte ne soit pas intéressée. Il est bien plus vieux, issu d'une classe sociale radicalement différente, et putain j'ai rien de passionnant. Je suis pas Jack Torrance, ou le capitaine Némo. Je ne comprendrai jamais ce qu'il cherche comme inspiration à travers moi, mais je cède toujours à ses caprices.
Ça me fait tout drôle qu'on s'intéresse à moi.
Quand il me propose de venir le voir, je viens. Pas possible de lui résisteri. J'ai pas de sentiments, je m'y suis pas spécialement attaché, et surtout, je me méfie toujours. Juste pas quand je suis dans ses bras.

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