9 Décembre 2014
Jimmy n'est pas dans son assiette. En boule sur mes jambes, il ronronne lentement, suivant le rythme d'une voix en sourdine qui lui est malheureusement si familière. Les seuls moments où il est affectueux, c'est quand il est malade, si tant est que malaxer mon jean toutes griffes dehors soit une preuve d'affection. Il n'a pas touché à son assiette non plus avant de venir réclamer sa dose d'amour quotidienne. Ses yeux malicieux m'implorent de le pardonner, avec sa tête toute droit sortie d'un film Disney, je pourrais presque l'entendre me parler.
- Désolé d'avoir encore vomi sur ton lit. Je t'autorise à me caresser, pour adoucir ta colère. Je pourrais te regarder nettoyer si tu veux ?
Ça attendra. Le flic est là, il monologue dans vide, mais me lâchera pas avant d'avoir des noms. "
Blablablabla on a chopé un groupe d'ados sous lsd blablabla à 16 ans elle se vendait déjà pour sa came blablabla" C'est vrai que c'est la période des fêtes. Les gens seuls supportent pas, et la consommation des drogues douces comme fortes augmente, le trafic humain des prostitué(e)s voit ses plus beaux jours de l'année pendant que les barons du crime sont près d'une cheminée avec leurs enfants. Après tout, tout les moyens sont bons pour se tenir chaud en hiver.
Avec mes bons contacts, c'est là que j'interviens.
Autant je savais qu'on pouvait vendre son cul ou sa dignité, et j'avais jamais eu aucun problème avec ça, autant vendre son intégrité ainsi que la liberté de ses potes, c'était un peu plus dur à avaler. Le pire, c'est que jamais on ne m'avait soupçonné d'être une balance, ce qui me tiraillait les intestins autant que mes convictions morales. Au moins on me payait. Des clopinettes, certes, mais je n'étais pas qu'un simple traître. Non, j'étais un traître rémunéré.
Tout ça pour payer l'université ? Eh. Bienvenue aux États-Unis.
Je caresse toujours Jimmy. Mes infos valent de l'or , et m'évitent de finir en taule pour des délits mineurs. C'est le deal : pas de taule ou d'amende, contre des noms, des lieux de transaction, etc. Quand on sait que les trois quarts de LA consomme ou a consommé des drogues régulièrement, se faire choper c'est comme perdre à la roulette russe. J'ai jamais eu de chance. La première fois, c'était un petite amende lors d'une descente de la police pendant une soirée étudiante, la deuxième, c'était moi le fournisseur et j'avais des dizaines de grammes dans les poches revolver de mon bomber. Il en pue encore, d'ailleurs.
Si j'avais su que mon don pour me foutre dans toutes situations foireuses du monde me servirait un jour, j'aurai bossé sur mon jeu d'acteur plus tôt.
- J'ai entendu dire que ta mère est à l'hôpital ?
Être mauvais acteur est-il signe d'honnêteté, ou de simplicité ? Je me suis étouffé avec ma bière, et je tousse comme un imbécile. Putain de flic qui se moque de moi maintenant. Jimmy saute de mes genoux pour se réfugier sous la table basse poisseuse. Il n'aime pas les inconnus, moi non plus.
Il n'a nul part où fuir sans s'exposer dangereusement. Moi non plus.
Ce salopard m'a absolument coincé. Je ne sais pas ce que les barons de la drogue que je fréquente (seulement de loin, qui plus est) ont à voir avec le cancer terminal de ma mère, et ça doit se voir à mon regard. Il renchérit, c'est son travail d'appuyer lourdement sur la corde sensible des criminels.
- Ça coûte cher l'hôpital, non ? L'université, auss-
- OK. Je vois où vous voulez en venir, maintenant fermez-là.
Je bois une gorgée pour m'adoucir la gorge. L'alcool moelleux m'aide à retrouver la voix pendant que les bulles déchirent mon larynx. J'ai la gorge serrée, je veux vomir, et le chat m'a abandonné. Il est probablement caché sous le lit. Il déteste qu'on lève la voix. Mon cerveau va trop vite et trop lentement à la fois. Si ça fait un moment déjà que maman va mieux, le simple fait de penser à l'avenir me paralyse. Je reprends, en bégayant.
- Qu'est-ce que je dois faire, pour combien ?
Mon père disait tout le temps qu'il "ne voulait pas d'un faible" comme fils. Il a arrêté de radoter quand il a compris que c'était trop tard.
Si ma mère ne fréquente pas un de ces hôpitaux ultra-perfomants réservés aux starlettes & aux politiques, si tant est qu'il y ait différence entre les deux, la santé ici coûte cher. Accumulé aux frais de scolarité, et même avec l'aide mon père, nous sommes tout les deux endettés. Profondément endettés. Ayant à peine vingt ans, c'est dur. Une faiblesse que ce flic a su exploiter. Tout un art.
- Je prends donc ça pour un oui ?
Je ne réponds que d'un signe de tête, et il passe près d'une heure à m'expliquer ce que je dois faire, dire. Quand et comment. Il me dresse, comme un gentil petit chien, qu'il s'empressera d'attacher à un arbre dès que je me prouverai inutile. Il s'engage à payer une semaine d'hôpital, pour ma peine.
14 Décembre 2014
Maman n'a pas tenu une semaine. Si son état s'est rapidement détérioré, il en va de même des relations avec mon père. Il est flic, lui aussi, et je me suis fait balancer.
Il m'a coupé les vivres,
je n'ai plus de maison.
Je sais plus trop quand, fin 2015 peut-être ?
J'ai trouvé une colocation d'étudiants, pas loin de l'université. Certains sont dans des fraternités, me supplient de les rejoindre, mais je refuse.
Parfois, je suis obligé de leur piquer leurs repas. Le flic ne me paye plus autant qu'avang. Ils ne le remarquent jamais, ou alors me laissent faire. Ils m'aiment bien. Je leur partage l'herbe que mes patrons me donnent en trop.
J'ai arrêté de dénoncer mes potes & les dealers importants, mais le flic me surveille toujours de trop près. De temps en temps, je balance un dealer un peu trop imprudent, le genre de type qui se fera arrêter de toute façon, histoire de ne pas être harcelé. Et de peur qu'il m'envoie en taule, surtout.
La plupart du temps, ils n'ont rien à voir avec mon patron.
Je change de logement dès que j'en trouve un moins cher, déjà que j'avais du mal, m'attacher aux gens est devenu absolument impossible. J'ai parfois envie de pleurer quand je vois mes anciens colocs me parler sur messenger. Quand je leur réponds, ils sont heureux d'avoir de mes nouvelles, et insistent pour qu'on se voit.
Se sentir seul dans un appartement bondé, ça fait mal.
Comment est-ce que tu peux éviter toute interaction sociale, alors que vous êtes six dans ton appart ?
Tu me dégoûtes Jack.Je me reconnais plus.
Rentrée scolaire 2016
Je fume de moins en moins, autant clope que beuh. J'ai failli rater mon année à cause de cette merde.
J'ai bien profité cet été. J'ai couché, j'ai fumé, j'ai bu. Parfois les trois en même temps.
Même avec une jeune femme sur mes genoux, ou un Apollon qui dorme dans mon lit, je ne me sens plus proche de personne.
Même peau nue contre peau nue, même plus ce frisson dans le dos en la voyant dégrafer son soutient-gorge.
Absolument aucune électricité sur le bout des doigt quand je caresse leurs peaux. Aussi nues soient-elles.
Ils ne me comprennent pas, mais je les comprends. Je ressens leurs sentiments, je les absorbe quand ils me parlent. Ça bouillonne dans mon ventre, je m’émeus plus des malheurs des autres que des miens.
C'est toujours un plaisir d'apprendre à les connaître. Parfois, ils écoutent ma musique, regardent mes photos, viennent voir mes concerts, que ce soit en tant que rappeur ou claviériste. Parfois on couche plusieurs fois. Parfois on ne couche même pas. Pourtant, aucun de mes sentiments ne me vient, si ce n'est que je répugne.
C'est la seule chose que je ressens maintenant.
Je sais parfaitement que je les répugne, eux-aussi.
C'est comme si j'avais construit un mur à la place de ma peau.
Jamais de lien. Le sexe est toujours bon, jamais assez.
Mon cœur n’accélère plus quand une charmante personne m'accoste.
C'est jamais assez, jamais assez bon. J'ai abandonné.
Vacances de Noël 2016
Les gens me laissent indifférent. S'il m'est impossible de créer un lien véritable avec les gens m'entourant, j'ai appris à les connaître. Certains me diront philanthrope, je dirais plutôt que je comprends les gens. Profondément, bien que je ne sois incapable d'échanger plus que des banalités avec eux.
Leur présence, leur existence ne vaut plus rien à mes yeux, et j'ai pourtant lutté.
J'ai perdu.
J'ai trouvé un repos dans la solitude. Si j'ai des amis, il y a & aura toujours une distance. Un
mur. Une
distance de sécurité. Ils existent, mes amis, croyez-moi. Nous sortons parfois le soir, quand nous ne travaillons pas. On se comprends, on s'apprécie.
Ils viennent me voir sur scène, bien qu'ils n'apprécient pas tous ce que je fais. Ils m'aident parfois à trouver des bars ou des boîtes où me produire. Leur générosité m'englobe tout entier, ils sont sincères. Je suis la roue de secours au carrosse de leur amitié. Je suis incapable de leur retourner leurs bons sentiments. Je ne peux m'empêcher de penser que ce ne sont que des actes intéressés, par des étudiants faux et mauvais jusqu'à l'os.
Tant mieux. Je sais que je vais les perdre un jour, peu importe comment. Je m'interdis de m'attacher à eux, je n'ai que des sentiments mitigés.
Je n'aime plus, j'apprécie. Je ne m'enthousiasme plus, je souris.
Je ne pleure plus, je
compose.
J'écris.
Mais je me sens toujours seul. Je suis nihiliste, mes amis me disent déprimant, mais qu'ils "m'aiment quand même."
Février 2016
J'ai adopté un chat. Jimmy m'a adopté aussi. Il a réussi à gratter un petit passage dans la terre, au dessous de mon mur, directement vers mon cœur.
Les colocs l'adorent. Moi aussi.
[Flashback]Mai 2014
- Chaton, le sexe c'est précieux.
Ton père est traditionnel, mais moi je pense que c'est une preuve d'amour. J'ai couché avec tout les hommes que j'ai aimé. Ils n'étaient pas nombreux, pourtant ton père m'a traitée de salope quand il a su que je n'étais plus vierge, je n'ai jamais regretté. Tu sais, j'aime la Corée de tout mon cœur, mais tu n'aurais pas été heureux là-bas. Je n'ai jamais réussi à l'être.
Je ne te jugerai jamais. Tu me dis que tu es pansexuel, je suis fière de toi. Tu n'as pas l'esprit de ton père, tu progressera dans la vie, pas comme lui. D'ailleurs, j'ai consulté ton bulletin. Tes profs te complimentent beaucoup ! On m'a dit que tu avais une scène ce soir ? Je suis fière de toi, mais il faudra être fort pour ton premier concert.
Je me suis mis à pleurer, et même alitée, maman m'a pris dans ses bras. J'ai du faire attention à ne pas arracher ses fils, mais sa main qui caresse mes cheveux me fait tout oublier. Son mélange d'anglais et de coréen est le seul langage qui me touche à ce point.
- Tu devrais te couper les cheveux mon chat. Ils te tombent dans les yeux c'est pas beau du tout. J'aime bien le le roux sur toi d'ailleurs. As-tu entendu la jeune femme qui a gagné l'eurovision d'ailleurs ? Elle a une voix d'ange, sa robe était sublime !
Elle essaie de détourner mon attention, de me détendre. Je joue le jeu, et ce fut un magnifique débat, ce soir-là, sur laquelle de ces chanteuses à vibrato avait la robe la plus hideuse.
Printemps 2016
J'ai définitivement arrêté la cigarette, et je ne fume d'herbe qu'à des fins récréatives & aussi rarement que possible.
C'est plus facile de composer sobre & seul et sans me vanter, mes notes à l'
UCLA on redécollé depuis quelques mois. Comme une
fusée. Peut-être qu'un jour, je pourrai toucher les étoiles ?
Je suis sobre en cours, sobre quand je compose pour l'école, et j'arrive à socialiser avec mes colocs, les anciens comme les actuels.
Je les côtoie maintenant, toujours sans jamais arriver à m'attacher à eux. Ils supportent ma présence, et sembleraient même l'apprécier ?
Je garde mes distances, toujours. Ils n'ont aucune raison valable de m'apprécier, je n'y crois pas.
Par nécessité, comme un job alimentaire, je deale toujours, mais je ne consomme presque plus, seulement parfois avant de composer des chansons. Les
miennes, pas les sons que je fais comme "devoirs" pour l'université ou ceux que je vends à des pubeux véreux. Non.
Mes sons.
Mon "supérieur" me fournit toujours une dose supplémentaire, vouée à ma consommation. C'est un type compréhensif, il se fiche que j'arrête, et m'encourage à vendre ma dose & garder de l'argent pour mon loyer. Il a abandonné ses études. Pourtant il m'encourage à continuer les miennes. Il ne rate jamais les expos du club de photos de l'UCLA, ou mes concerts. Même ceux dans des salles les minuscules ou des bars louches. Il me dit que mes raps lui parlent, et ça ne manque jamais de me faire sourire.
Quand je rappe, je sens une connexion avec mon public.
J'ai des frissons.
J'aime ça,
je vis pour ce moment.
Le flic a peur que je ne fournisse plus d'infos, sous prétexte que je ne suis plus camé. Il me harcèle, au téléphone et vient parfois à l'appart, histoire de m'engueuler un bon coup.
Pour la première fois depuis 2 ans, je sens un brin de vie dans mon corps.
Quand je monte sur scène pour jouer, ou pour rapper, je sens mon sang couler dans mes veines.
J'entends mon cœur battre.
Mon public l'entends aussi.
Printemps 2017
Mon dealer s'est fait arrêter par les flics. Il s'est pendu le lendemain en prison.
Ses supérieur on jugé qu'avec mon ancienneté, j'étais quelqu'un de confiance. Que je méritais un poste un peu plus important dans la pègre.
J'ai essayé de refuser. Après tout, j'ai trouvé un boulot chez un glacier, pas loi de chez moi. C'eut été un moment parfait pour arrêter de dealer.
- Je fais des études m'sieur. J'ai besoin de thunes, ok. Mais j'ai surtout besoin d'être libre, et pas en prison.
Comme si on pouvait échapper à la mafia.
S'il ne me confiait qu'un peu de marijuana depuis 3 ans, maintenant, il me juge capable de vendre de la cocaïne, de l’ecstasy, de l'acide. Entre autres.
Je refuse cependant catégoriquement de vendre du GHB, et à mon grand étonnement, il comprends, et accepte.
Le parrain aurait-il des convictions ?Étant étudiant, il juge que je serai le plus efficace en vendant sa came, "ma came maintenant", dans les soirées étudiantes. Il me conseille même de rejoindre une fraternité pour augmenter mes profits. Chose que je n'ai pas faite, mais qui n'a pas freiné mon succès.
C'est ainsi que je suis devenu le fournisseur officiel des soirées étudiantes de l'UCLA. Il n'y a plus de fête sans moi, à vrai dire.
Ouais je sais,
vie de merde. On se sent jamais plus seul que dans une soirée où on ne connaît personne.
De temps en temps, des undergraduate décident de me consoler, et ça me briserait le cœur de refuser.
Mes gains ont augmenté. Ces gosses de riche sont capables de faire voler des billets de cent dollars pour payer de la cocaïne pour tout leur frères & sœurs de Gamma
Je-sais-plus-quoi ou Epsilon
Tout-le-monde-nous-prend-pour-des-connes. (À moins que ce soit l'inverse, je sais jamais qui est qui, et à mes yeux c'est un très mauvaise idée que les profs encouragent ce communautarisme bas-de-gamme.) Ils achètent un peu d'herbe en plus pour leurs invités, parce qu'ils ne sont pas des sauvages. Bien entendu.
Au final, je touche toujours à peu près 5% des ventes maximum, quand les boss sont généreux. Les drogues dures coûtant bien plus cher, je me retrouve à pouvoir rembourser mes loyers en retard, et commencer à rembourser, dollar par dollar, mes frais étudiants.
Je sens la gueule du loup se refermer sur mon cou délicatement.
L'odeur du sang, de mon propre sang, me donne envie de vomir.